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Marièva Sol

Art, philosophie, littérature et enseignement

NOUVELLES D'UNE VIE

NOUVELLES D'UNE VIE
65 ans
La dame de l’Opéra

J'étais devenue deux ans plus tôt artiste peintre et j'en étais très fière. J'avais exposé mes œuvres dans des villages de province, en Normandie et même à Gisors. J'avais d'ailleurs rencontré un succès d'estime. Il faut dire que ma manière de concevoir est toujours assez originale. Je suis peintre surréaliste et lorsqu'il s'agit de peindre des sujets religieux je suis symboliste. Après mon premier anniversaire en tant qu'artiste, André trouva un moyen de me faire un très joli cadeau. Nous faisions partie d’une association, l’AROP, qui nous permettait d'aller de temps en temps à l'opéra Garnier ou Bastille et voici qu’elle nous envoya une proposition pour un gala qui se déroulait autour d'un ballet. Il s'agissait d'assister à une représentation et ensuite de dîner dans les foyers de l'opéra Garnier. Soirée très chic mais aussi très chère ! André m’offrit une place pour ce gala. Mais je devais y aller seule vu le prix de l’événement. Ce fut un très beau cadeau d'anniversaire. Évidemment pour cette soirée très chic je n'avais pas de robe de grand couturier. Je retrouvai un ancien pull en Lurex que j’avais porté jeune fille et qui était extensible et une jupe longue en broderie noire. Évidemment je n'étais pas à la dernière mode mais cette tenue de gala était correcte. André ce soir-là m'accompagna en voiture jusqu'à l'opéra. De nombreuses personnes de ce public chic, très chic, étaient venues en voiture. Et les chauffeurs les déposaient au bas des marches de l'opéra Garnier. Ce n'étaient que des berlines noires de grand prix. J'arrivai avec André dans notre voiture bleue qui tranchait sur le style des autres automobiles. Mon chauffeur à moi n'avait pas de casquette et je lui étais plus attachée que les bourgeoises à leur chauffeur car le mien était tout bonnement mon mari. Après la représentation je me retrouvai dans les magnifiques salons de l'opéra à une table de huit couverts. J'étais assise pas très loin d'une dame élégante. Elle était sculptrice. C'était une artiste de grand renom qui avait fait le portrait du prince Rainier de Monaco. Il avait posé pour elle. J'engageai avec elle la conversation et je lui dis que je peignais et que j'exposais. Je m'attendais à ce qu'elle me fasse un compliment. Elle me posa simplement une question. « Mais où exposez-vous ? Je n'ai jamais entendu parler de vous ». Je lui répondis que j'exposais en Normandie et notamment à Gisors. Je m'attendais à un peu d'intérêt mais sa réaction m'étonna. Elle me dit « vous ne faites pas d'autres expositions, vous n'exposez pas à Paris ? » Je répondis que, en effet je n'exposais qu’en province, alors elle me lança : « Mais c’est nul, vous êtes nulle ! » J'étais surprise. Je lui affirmai que j'avais suscité à Gisors et dans les villages alentour un certain intérêt, sans vendre évidemment, mais que j'avais eu beaucoup de compliments. Elle me dit alors « Ma pauvre petite si vous continuez à exposer en province et nulle part ailleurs vous n'arriverez à rien. Ce que vous faites est complètement nul ». Elle n'avait pas vu mes tableaux et je m'étonnais qu'elle me dise que ce que je faisais était nul. Je lui dis que je n'exposais pas dans de grands centres d'exposition car cela coûtait cher. Elle eut un petit rire méprisant. « Ma pauvre petite, si vous ne voulez pas dépenser un penny vous n'arriverez jamais à rien, vous resterez dans votre nullité. Et puis, ajouta-t-elle, vous êtes mal coiffée. Comment voulez-vous avoir du succès avec des cheveux pareils ? » Je m'étonnai sans me fâcher, j'avais un joli chignon que j'avais fait moi-même et j'en étais très fière. Finalement la conversation continua entre nous deux et nous apprîmes à mieux nous connaître. Sa carrière était brillante. Moi je n'étais qu'une institutrice ayant à peine investi, par ma nullité comme elle disait, le monde des arts. Elle me donna alors une adresse, celle d'un grand monsieur dans le domaine des arts qui organisait des salons prestigieux, mais payants. Je notai l'adresse. Elle ajouta que bientôt il allait organiser une exposition à l'Espace Cardin et que j'avais intérêt à aller le voir rapidement pour pouvoir exposer dans un salon différent de ces salons nuls de province. Je pris rendez-vous avec le Monsieur sans dire que quelqu'un m'envoyait chez lui car je ne voulais pas que l'on me choisisse parce que j'étais recommandée mais, fière de moi-même, parce que j'avais du talent. Évidemment je n'avais encore jamais préparé de « book ». Et pour montrer à ce monsieur prestigieux mes œuvres il m’en fallait un. J'achetais un énorme book car j'avais déjà un certain nombre d’œuvres et, pendant tout le week-end, André et moi nous avons travaillé d'arrache-pied. Car le rendez-vous que j'avais pris avec Monsieur Lévy était le lundi suivant. André tirait des photos et des photos de mes travaux et moi j'écrivais des légendes et des légendes pour chaque travail photographié. Nous remplîmes le book avec de grandes et de petites photos portant en-dessous les explications destinées à les mettre en valeur. Le lundi après-midi je me rendis au « Village Suisse ». C'était la première fois que je me rendais dans ce lieu situé tout près de la tour Eiffel. En fait ce village était un quartier dont les rez-de-chaussée des immeubles étaient occupés par des galeries d'art et des antiquaires. Et cela sur un espace piétonnier où le visiteur pouvait se promener librement en admirant mille merveilles. Georges Lévy que je voyais pour la première fois m’accueillit avec le sourire. Je lui montrai mon book et mon style lui plut beaucoup. Il aimait le surréalisme. Il aimait aussi l'humour et beaucoup de mes œuvres reposent sur des valeurs humoristiques. Il m'inscrivit à l’exposition qui devait avoir lieu le mois suivant à l'espace Cardin. Cela allait me coûter très cher car je pris un vaste espace pour présenter mes œuvres. Et ce fut la première fois que j'exposai dans un grand salon à Paris, que j'exposai à l'espace Cardin. J'y rencontrai la sculptrice de l’opéra qui essaya de me parrainer en me donnant des conseils pas toujours aimables. Elle m'assura que ma coiffure était immonde et qu'il fallait que je me coupe les cheveux. J'avais en face de mes six mètres d'exposition une autre exposante qui, elle, montrait au public des têtes de mort. Il y en avait de toutes les couleurs, mais rien que des têtes de mort. Moi c'était une autre façon de voir la vie car il y avait beaucoup d'humour dans mon surréalisme. Et c'est vrai que cette exposition à l'Espace Cardin fut un départ dans ma carrière. J’exposais à l'espace Cardin plusieurs années de suite toujours sous le parrainage de Georges Lévy qui était commissaire d'exposition. À présent Georges est devenu un de nos meilleurs amis et nous travaillons toujours ensemble. Mais à l'époque nous nous estimions mais nous nous connaissions à peine. Lors de cette première exposition je fus approchée par une galerie de Bruxelles. Je vous raconterai cette aventure un peu plus longuement.

19 ans

Mon entrée en maternelle

Après que j'ai quitté la fac de cette façon subite, il me fallait travailler. En effet mes parents divorçaient et ma mère n'aurait pu m'offrir un redoublement. Et quant à mon père il n'a jamais versé aucune indemnité ni pour ma mère, ni pour moi-même. Tout était à la charge de maman. Mon père je ne l'appelais plus mon père quand je m'adressais à ma mère je disais « ton mari », « papa » cela m'aurait écorché la bouche de le prononcer. Nous cherchâmes avec maman un métier pour moi, nous n'avions aucune idée de l'emploi que je pourrais avoir. J'étais excellente en rédaction et nous posâmes ma candidature dans des agences bancaires pour devenir rédactrice. Mais mon bagage culturel était trop insignifiant. Tout ce que je possédais c’était un baccalauréat A’ Philo, c'est-à-dire littéraire. Pour être rédactrice dans une banque à l'époque il fallait une licence. Nous cherchâmes en vain mais, finalement, la seule chose qui s’offrait à moi sans problème c'était de devenir institutrice. En effet à l'époque le métier était si mal payé et si difficile qu’on manquait cruellement d'institutrice. Ma mère décida donc un jour devant nos quelques tentatives infructueuses pour me trouver un autre métier : « écoute va au rectorat et pose ta candidature ». J'allai donc au rectorat et posai ma candidature pour devenir institutrice. On me donna un dossier à remplir. Je devais aussi passer une radio des poumons. Il me fallait fournir un extrait de casier judiciaire vierge. Je commençai à faire les démarches mais huit jours plus tard voici que je reçus une affectation pour une école de banlieue et un poste d'institutrice en maternelle. Institutrice en maternelle cela ne me tentait pas du tout. J’y voyais même un affront. Comment, moi avec les études que j'avais faites, il allait falloir que je torche des gamins de trois à quatre ans. D'autre part, fille unique, n'ayant jamais eu d'enfants autour de moi je ne savais pas comment je me débrouillerais en maternelle. Quand je me présentai dans cette école de Bondy je fus surprise à l’excès. Je visitai l’école avec la directrice. Et je vis des portemanteaux devant les classes, à la hauteur des enfants. Je n'ai jamais été en maternelle moi-même et cela me surprit. Je dis à la directrice « oh comme c'est mignon, comme c'est joli ces petits portemanteaux, oh que c'est charmant». La directrice me regarda d'un drôle d'air. Ensuite nous entrâmes dans la classe où je devais effectuer mon remplacement. En voyant les tables, en voyant les chaises qui bien évidemment étaient toutes à la taille d'un enfant de quatre ans je fis cette réflexion : « oh mais c’est adorable ces petites tables, oh comme c’est mignon ces petites chaises ». La directrice me considéra avec un œil rond. Et d’une voix blanche elle me dit : « vous n'avez jamais enseigné ? » Je lui avouai que non jamais je n'avais enseigné. Son regard m'apprit que mon aveu l'affolait. Sans doute aurait-elle dû me prendre en main et m’apporter quelques indications sur ce qu'allait être mon métier. Je ne savais rien. Je n'avais même jamais eu ni frères et sœurs ni cousins ni cousines. J'étais totalement dans l'ignorance de ce que l'on pouvait faire dans une classe d'enfants de quatre ans. Mais personne ne me donna aucune aide. Que pouvait-on bien faire avec des enfants de cette âge ? La directrice me dit simplement : « regardez le cahier journal de votre collègue titulaire que vous remplacez ». Lorsqu'elle fut partie, me laissant seule dans la classe, je regardai en effet le cahier journal. C'était la première fois que j'entendais ce nom : « cahier journal ». Je vis écrit : « leçon de langage », je m'interrogeai, j'essayai d'imaginer ce que pouvait bien dire leçon de langage. Je n'en avais aucune idée. Ensuite je vis écrit : « gymnastique ». J’étais dans l'étonnement total que l'on puisse faire faire de la gymnastique à des gamins de cet âge. Et que pouvait-on bien faire comme gymnastique avec des enfants de quatre ans ? Tout était non seulement nouveau pour moi mais incompréhensible. Personne ne m'apporta aucune aide en quoi que ce fut. On peut dire que je commençais « sur le tas ». Et cela devait durer longtemps car l'inspectrice étant malade tous les cours de formation étaient supprimés. Mes collègues n’eurent pas l'idée de me venir en aide bien que je les sollicitai. La directrice resta muette. Il fallait que je me débrouille comme je pouvais et il se révéla que j'avais un don inné pour exercer ce métier. J'avais avec le enfants une excellente communication. Les gosses m'aimaient et moi je leur étais toute dévouée et j'étais également pleine d'affection pour eux. Je ne sais comment l'on peut expliquer cela. Sans doute m’étais-je beaucoup interrogée sur mon enfance qui avait été si différente. J'avais l'impression de bien me connaître et en me connaissant bien j'avais l'impression aussi et c'était la réalité de bien connaître ce que peut souffrir, penser, espérer un enfant petit. Je m'initiai tant bien que mal. Que faire les premiers jours ? J'avais écrit des contes pour enfants. Je me dis que j'allais commencer par là et je me mis à raconter ce que j'avais imaginé aux enfants de ma classe. Ils furent d'abord très intéressés. Mais on ne pouvait pas raconter des histoires toute la journée. Alors après que j'ai raconté le début des histoires nous faisions un dessin pour représenter ce que nous avions entendu. Mais après, que faire ? Une journée c'est très long. Cela dure deux fois quatre heures. Oh oui j'ai eu bien du mal. Mais j'ai regardé faire et écouté faire mes collègues des classes voisines. Donc elles ne m’ont jamais invitée dans leur classe pour suivre une leçon. Mais j'avais des oreilles pour entendre et des yeux pour voir. Et puis je ne suis pas une sauvage je discutai avec elle. Et petit à petit j’enrichissais ma classe de leçons nouvelles. Mais la discipline était pour moi difficile à réaliser. Je me souviens que je criais beaucoup pour me faire entendre et obéir. La turbulence des enfants de maternelle peut atteindre des paroxysmes. Un jour alors que j'étais perdue dans cette classe extrêmement bruyante, je criais pour couvrir le brouhaha, une petite fille me dit à l'oreille : « Tu me fais peur lorsque tu cries comme ça ». Je fus touchée par la remarque de cette petite élève qui m'aimait bien et je lui répondis que ce n'était pas par méchanceté, seulement pour me faire entendre et que je m'excusais auprès d'elle de lui avoir fait peur. Je me souviens aussi qu'à force de hausser ma voix j'en étais arrivée à une extinction de voix. Lors d'une pluvieuse récréation nous nous étions réfugiés avec cinq classes dans la salle de gymnastique. Je devais surveiller cette récréation et j'étais seule pour cela. Cinq classes, c'est-à-dire à l'époque cinq fois 45 élèves. Hé oui nous avions par classe 45 élèves. Et que l'on ne me dise pas qu’à l'époque les enfants étaient plus sages que maintenant. Non à 45 élèves par classe dans le même espace le silence était impossible. Et me voici seule avec mon extinction de voix dans le préau avec tous les gamins qui s'agitaient et qui hurlaient et moi qui ne pouvait me faire entendre, courant ici et là et étant incapable de faire revenir le calme. À un moment donné il y avait tant d'agitation que la directrice sortit de son bureau. Elle se mit à taper des mains et les enfants en chœur reprirent le mouvement et bientôt tout le préau tapa des mains. C'est quelque chose d'élémentaire mais que je ne connaissais pas. Personne ne m'avait mise au courant, n'avait dénié me mettre au courant que pour faire revenir le calme il y a un moyen c'est de taper des mains et que à ce moment-là les enfants reprenaient le mouvement rythmé et que cela aidait à faire revenir le calme. Voyez je n'ai pas été aidée du tout, et c'était idiot de ne pas m'aider car la classe souffrait de mon manque de connaissances. Bientôt j'appris tout « sur le tas » des enfants en les observant et bientôt je devins une institutrice assez douée. Je pris donc ce poste à Bondy et n'ayant pas le temps de retourner au rectorat j'attendis le jeudi suivant pour m’y rendre. Lorsque je me présentai au rectorat je dis que j'avais déjà intégré mon poste à Bondy. Oui seulement je n'avais pas rendu mon dossier puisque je travaillais. Or je n'aurais pas dû travailler sans avoir rendu mon dossier. On ne savait pas qui j'étais, on ne savait pas si je n'étais pas tuberculeuse, on ne savait pas si mon casier était vierge. C'était une grossière erreur de m'avoir envoyée dans une affectation alors que j'étais inconnue des services puisque je n'avais pas rendu mon dossier. Cela se fit donc immédiatement, le jour même et je pus le lendemain rejoindre mon poste en toute légalité.

NOUVELLES D'UNE VIE

36 ans

Permis de conduire ?

J'avais 36 ans et j'entrepris de passer mon permis de conduire. Je m'adressai à une auto-école du 20ème près de chez nous. Pour le code ce fut assez facile, j'y arrivai du premier coup. Mais en ce qui concerne la conduite cela n'alla pas tout seul. Je faisais tellement de fautes que mon moniteur parlait tout le temps de me donner une fessée, ce que je n'appréciais pas trop. Quand il se fut agi de passer pour la première fois l'examen du permis de conduire je fis un si grand nombre de fautes que, évidemment, je fus recalée. L'examinateur me dit « ce que je ne peux pas vous pardonner après toutes les fautes que vous avez commises c’est d’avoir failli renverser ce Monsieur qui était au bord du trottoir en attendant de traverser et que vous avez frôlé ». Je n'avais aucun souvenir d'un homme au bord du trottoir et, en plus de cela, que j'avais frôlé. Il est vrai que je ne savais pas tenir ma ligne de conduite. Soit j’étais à 3 m des voitures en stationnement, soit je les rasais comme j'avais rasé le monsieur sur le bord du trottoir. Je crois que mon moniteur d'auto-école avait peur lorsque je prenais le volant à côté de lui. Une autre fois, alors que je passais l'examen pour la deuxième fois, j'étais très concentrée et à un moment donné l’examinateur me dit « vous devriez passer une vitesse malgré tout ». Je répondis « oui mais pour passer en troisième il faut prendre un peu de vitesse ». Ce à quoi il me fit remarquer « oui, seulement vous êtes toujours en première, alors passez au moins la seconde ». Finalement après le troisième échec (et Dieu sait si cela coûte cher des leçons de conduite ! Il vaut mieux passer son examen du premier coup. Moi je désespérais de l’avoir un jour). André, qui avait assisté à quelques leçons, me dit, « écoute, tu auras peut-être ton permis de conduire un jour mais moi je ne monterai pas dans la voiture et je ne veux pas non plus que quelqu'un d'autre de la famille y monte ». Après cela je n'avais plus tellement de raison de passer mon permis de conduire à part s'il fallait trouver une façon facile de me suicider, mais je n'en avais pas l'intention à cette époque. Après cela comme vraiment il était plus facile pour moi de me déplacer en voiture que de prendre les transports en commun nous achetâmes une petite voiture sans permis, pour moi. C'était le début des voitures sans permis chez Ligier qui avait sorti une petite boîte de conserve bleue. C'était une voiture qui ne ressemblait pas à une voiture mais à une boîte de jambon en conserve. J’eus beaucoup de déboires également avec cette petite voiture Ligier sans permis. Un jour j’avais certainement brûlé le feu rouge sans m'en apercevoir car je me retrouvai au milieu du carrefour avec à droite un quinze tonnes dont j'apercevais en hauteur le chauffeur qui me regardait et à gauche un autre camion du même genre avec un autre chauffeur qui me regardait, également très étonné certainement, du haut de sa cabine. Alors moi dans ma petite boîte de conserve bleue je passai entre les deux comme un canard tranquille passe entre deux éléphants. Une autre fois je me trouvai en bas de la côte de Neaufles-Saint-Martin en venant de Gisors. Et j'essayai de grimper cette côte avec ma Ligier. Mais je n'y arrivai pas. Elle n’avait pas assez de force ou d'élan et, comme la pente était importante, elle resta « en rade » après quelques mètres. Il fallut que mon mari vienne me dépanner. Je tombai d'ailleurs plusieurs fois en panne dans les côtes avec ma petite Ligier. Après quelques déboires de ce genre elle dormit dans le garage de la maison de Neaufles-Saint-Martin pendant des années. Et un jour parce qu'il pensait qu'elle nous encombrait André, sans m'en demander la permission, la donna gratuitement à un concessionnaire de voitures Ligier qui en avait besoin pour sa vitrine. Ce qui me rendit furieuse car j’y tenais à cette petite boîte de conserve et j’estimais qu’elle était à moi et qu’on ne devait pas en disposer sans mon accord.

5 ans

Marraine Jacqueline

Mon père a toujours refusé catégoriquement et a empêché que je sois en relation avec quiconque me parlerait de religion. Il désirait que je n'ai aucune religion. Lui-même après avoir été enfant de chœur, devenu communiste, avait tourné le dos de façon très agressive à l'Église. Mais j'avais malgré tout été baptisée à la naissance sans doute à cause du fait que c'était ma grand-mère qui devait m'élever. Or à cinq ans je savais déjà lire car une institutrice qui habitait notre immeuble avec sa mère m'avait reçue en cours particuliers et m'avait appris à lire par la méthode syllabique. Je me souviens que je détestais aller chez elle. C'était très triste et elle était exigeante et peu commode même envers la gamine de cinq ans que j'étais. Je me souviens qu'à l'heure des informations elle allumait la radio. À chaque fois je me disais « pourvu qu'elle ne l'éteigne pas lorsque ce seront les chansons ». Hélas jamais une seule fois elle ne m'a permis d'écouter quelques chansons. C'était triste et le studio où elle vivait avec sa mère au rez-de-chaussée était aussi d’une grande sévérité et d'une grande tristesse. Malgré tout j'ai appris à lire de cette façon-là car cette institutrice pensait qu'il fallait que je sache lire avant de rentrer au cours préparatoire. Tout cela pour expliquer que je n'eus aucun mal à lire ce que ma marraine de baptême me fit parvenir par l'intermédiaire de ma grand-mère. C'était un catéchisme comme il en existait dans le temps avec questions et réponses et vraiment pas de façon ludique comme on le fait maintenant. Pourtant, était-ce un signe du Seigneur, moi qui avais été élevée sans qu’on ne mentionne jamais le nom de Jésus à la maison je me pris de passion en lisant ce catéchisme qui n'était certainement pas destiné à quelqu'un d’aussi jeune que je l’étais. Je découvris tout un monde. Je rencontrai la personne de Jésus à cet âge tendre et je fus émerveillée, subjuguée et de « petit bouchon » c’est ainsi que mes parents m’appelaient, je devins « petit bouchon » chrétien. Tous les jours je lisais ce catéchisme. Cela n'allait pas vite évidemment car je savais lire, bien sûr, mais encore assez lentement. Tous les jours je lisais un chapitre de ce catéchisme et je me souviens que dans ma tête de petite fille, toute petite que j'étais, un gros problème s'installa. Je me souviens de peu de choses de cet âge-là mais ce qui m'est arrivé alors et que j’avais oublié pendant des dizaines d'années m’est revenu de façon très claire comme si c'était hier après que j'ai fait ma première communion à l’âge de trente ans. Et voilà ce qui se passait. Dans ma tête d’enfant j'avais un dilemme. Car j'avais déjà toujours pensé que je serais heureuse de me marier et d'avoir des enfants comme il est naturel et comme on pense que c'est sa destinée lorsque l'on a cinq ans. Mais voilà que je découvrais quelqu'un qui s'appelait Jésus et auquel je m'attachais de façon émerveillée. Alors que faire ? Devais-je me marier et avoir des enfants ou devais-je devenir sœur ? Devenir sœur ne me plaisait pas trop. Je trouvais cela triste. Mais lorsque l'on est pris de passion à cinq ans pour quelqu'un on imagine mal que l'on puisse avoir un autre destin que celui d'être toujours avec lui. Et c'était le dilemme qui m'occupait. Allais-je devenir une épouse et une mère ou bien allais-je devenir une sœur dans un couvent ? En fait j'échappai à ce dilemme par le fait que naïvement je parlai de l'attrait que me causait ce livre de catéchisme non seulement à ma grand-mère mais aussi à mes parents. Ma grand-mère ne fit rien pour m'empêcher de continuer ce livre et de le lire jusqu'au bout. Mais ce fut bien autre chose en ce qui concerne mon père, agnostique et hostile à la religion et à l'Église. Un matin je ne trouvai plus mon livre, mon catéchisme. Qu’était-il devenu ? Là où je le laissais lorsque je ne le lisais pas il n’y était plus. Je cherchai partout et j'interrogeai les membres de ma famille. Ma grand-mère me dit qu'elle ne savait pas où il était. Ma mère me disputa, alors qu'elle était tout à fait au courant du sort qui avait été fait de mon catéchisme, en me disant que c'était ma faute si je l'avais perdu et que je n'avais qu'à ranger mes affaires. Quant à mon père il eut un air ironique et ne m’aida pas non plus. Je cherchai, je cherchai assidûment ce livre pendant quelques jours. Ce fut une vraie déception de ne pas le trouver. Mais j'avais cinq ans et à cinq ans on peut oublier beaucoup de choses très rapidement. Et j'oubliais ce livre, j’oubliais ce que j'avais lu dans ce livre, ensuite je dus aller l'année suivante à l'école, je ne pensais plus du tout à ce catéchisme. L'idée de me faire sœur ne reposait plus sur rien et elle fut abandonnée très rapidement. Était-ce une petite piqûre d'amour que le Christ avait envoyée à la mioche que j'étais ? Je ne devais pas le rencontrer avant des dizaines d'années et j'avais complètement oublié ce qu'il m'avait appris dans ce catéchisme. Je devais le rencontrer au cours de situations dramatiques car Lui ne m'avait pas oubliée et il m'aida à surmonter des tragédies. Quant à ma marraine je pense qu’elle s’est faite copieusement disputée par mon père par le fait que, sachant son opposition à mon enseignement religieux, elle avait passé outre et m'avait fait transmettre un catéchisme sans autre explication. Ma marraine Jacqueline je l'aimais beaucoup. À cause d'elle cependant je n'ai pas de parrain. En effet lorsque l'on eut décidé de me baptiser alors que j'étais encore un nourrisson, nous l’avions, mes parents et ma grand-mère toute ma famille, pressentie pour être ma marraine. Elle était la fille d'une amie très chrétienne de ma grand-mère. Et, amoureuse d'un jeune soldat, elle nous avait convaincu qu'il devait être le parrain. Elle se voyait déjà mariée à ce jeune conscrit. En fait lorsqu'il eut accepté de devenir mon parrain il disparut rapidement de la vie de ma marraine Jacqueline et le jour du baptême il n’y avait pas de parrain pour moi. Je n'ai eu donc que cette marraine. C'était une femme enfant, délicieuse mais assez naïve. J'aurais aimé la voir plus souvent. Mais vous comprenez que dans les circonstances où j'étais dans ma famille elle n'étais pas vis-à-vis de mes parents la bienvenue. Je me souviens que cependant un jour où j'étais adolescente mes parents et ma grand-mère devant se rendre dans un lieu dont je ne me souviens plus où ils ne pouvaient pas m’emmener avaient cherché désespérément qui pourrait se charger de moi pendant leur voyage. Ils eurent l'idée de faire appel à ma marraine Jacqueline. À l'époque elle était mariée. Elle s’est mariée tardivement et justement son mari était lui aussi en déplacement. Nous nous retrouvâmes toutes les deux comme deux grandes copines. Je devais avoir onze ans. Elle était joyeuse. C’était comme un petit oiseau qui chantait et elle riait beaucoup. Certainement qu'elle avait un cœur chrétien ce qui la rendait très douce, très joyeuse et un peu enfant. Nous partageâmes son grand lit. J'étais profondément endormie lorsqu'il se passa un fait amusant que je ne connus que le lendemain matin lorsqu’elle me réveilla. Elle me dit « tu n'as pas entendu cette nuit ? », je répondis que non. Que s'était-il passé cette nuit ? En fait elle m'expliqua qu’un SDF saoul avait fait du chahut sous nos fenêtres et avait crié « qu'est-ce qui tombe de là-haut, c’est y du pipi ou de l’eau ? ». Ce qui s'était passé c'est qu'il chantait en réveillant tout l’immeuble et qu’une personne, une voisine, lui avait balancé du liquide sur la tête. Il était mécontent et avait peur qu'il s'agisse du contenu d'un pot de chambre. Oui nous avons beaucoup ri de cette anecdote et nous nous sommes retrouvées comme deux adolescentes complices et joyeuses. Non je ne l'ai pas vue souvent ma marraine Jacqueline. À présent elle est décédée et je regrette de l'avoir si peu connue.

NOUVELLES D'UNE VIE
12 ans
Mes profs d’histoire

S'il y a quelqu'un, s’il y a un professeur de lycée dont je me souviens avec beaucoup de sympathie et même d'amitié c'est bien Mademoiselle Radaulonce. Mademoiselle Radaulonce avait un accent du Midi. C’était une femme d'une belle ampleur. Elle avait les yeux qui roulent et le sourire à enchanter le monde. Cette année-là c'était mon année de redoublement de la cinquième (j'avais perdu ma mame chérie l'année précédente et beaucoup manqué l'école à cause de ce drame) Mademoiselle Radaulonce m’était tellement sympathique que me replonger encore dans l'histoire de Rome ne me posa aucun désagrément mais bien beaucoup de plaisir. Je connaissais mon livre d'histoire sur le bout des doigts. Un jour mon père à qui j'avais demandé de me faire réviser ma leçon en fut baba. Il commença à me lire une phrase et je le repris en disant que ce n'était pas exactement cela qui était écrit dans le livre d'histoire. Il y avait un détail qu'il avait omis. C'était un tout petit détail mais moi je connaissais tout par cœur. Un jour Mademoiselle Radaulonce nous emmena au Louvre. Les parents étaient invités à surveiller cette sortie comme cela se fait toujours de nos jours. Mademoiselle Radaulonce avait de la sympathie pour moi. Le jour de la sortie au Louvre elle marchait entre deux mamans, la mienne à droite et la maman d'une camarade à gauche. Alors voilà qu’elle se penche vers l'autre maman et elle lui déclare en voulant être aimable : « Oh qu’elle est gentille cette petite Irène, oh je l'aime bien moi votre fille, cette petite Irène ». La maman fut étonnée et il faut le dire assez mécontente et elle répliqua « Oh mais vous savez mademoiselle, la mienne aussi est gentille même si elle est plus grande ». Mademoiselle Radaulonce se rendit compte de son erreur. Alors elle répliqua « oh mais oui madame elle est vraiment très gentille votre fille, vraiment très gentille ». Et puis elle se tourna vers maman qui était de l'autre côté, qui était à sa droite et elle dit « j'ai fait une gaffe ». Mademoiselle Radaulonce était souvent moquée par mes camarades. Elle était d'un bel embonpoint ce qui était cause de moqueries et on la moquait aussi car lorsqu'elle était enrhumée elle s'essuyait le nez avec le bas de son manteau. Cette année-là je fus préposée à aller chercher les cartes pour les cours de géographie. Un jour que j'avais à aller chercher une carte et que je disposais de très peu de temps pour cela entre deux cours j'arrivais cinq minutes après que le cours de géographie de Mademoiselle Radaulonce avait commencé. J'installai la carte. Mais je n'avais pas eu le temps d'enfiler ma blouse. Nous avions toutes une blouse vichy écru avec notre nom brodé en rouge sur notre poitrine. La blouse que j'avais cette année-là s’enfilait par le bas car elle était fermée à partir du genou. Je m'assis le plus discrètement que je pus à ma place et je tirai de mon sac, de mon cartable, ma blouse et je l'enfilai en restant assise, par les pieds, et je la montai discrètement, comme je pouvais, pour enfiler ensuite les manches. Mademoiselle Radaulonce avait tourné son regard vers moi et ce regard marquait un étonnement tellement grand que s'en était une stupéfaction. Je me demandais pourquoi elle me regardait avec ces yeux agrandis. J’eus bientôt la révélation de son attitude. Elle me posa la question avec l’accent du midi : « Qu'est-ce ce que vous faites Irène ? » Je répondis « Mademoiselle je mets ma blouse ». Alors elle éclata d'un grand rire et elle me donna l'explication que j'attendais, mais qui était extraordinaire. Elle me dit « Ah je croaillais queu vous mettiez des culooottes. », toute la classe se mit à rire et je n'oublierai jamais ce moment-là. À la fin de l'année j'eus le premier prix d'histoire. J'étais une redoublante mais malgré tout j'étais tellement passionnée d'histoire et attachée à mon professeur que je crois que j'aurais été, avec elle, première de la classe dans n’importe quelle matière qu'elle aurait enseignée. L'année suivante je vécus le contraire de ce que Mademoiselle Radaulonce avec son affection maternelle m'avait offert. Je tombais sous la coupe de Mademoiselle Devone. Encore une demoiselle mais bien différente de celle que j'avais eue l’année précédente. Mademoiselle Devone avait le cœur sec. Elle était méprisante envers les enfants qui, comme moi, n'étaient pas d'un milieux bourgeois. Elle haïssait les autres, les enfants de pauvres avec une facilité que son mépris lui permettait. Lorsque sur l'estrade on ne savait pas exactement sa leçon alors que l'on était interrogé elle vous lançait le cahier à la figure ou à la tête. Mais parfois on n’arrivait pas à le rattraper. Alors elle vous mettait zéro. Si on arrivait à le rattraper on avait un point au lieu de zéro. Un matin me voilà interrogée sur l’estrade. Ce prof odieux me demanda : « Comment vous appelez-vous ? » Je répondis « Maccagni, mademoiselle » « Comment ? »glapit-elle « Maccagni, mademoiselle ». « Ah oui, fait cette furie, Maccagni, gna, gna, gna ».Un jour que, comme dans tous les cours où elle enseignait, le silence était épais comme peut l'être une nuit sans lune et alors qu'elle écrivait au tableau elle se retourna soudain pleine de colère. Nous ne comprenions pas pourquoi car on aurait pu entendre une mouche voler dans la classe. Elle s'écria avec une irritation méchante. : « Ah vous vous moquez de moi parce que j’ai les bas qui tournent, eh bien interrogation écrite ». J'avais les plus mauvaises notes du monde. Alors que l'année précédente j'avais eu le premier prix d'histoire cette année-là je passais des heures à apprendre mes leçons sans en retenir un mot. Le lendemain après avoir vainement essayé de connaître de quoi parlait la leçon du jour, (car j'étais dans un état de maladie créée par la peur que cette femme m'occasionnait) le lendemain matin à chaque fois lorsqu'il fallait entrer en classe dans son cours j'avais la « chiasse ». J'étais dans un état de liquéfaction incroyable. Je suais, je pissais dans ma culotte et si je n'avais pas été au cabinet juste 'avant j'avais la « chiasse » aussi dans ma culotte. Une terreur ! Cette femme m'inspirait la terreur. Un jour où les parents pouvaient visiter l'école et où je me trouvais à côté de ma mère, elle était à la fenêtre de l'entresol de la salle des maîtresses. Je dis à Maman « tiens regarde c'est mon prof d'histoire ». Elle nous regarde et maman se permet de dire « Ah madame vous êtes le professeur de ma fille ». Cette odieuse femme réplique « Ah je crois qu'elle se moque de moi Madame » et sans autre mot de politesse elle tourne le dos et nous abandonne toutes les deux après ces paroles odieuses et méchantes. Je crois que c'est cette année-là que je suis devenue nulle en histoire et géographie et ce défaut de savoir et de curiosité ne m'a jamais quittée. C'est à un tel point que je suis incapable de rien connaître en histoire et géographie et même si avec ma famille j'ai visité le pays dont on parle. Mais Mademoiselle Devone avait malgré tout des « chouchoutes ». Il y avait la fille d’un général et celle d’un haut fonctionnaire, chercher l’erreur.

39 ans
La directrice de la rue Samouline

Mes collègues à Samouline avaient l'habitude de beaucoup critiquer les parents d'élèves. Il est vrai que souvent nous sommes en but, nous les institutrices, aux critiques des parents d'élèves et même lorsque ces critiques sont sans fondement. Mais il faut comprendre les gens qui confient leurs enfants à des institutrices que, au début de l'année, elle ne connaissent pas. Dans mon cas, en cas de conflit, les choses s'arrangeaient au fil de l'année et en fonction des réponses que je donnais aux parents à leur attente parfois angoissée. Je me souviens d'une dame qui avait des problèmes, un peu de névrose peut-être. Elle avait tout le temps peur pour son enfant. Elle oubliait ce qu’on lui avait dit la veille et venait sans cesse poser des questions, toujours les mêmes, à la directrice et aux institutrices, sans avoir l'air de comprendre la réponse ou d'en tenir compte. Sa fille faisait partie d’une classe proche de la mienne. Elle ne fut jamais mon élève mais je savais, en parlant avec ma collègue, que c’était une enfant sage. Je me disais, à part moi, que cette maman avait bien des ennuis et j'avais résolu d'être très aimable avec elle et d'essayer de l'aider même si elle était assez, comme on dit, « barbante ». Je me souviens qu'elle avait un gros chien et que dans le quartier lorsqu'elle le promenait nous nous rencontrions et parlions quelques instants. Malgré ses difficultés je la trouvais sympathique et j’aimais à discuter quelques instants avec elle. Mais ce n'était pas l'attitude que mes collègues et de la directrice. Lorsque cette dame venait, pour essayer de discuter, la directrice la recevait très mal et l'institutrice de sa fille également. Après cela toutes les deux se plaignaient de cette pauvre dame et la tournaient en dérision. Je trouvais cela peu sympathique surtout envers une dame qui, à l'évidence, avait du mal à vivre. Un jour j'entendis, alors que nous montions l'escalier, la classe de ma collègue suivant la mienne, un bruit qui ressemblait fort à celui d’une gifle. J'en eus la conviction lorsque j'entendis la directrice clamer à l'intention de l'enfant qui venait d'être battu : « et surtout ne le dis pas à ta mère ! tu entends ? ». Je n'aimais pas ces façons de faire de mes collègues envers les enfants. Une autre fois j'entendis la directrice, toujours elle, (et je pense qu'elle n'avait pas le cœur sur la main) dire : « Évidemment avec les parents que tu as ce n'est pas étonnant que tu sois aussi idiot ». Je déplorais toute cette ambiance qui n'avait pas lieu de régner dans une équipe d'enseignants et avec des enfants. C'est pourquoi très, très souvent, au moins à chaque fois que j'entendais mes collègues critiquer les parents, (souvent pendant l'interclasse du déjeuner) j'avais coutume de défendre ces pauvres parents d'élèves qui avaient certainement besoin de plus de compréhension et de moins de jugements négatifs. Donc je disais, tout en restant aimable avec mes collègues : « vous savez cette dame n'est pas si antipathique que vous le dites ». Et je trouvais toujours un argumentaire pour défendre les gens. Cela ne me valait rien du tout sur le plan personnel. La directrice avait pris l'habitude lorsque j'essayais de parler ainsi de me rétorquer : « Ah oui évidemment avec vous tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». Je ne sais pas si je suis indulgente mais en tout cas j'ai plus de plaisir à vivre en montrant de la sympathie envers les autres qu’en les rejetant et en les agressant. Dans cette école je me sentais assez isolée il faut le dire. Une année une institutrice avec laquelle je m'entendais très bien vint s’installer dans la classe voisine de la mienne. Elle, elle ne supportait pas du tout l'ambiance de l'école et elle s'en plaignait. Malheureusement alors que nous nous entendions très bien et avions même collaboré pour certaines leçons et certains exercices, j’eus le désagrément de la voir quitter notre école pour une autre. J’aurais peut-être dû le faire aussi. Mais j'habitais à deux pas de cette école et je pouvais venir facilement à pied. Je pouvais aussi rentrer, les jours où je le désirais, chez moi pendant l'interclasse. Je n’étais pas très aimée, étant différente des autres et, même sans les critiquer ouvertement, et même en essayant d’être une excellente camarade, j’étais parfois rejetée. Lorsque j'arrivais dans la salle des maîtresses, parfois les conversations s'arrêtaient et je savais ainsi que des langues bien pendues s'étaient répandues en désagréables propos sur ma tête. Tout cela ne m'affectait pas énormément car moi, ma vie, elle était dans la classe avec les gamins, avec mes gamins et c’est d’eux que je recevais le bonheur de vivre. Au moins ils n'avaient pas l’âge d'être médisants et lorsqu'ils se montraient méchants je pouvais aisément et avec amour, (l'amour d’une maîtresse, pas celle d'une mère, mais il y a de l'affection quand même) leur montrer que ce n'était pas une bonne chose. Un jour, c'était juste avant Noël, j'avais avec mes enfants décoré la classe et les couloirs de l'école qui longeait la classe. Nous avions beaucoup travaillé, les enfants et moi. Nous nous étions donnés de la peine. Tout était magnifique. Il y avait des dessins, il y avait des peintures, il y avait des arbustes colorés et décorés et tout cela sur le thème de Noël, c'est-à-dire à l'école laïque, sur le thème des cadeaux du sapin et du père Noël. On avait beaucoup ri avec les gosses et on était très heureux de cette belle réussite. À l’école maternelle c'est une tradition de rendre la classe et aussi les couloirs de l'école, féeriques pour Noël. Cela n'avait rien de nouveau que nous ayons avec les gamins fait des couloirs une galerie d'art. Et voilà que la directrice passe devant la classe, alors que j'étais dans le couloir à accrocher des dessins. Je lui dis : « voyez comme nous avons bien travaillé avec les enfants, voyez comme notre couloir est beau ! ». Elle me regarde d'un air mécontent, vraiment fâché auquel je ne comprends rien et me dit. « Vous êtes fière de vous peut-être ! » Je ne peux m'empêcher de répliquer : « Ben oui Madame, évidemment. Nous avons beaucoup, beaucoup travaillé et le résultat nous enchante ». La directrice me regarde d'un œil noir et me dit « Ah et pour Dany, pour votre collègue, vous trouvez que c'est bien ? » Je ne comprenais pas. En fait ce qu'elle voulait me dire c'est que comme ma collègue, ayant eu d'autres centres d'intérêt, n'avait pas décoré son couloir, ce qui évidemment pouvait, à la rigueur, peut-être, on ne sait jamais, contrarier les parents, (mais les parent avaient bien vu le travail différent mais important qu’elle avait fait par ailleurs) je n'aurais pas dû moi travailler avec les enfants de ma classe et décorer les couloirs. Parce que ma collègue n'avait pas fait ce travail, moi je ne devais pas non plus faire travailler mes enfants, (ce pourquoi on me paye forcément) dans la joie de Noël. Je trouvais le raisonnement de ma directrice assez injuste et stupéfiant. Je ne lui dis plus jamais rien lorsque je remportais une réussite avec les enfants de ma classe. Je n'étais pas aimée sauf des enfants et de leurs parents. Je n'étais pas appréciée de mes collègues. Je saurai plus tard pourquoi, bien que j'en ai eu dès à présent une idée. Mais comment comprendre que l'on vous déteste alors que vous, vous aimez les autres ? Comment comprendre que c'est justement parce que vous aimez les autres et que vous avez à cœur de les défendre et de les aider que vous êtes détestée. Les moutons sont presque tous blancs et lorsqu'il y en a un noir les blancs le chassent du troupeau. Cela allait avoir pour moi des conséquences dramatiques mais je vous en parlerai plus tard. Il y avait malgré tout des choses assez amusantes quoique ne l'étant pas du tout.

 

37 ans
Des voitures et des pierres – Paris

Lorsque je surveillais la récréation j'avais l'habitude d'aller de long en large, d'avoir les yeux partout, c'était pour moi important d'empêcher que de graves sottises se passent et d'assurer au groupe des enfants en récréation une protection par la surveillance. Car lorsque vous laissez dans une grande cour six ou sept classes sous la surveillance d'une seule personne, si cette personne ne fait pas bien son travail il peut arriver des accidents, ce qui n'est pas souhaitable, et moi j'estime que si la personne qui doit surveiller ne le fait pas elle est répréhensible. Or dans cette cour j'étais la seule ou à peu près, (évidemment sauf Oriane mais elle n'est restée qu'un an) j'étais la seule à assurer une bonne surveillance. Pour cela, au lieu de me reposer en m’asseyant dans un coin, j'allais de long en large ce qui évidemment était fatigant mais c'était mon travail. Donc pendant les récréations que j’assurais il ne se passait rien de grave. Mais pendant toutes les autres récréations qui étaient surveillées par mes collègues, les enfants se sentant libres de faire des bêtises, en faisaient une à chaque fois qui avait des conséquences, de très mauvaises conséquences. La cour était séparée de celle de l'immeuble voisin par un muret insuffisamment haut qui surplombait la cour de cet immeuble voisin où des voitures étaient garées. Or nous avions dans la cour des bacs à sable où jouaient les enfants de notre école. Au fond de ces deux grands bacs à sable des grosses pierres permettaient de drainer l'humidité. Les enfants avaient trouvé un jeu qui leur paraissait très amusant. Ils déterraient les gros cailloux et ils allaient les jeter par-dessus le muret qui nous séparait du parking de l'immeuble voisin et les pierres tombaient sur les voitures. Il y eut des pare-brises cassés, il y eut des carrosseries endommagées. Cela ne se serait pas produit si la cour avait été bien surveillée. Lorsque les propriétaires des voitures endommagées venaient trouver la directrice et les institutrices pour se plaindre des dégâts occasionnés, parfois graves, ils se faisaient copieusement disputer. On leur disait qu'ils ne savaient pas ce qu’était un enfant. Qu’on ne pouvait rien faire pour eux. Que ce n'était pas la peine de revenir. Et que rien ne prouvait que c'étaient les pierres lancées par les élèves qui avaient cassé les pare-brises. Ensuite ils étaient poussés vers la sortie assez rudement. Et les institutrices entre elles disaient du mal des propriétaires des voitures qui, à leur idée, étaient des « mauvais coucheurs » et se plaignaient pour rien et qu'ils n'avaient, si cela ne leur plaisait pas, qu’à déplacer leurs voitures. Voici le genre de choses amusantes que j'ai pu connaître dans cette école. En ce qui concerne les propriétaires des voitures j'ai, au début, essayé de faire comprendre à mes collègues que nous étions en faute malgré tout. Mais quand j’ai été confrontée à leur réaction assez violente pour me disputer à mon tour, je me suis tue. Et les voitures ont continué à avoir des bosses et des pare-brises cassés.

NOUVELLES D'UNE VIE
27 ans
Du studio au 3 pièces

Nous habitions tous les trois dans un studio que nous avions mis plusieurs mois à trouver et à habiter. Notre enfant était encore un bébé et je devais faire beaucoup de biberons pour la journée. Je ne voulais pas employer la « méthode Milton » qui permet, à froid, de stériliser les verres. J'avais peur que ce produit et ses résidus se mélangent au lait et ne soient nocifs pour le bébé. Je faisais donc, à l'ancienne, bouillir les biberons avant de les remplir de lait. Mais évidemment cela faisait beaucoup, beaucoup de buée. Or le coin cuisine de ce studio était à un bout de la pièce et la porte-fenêtre avec une large vitre coulissante était à l'autre extrémité. Cependant les vapeurs devaient traverser toute la pièce avant de s'évacuer à l’extérieur et il y avait tant d'humidité dans cette pièce, du fait que je faisais bouillir les biberons, que des moisissures étaient apparues sur le papier qui recouvrait les murs. J’étais inquiète, ce n'était pas sain pour un tout petit enfant dont le berceau ne pouvait être mis ailleurs que dans cette pièce puisqu'il n'y en avait qu'une seule. Je m'affolai et nous prévînmes le propriétaire. Celui-ci voulut faire des travaux mais c'était encore pire que ce que je craignais car faire des travaux à côté d'un tout petit enfant encore au berceau cela allait être très, très, très nocif pour l'enfant. Je ne voulais pas de cela. Mais le syndic l'exigea ou sinon nous devrions partir. J’étais désespérée, je pleurais. Nous cherchâmes un autre logement, nous voulions aller ailleurs, déménager. Nous avions peu d'argent et il nous fallait une location alors que les locations étaient de plus en plus rares, surtout pour le prix que nous pouvions mettre. Nous cherchions désespérément. Après son travail André allait d’agence en agence pour trouver de quoi nous loger et nous devions le faire rapidement car le syndic menaçait de nous jeter dehors si nous n'acceptions pas les travaux de remise en état de notre appartement. Un jour, nous venions de déjeuner, c'était un samedi, je pleurais. Que va-t-il nous arriver, qu'allons-nous devenir, que faire ? André « en avait marre » de me voir pleurer, de me voir désespérée. La vie n'était plus tenable, la vie n'était plus possible, il n'y avait à la maison que des pleurs, des désespérances et de la peur et nous avions peu d’amis et de famille, personne qui puisse nous aider, nous accueillir quelque temps pendant les travaux. Après le repas, me voyant si désespérée, il me dit « bon je sors je vais chercher un appartement pour nous ». Si j’avais pu rire j’aurais ri car c'était ridicule. Cela faisait des mois que nous cherchions et que nous allions d'échec en échec, des mois que j'avais de plus en plus peur de l'avenir et mon mari parlait de trouver en une après-midi un appartement, introuvable nous l'avions bien compris. Cependant il était bien décidé à trouver un problématique appartement et il partit en quête de celui-ci. Je restai seule, je pleurai. Seule, j’étais encore plus désespérée. J’allais jusqu'au berceau. Je disais des paroles consolantes pour cette enfant qui vivait dans une ambiance de terreur et de désolation. Et j'avais bien conscience que pour lui aussi cette ambiance-là était dramatique. Je fis le menu brin de vaisselle. J'avais le cœur dans les talons. Et puis deux heures plus tard voici André qui revint. Il entra, il dit, « bon ça va j'ai trouvé » « et qu'est-ce que tu as trouvé ? » « J’ai trouvé un appartement pour nous où nous pouvons emménager très rapidement. » Je demandai : « Cet appartement c'est un studio ? Où est-ce ? » « C'est un trois pièces » « Mais tu es fou, jamais nous n'aurons suffisamment pour payer un trois pièces ». « Cela ira. Les charges ne sont pas exceptionnelles et nous pourrons payer ». «  Mais qu'est-ce que c'est ? » « Et bien j’ai été dans une agence pas très loin d'ici et il y avait un trois-pièces qui cherchait un locataire d'urgence. En fait une dame s'était engagée à emménager dans cet appartement qui avait été refait à neuf mais voici qu’elle est envoyée en province pour son travail. Alors elle cherchait quelqu'un pour reprendre la location de façon ultrarapide pour ne pas perdre la caution qu'elle avait donnée. Je me suis trouvé là, je me suis engagé pour retenir ce 3 pièces pendant trois jours. Ce n'est pas très loin d'ici, c'est en face l'hôpital Tenon. Il faut aller le visiter ». « Tu l’as vu ? » «Non je ne l'ai pas vu, j'ai pris rendez-vous pour demain matin pour que nous puissions le visiter tous les deux ». « Non, pas demain matin, allons-y tout de suite, est-ce que c'est possible ? » « Oh oui c'est certainement possible, si tu veux nous y allons tout de suite. » J’étais fébrile, je pris mon manteau, j'enveloppai le bébé dans une couverture et nous partîmes visiter ce château, ce merveilleux cadeau du ciel. L’appartement était magnifique. Il s'agissait d'un double living, plus une chambre, la salle de bains était grande, la cuisine aussi. C'était très clair, il n'y avait besoin d'aucuns travaux. Jamais, jamais je n'aurais espéré, osé espérer pouvoir trouver un tel appartement pour nous qui étions si démunis d'argent. Nous laisserions la chambre à notre enfant. Nous mettrions notre divan dans le double living. Nous séparerions la pièce principale par un rideau de façon à faire deux pièces à nouveau. À l’époque je n’étais pas chrétienne mais sans doute étions-nous déjà protégés par le Ciel. Toi qui seras mon Dieu et que je ne connaissais pas encore, merci. Ce concours de circonstances fut certainement miraculeux mais je ne le savais pas encore. Plus tard j’y réfléchirai, plus tard je me dirai « oui Tu étais là ce jour-là, merci mon Dieu ».

62 ans
Père Asclif et Judas

À l'église Notre-Dame de Lourdes nous avions un curé qui avait beaucoup de caractère, comme l'on dit, c'était un homme qui ne supportait pas la contradiction et qui était d'une nature très colérique. Et cette contradiction j'ai été moi amenée à la lui opposer. Pendant la messe il nous avait parlé des apôtres et à la fois de Pierre, de Jean et aussi de Judas. Naturellement il critiquait Judas le traître. Ce qui est normal. Mais à la fin de la messe il nous posa cette question : « qui d'entre vous, s'il fallait choisir un apôtre, aurait de la sympathie pour Judas ? » Or, en ce qui me concerne, j'ai beaucoup pitié de Judas. Il est tellement humain ce Judas qui a trahi le Christ et qui a eu après cela un tel remords qu'il en est mort suicidé. Nous lui ressemblons tellement à ce Judas car aucun de nous n'est parfait, aucun de nous ne peut dire : jamais je ne trahirai. Oh bien sûr on peut penser que ce serait difficile en fonction de notre caractère de fauter aussi gravement. Mais il y en a tellement parmi nous, qui ne sont pas plus mauvais que d’autres, qui se sont laissés aller à commettre des péchés parfois graves. Même les braves gens en sont capables. Cela dépend de la vie que l'on a eue et qui n'était pas forcément celle que l'on avait souhaitée et qui pouvait se trouver emplie d’embûches et de difficultés qui changent le caractère et la route que l'on s'est tracée. Donc je n'avais pas aimé cette remarque du père souvent trop sûr de lui mais non des autres. Il manquait de compréhension pour les gens faibles comme ce Judas. Après la messe le voici qui sortit pour dire au revoir aux paroissiens qui retournaient chez eux. Il était descendu jusque sur le trottoir et c'est là que je vins le trouver. Je lui dis « mon père il faut que je vous dise ceci. Vous avez demandé qui aurait de la sympathie pour Judas de préférence aux autres apôtres et bien moi je peux vous le dire je suis de ceux-là ». Le père Asclif ne l'entendit pas de la bonne oreille. Il me dit « comment pouvez-vous avoir de la sympathie pour ce traître ? ». Je lui dis « mon père ce traître a bien payé sa faute et a donné plus que les autres car si Pierre a donné sa vie terrestre, Judas a risqué sa vie éternelle et peut-être n'entrera-t-il pas au paradis alors qu’il a joué le mauvais rôle. Il était celui qui trahirait, mais c'était écrit qu’il y aurait un traître afin que Jésus puisse nous donner sa vie dans les souffrances, c'est quelque chose qui était écrit n’est-ce pas ? » Le père Asclif ne souscrivit pas à mon opinion et il commença à se fâcher et il dit « Pierre a suivi le Christ, il a trahi c'est vrai en disant trois fois qu'il ne connaissait pas Jésus mais lui il s’est repenti et ainsi il a pu être sauvé ». J’étais fâchée par un tel manque de compréhension humaine. Je dis « oui parce que vous pensez que Judas lui il ne s’est pas repenti, il s'est suicidé tellement cela lui faisait mal d'avoir commis sa faute. Vous trouvez vraiment que c'est amusant de se suicider, que c’est une chose qui peut vous remonter le moral ? » Le père Asclif se mit à hausser le ton, il me dit « vous n'y connaissez rien. Judas est en faute il a trahi le Christ. Il a mérité ce qui lui est arrivé, c'est-à-dire la damnation éternelle ». J’étais furieuse d'entendre de tels propos et puisqu'il avait haussé le ton à mon tour je parlai plus fort que lui et je défendis mon ami Judas. Et ainsi nous étions dans la rue tous les deux,  l’un en face de l'autre à nous disputer bruyamment en criant. Autour de nous les paroissiens étaient sortis et avaient été attirés par ce petit scandale. Ils me réprouvaient. Comment moi une petite paroissienne de rien du tout comment est-ce que j’osais tenir tête au père et prétendre en connaître plus que lui et aussi crier au lieu de me soumettre. J'entendis des petites dames autour de nous qui nous regardaient et qui faisaient « Oh, oh, oh » parce qu’elles étaient choquées que j'ose tenir tête au père. Finalement je dis au père « vous ne connaissez rien à la misère humaine, vous ne connaissez rien à la faiblesse des âmes, j'en sais plus que vous sur cela et je suis plus proche de Christ pour cela ». Il était furieux, nous nous agonisions, pas d'injures, mais en parlant de bons sentiments chacun croyait tenir le bon bout. Si j’étais si véhémente c'est que j’avais longuement pensé à qui était Judas, j’avais longuement réfléchi à ce fait qui m'a percutée, pourquoi lui qui aimait le Christ pourquoi s'est-il cru obligé de le trahir, c’est un point d’étude théologique qui, encore aujourd'hui est discuté. Et moi je n'avais vu dans cette trahison puis cette pendaison que faiblesse humaine et je pensais moi que Christ lui a pardonné. En tout cas je lui demandais moi de lui pardonner à ce traître qui s'était cru obligé alors qu'il l’aimait de le trahir. J'avais même écrit un texte là-dessus j'avais même écrit un texte où on voit Judas trahir puis partir et connaître un désarroi extrême et se poser des questions jusqu'à arriver à cet arbre fatal où il finira avec son désespoir et sa honte. Mais évidemment le lendemain j’étais bien ennuyée de m’être fâchée avec le père qui était tout de même le curé de notre paroisse. Je l'avais offensé parce que je tenais à défendre quelqu'un qui ressemble à tous les hommes dans leur imperfection et Dieu sait combien cette imperfection peut parfois causer de désordre, de mal, comme il en a été ce jour-là où Christ a marché vers son destin fatal et douloureux. Que faire ? Je ne tenais pas à m'excuser, il s'était agi ici d'un point non pas de doctrine mais de compréhension de l'homme, d'amour de l'homme je ne pouvais pas m'excuser. Ce serait si je m'excusais trahir des idées qui me sont chères et qui me dépassent. J’allai trouver le curé de la paroisse du Cœur eucharistique que je connaissais aussi. Sous couvert de me confesser je raconta l’histoire. Et je lui demandai ce que je devais faire pour, sans m’excuser car ce ne serait pas heureux pour mes idées, me réconcilier avec le père. Le curé de cette église me dit « vous savez le père est un homme intelligent et qui n'a pas de rancune, je pense que si vous l’invitez à dîner vous pourrez ainsi vous expliquer et que vous passerez une très bonne soirée ». Je trouvai l’idée intéressante et bonne et j’allai trouver le père en lui disant « je suis désolée de ce que nous ayons été en opposition ce jour-là et je voudrais, pour réparer notre sympathie, que vous veniez dîner à la maison un soir de votre choix cette semaine ou l'autre semaine ». Le père accepta volontiers. Et ce soir-là nous passâmes de façon amicale et fraternelle, une très bonne soirée. Je lui avais fait un bon petit plat, j’avais soigné le repas et le couvert et André, moi et le père nous plaisantâmes et nous nous entendîmes fort bien. Depuis ce jour nous fûmes réconciliés.

16 ans
Hôtel en Suisse

Oui c'est amusant de le dire mais nous étions si pauvres que nous n'avions pour nous laver qu'une cuvette et pendant plus de quinze ans je ne me suis jamais lavée ailleurs que dans cette cuvette. Nous faisions chauffer un peu d’eau dans une casserole pour ne pas nous laver à l'eau glacée du robinet. Bien sûr nous n'avions pas de chauffe-eau et nous n'avions pas non plus de salle d’eau, cela se passait dans la cuisine sur l’évier. Et je dois dire que le premier bain que je pris fut pour moi une révélation. Ce fut un bonheur exceptionnel. Nous étions parties, ma mère et moi, en Suisse pour voir la famille et régler quelques affaires difficiles et nous étions descendues à l'hôtel. Or nous étions dans une chambre attenante à une salle de bains. Vous me direz que c'est comme ça dans tous les hôtels oui mais moi je le savais pas et c'était la première fois que je pénétrais dans une salle de bains avec une baignoire. Tout de suite je décidai de prendre un bain. Peut être que j’en rêvais depuis des années de ce bain. Je me glissai dans l'eau chaude de cette baignoire où c’était un délice et j'y restai longtemps. Je me savonnai. Je crois même me souvenir qu'il y avait des sels de bain. Mon Dieu mais quel bonheur de prendre un bain. C'était la première fois que cela m'arrivait et je connus pour la première fois tout le plaisir qu'il y a à tremper son corps complètement dans l'eau chaude. Je restai, je crois, plus d'une heure et demie. Le lendemain nous étions pressées je me dis que j’allais prendre une douche. Et c'était la première fois que je prenais une douche, une vraie douche, que je ne me lavais pas avec un gant de toilette. Ah le bonheur de l’eau qui ruisselle sur le corps. Mon Dieu c'était bon aussi, ce n'était pas le bain mais c'était bon aussi, ah le bonheur de prendre une douche quand c'est la première fois que l'on en prend une ! Voilà ! À seize ans ce furent des baptêmes pour moi ce bain, cette douche. J'allais devoir attendre plusieurs années avant de prendre un autre bain, une autre douche. Maintenant pour moi c'est tous les jours que je prends une douche et que parfois je prends un bain. C'est toujours agréable bien sûr mais ce n'est plus un délice, ce n'est plus une découverte comme ça l’a été alors que j'avais seize ans dans cet hôtel en Suisse. Dans mon enfance nous habitions un logement de 15 m2. Nous étions pauvres entre les pauvres. Mais nous ne le savions pas. Nous avions un toit sur la tête et cela nous satisfaisait. Nous n’avions rien, même pas un réfrigérateur, mais tout cela, à nos yeux, était tellement normal. Bien sûr lorsque je rendais visite à une copine j’étais admirative devant tout ce qu’elle possédait. Elle avait même une chambre à elle, le sommet de la richesse ! Moi je partageais celle de mes parents et elle était minuscule. Chaque matin on sanglait le grand lit de mes parents et on le dressait debout contre le mur avant de l’accrocher à un clou. Puis on tirait le mien à côté. Il n’y avait plus de place pour marcher dans la chambre.

NOUVELLES D'UNE VIE
71 ans
 Lettre à Madame la juge chargée du règlement de la succession de mon arrière-arrière grand-père

Depuis cent dix sept ans la succession de mon arrière-arrière-grand-père n'est pas réglée et notre famille à Paris attend vainement que soient respectés ses droits à l'héritage. Mon grand-père Arturo Macagni avait émigré en France en 1910. Il existait une rivalité entre lui et son frère aîné. Tous deux désiraient faire carrière dans l'art en tant que peintres, mais l’aîné, Émilio, était le préféré de ses parents. À Paris mon grand-père ne réussit pas à s'imposer en tant qu'artiste et ne connut que la misère. Ses conditions de logement étaient si déplorables que mon père à l’âge de trois ans fut atteint de tuberculose osseuse et fut admis dans l'hôpital de Berck-Plage où il resta sept ans. Mes grands-parents vivaient dans un très grand dénuement. Ils travaillaient tous deux comme ouvriers mais gagnaient si peu qu'il leur était difficile de se rendre souvent auprès de leur fils malade. Si bien que d'une fois sur l'autre celui-ci ne les reconnaissait pas et les appelait « Messieurs dames ». Mon grand-père mourut prématurément. Se soigner à cette époque pour un pauvre était presque impossible car le médecin coûtait cher. Après sa mort ma grand-mère connut de plus grandes difficultés encore. Elle demanda plusieurs fois à la famille de son mari de lui venir en aide. Elle avait des droits sur cet héritage qui lui échappait totalement. Mais on se moquait d’elle. Je peux en témoigner car on se moqua d’elle ouvertement aussi devant moi un jour que je me trouvais dans ma famille en Suisse, ce qui me blessa profondément bien que je n'en fis rien paraître. À la fin de sa vie les conditions d'existence d'Antonietta étaient poignantes. Devenue handicapée, se déplaçant avec difficulté avec des béquilles, elle était obligée au moins deux fois par jour de sortir sur le palier et de monter un demi étage dans les escaliers de l’immeuble pour vider son seau de toilette dans les WC communs car elle ne disposait d'aucune commodité dans son pauvre et minuscule logement bien sombre et même pas des WC. Mon père l'aidait financièrement dans la possibilité de ses moyens. Mais il était le plus souvent au chômage à l'époque. Nous primes le relais mon mari André et moi à la mort de Papa mais j'étais gravement malade et nous avions des difficultés financières après l'achat à crédit de notre appartement. Cependant nous n’avons jamais abandonnée notre grand-mère. Les dernières années elle les vécut à l'hôpital où nous allions lui rendre visite toutes les semaines. Mes parents connurent aussi de très graves problèmes. Nous vécûmes des drames. Mon père qui n'avait pas pu faire d'études faute d'argent était courageux mais mes parents n'avaient pas de fortune, pas d'économie, et cela entraîna une tragédie. Papa s'était lancé dans le laquage de meubles de cuisine et avait créé, en s’endettant, une petite entreprise. Et faute de moyens il avait acheté à un ami un compresseur d'occasion et à bas prix. Or ce matériel était inadapté et l'engin lui éclata dans les jambes quelques mois plus tard. Devenu handicapé ayant tout perdu, les dettes s'accumulant nous fûmes dans une situation critique. Ma grand-mère maternelle française avait mis de côté un peu d'argent qu'elle destinait à sa retraite. Généreusement elle se dépouilla pour sauver mes parents. Ce qui fait qu'elle n’eut jamais les moyens de partir en retraite et travailla jusqu'à sa mort, à 70 ans. Cette femme courageuse s'était aussi chargée de m'élever et me rendit heureuse jusqu'à l'âge de 12 ans, jusqu'à sa mort subite. Ma grand-mère maternelle était aussi un lien qui maintenait la famille en équilibre. Après sa mort tout alla de mal en pis. Mon père qui avait connu trop de drames, de difficultés dans sa vie et qui souffrait de l'indifférence de sa famille suisse (il avait voulu demander à un avocat de s'occuper de l'héritage qu'aurait dû toucher Arturo mais toute la famille le vitupéra, et il abandonna. Et l'avocat de toute façon était au-dessus de ses moyens financiers). Mon père, désabusé, se sentant abandonné, sombra dans la dépression et se mit à boire. Il passait ses soirées au café avec des copains. Les disputes étaient presque quotidiennes. Mon père mourut d'une cirrhose du foie à 58 ans. Ce furent pour moi des années terribles et qui minèrent mon adolescence gravement. À 18 ans je dus travailler au lieu de continuer mes études après le bac. J’aurais voulu être professeur mais je devins institutrice en maternelle, ce que je ne regrette pas. Ce métier m'a convenu bien qu'il soit très fatigant et peu rémunérateur en France à cette époque. Les classes étaient de 45 élèves. C’était très dur mais j’aimais les enfants. Hélas cette vie de dénuement et de difficultés et de drames m'avait rendue plus que fragile et à la naissance de notre fille (je m'étais mariée avec un homme que j'aimais) je tombai dans une grave et longue dépression nerveuse. Je fus en congé pour maladie pendant presque six ans, un enfer qui dura des années.

À présent je vais très bien, je me suis lancée, à ma retraite il y a sept ans, dans le domaine des arts. J’écris et je peins depuis l’âge de 12 ans. Pour moi c'est une nécessité, un exutoire. Je suis à présent présidente d'une association culturelle sans but lucratif et nous venons, mon mari et moi, d'ouvrir une galerie d'art à Rosny-Sous-Bois. Un ami m’a dit que ce j’avais réussi en cinq ans dans le domaine des arts il aurait fallu vingt-cinq ans à quelqu'un d'autre pour le réussir. Dieu m'a aidée et ma foi est immense. Je suis devenue une femme dynamique travaillant sans relâche, active, enjouée et mon mari m’aide en tout. Très souvent notre fille participe également. Elle aussi est artiste tout en ayant un travail rémunéré à la mairie de Paris. L’association ART-MACC (loi 1901) a pour but de promouvoir les arts et la culture, d'aider les artistes à exposer ou à publier. Nous ne faisons pas de bénéfices sauf à les réinvestir dans les actions culturelles de l'association. Mais ces activités bénévoles nous amènent à fréquenter beaucoup d'artistes et beaucoup de gens passionnants. J'ai donné à ma galerie le nom de mon grand père Arturo Maccagni, soucieuse de rendre son honneur à cet homme qui fut injustement méprisé et abandonné de tous. Et voici que Monsieur l'Ambassadeur de Suisse en France, d’origine tessinoise, m'accorde sa confiance pour que je puisse faire rayonner la culture suisse italienne en Île-de-France et je vais m’efforcer de le faire avec le conseiller culturel de l'ambassade.

Je dois dire que la famille d’Émilio Maccagni, ses enfants et petits-enfants ont toujours profité des biens de la succession sans partager, à ma connaissance, avec aucun des autres héritiers, sans verser de loyers ni de dédommagement alors qu'ils habitaient la maison de Rivera de génération en génération.

Mon grand-père, mon père ou moi-même n'avons eu aucun souvenir matériel si petit soit-il de Giovanni, mon arrière grand-père alors que son fils Arturo, mon grand-père, avait fait des cadeaux à ses parents lorsqu’il leur rendait visite en Suisse. Il leur avait même offert un poulbot parisien, une statuette sans valeur autre que sentimentale, dont mon père avait demandé qu'elle lui soit rendue, mais la famille d’Armando refusa. Armando a tout gardé et nous, nous n’avons « rien de rien, de rien ». On n'a rien touché, jamais, pas un sou de ce qui nous revenait. Mes parents et grands-parents ont vécu dans le dénuement alors que leur part d'héritage aurait pu éviter des drames et des catastrophes. Et maintenant la fille d'Armando et ses frères, nous réclament encore quelque chose.

S'il vous plaît Madame la juge faite que cette affaire prenne fin bientôt, qu’il y ait enfin une vraie justice de rendue, et que je puisse oublier et sans arrière-pensée, « parce que j’ai d'autres préoccupations », tout le mal qui nous a été fait à moi et à mes parents et grands-parents. Je suis prête à pardonner mais seulement s’il est reconnu par une décision de justice équitable combien ma famille a été honorable, honnête et méritante et que lui soit accordé enfin le respect qui lui est dû.

20 ans
Mes débuts d’institutrice remplaçante

Je travaillai donc la première année de propédeutique jusqu'à Pâques. Mon premier poste d’enseignante m’envoya à Bondy et le deuxième à Drancy, en tant que suppléante. L'année suivante je fus nommée remplaçante de direction. De quoi s'agissait-il ? Les directrices de maternelle étaient chargées de classe en même temps qu'elles devaient effectuer leur travail de direction. C'est-à-dire qu'un jour sur deux elles devaient assurer l'enseignement dans une classe qu'elles avaient choisie et qui était toujours celle des petits, celle des enfants de deux à trois ans et demi. Le jour d'après, un jour sur deux donc, elles étaient libres pour faire leur travail de directrice. Cependant pour alléger le travail de ces dames il y avait les auxiliaires de direction, c'est-à-dire une institutrice remplaçante qui venait un jour sur deux dans leur classe pour prendre en charge les enfants. Je fus nommée dans le 19e arrondissement dans deux écoles maternelles en alternance. Ce ne fut pas une très bonne année pour moi. Dans l'une des écoles je me souviens que j'assurais la classe un jour sur deux mais que le deuxième jour comme la directrice avait trop de travail c'était la « dame de service » qui gardait les enfants. Or cette dame de service était âgée alors que moi j'étais une toute jeune institutrice de 19 ans. Elle était l'amie intime de la directrice. Donc moi, la jeune suppléante, je n'avais pas droit à la parole. La dame de service me commandait, ce qui m’était très désagréable. Je me souviens aussi que nous ne disposions de pratiquement aucun matériel, peu de fournitures et peu de livres. Cependant l'inspectrice ayant annoncé sa venue pour la semaine suivante la directrice, en catastrophe, se rua dans les magasins de jouets et de fournitures pour maternelles et revint avec tout ce qu'il nous fallait et tout ce qu'il nous aurait fallu dès je début de l’année pour assurer une classe vivante et riche. En effet l'argent ne manquait pas car la coopérative de l'école que les parents d’élèves alimentaient, rapportait. Mais où passait l’argent ? Était-ce en cosmétiques pour la directrice qui était outrageusement fardée ? La venue de l'inspectrice fut une heureuse occasion d'avoir enfin les fournitures dont nous avions toutes besoin. Dans l'autre école où j'intervenais également un jour sur deux je n'étais pas plus heureuse. En fait j'avais essayé de garder mes cours d’Art dramatique chez René Simon. Et je m'y rendais trois fois par semaine le soir après la classe. Cela me prenait du temps et de l'énergie. J'avais beaucoup de fatigue accumulée à cause de ces deux activités. Et d'autre part je n'étais pas plus au courant que l'année précédente de ce qu'il fallait faire dans une classe. Personne ne m'avait « prise en main ». Il fallait toujours que je me débrouille par moi-même. Un jour, mécontente de ce que je faisais dans ma classe, la directrice me fit appeler. Elle se mit à me disputer « comme du poisson pourri ». J'eus la sottise de lui avouer que j'avais une deuxième activité, c'est-à-dire une activité d'étudiante en art dramatique. Elle me disputa plus encore. Je fus humiliée comme il n'est pas possible de l’être. Mais elle m'interrogea sur toutes les leçons que je faisais et dont elle ne s'était jamais souciée même pas pour me donner un conseil. Elle m'expliqua alors tout en hurlant qu'il fallait faire tel ou tel exercice. Je pleurai fort après cette altercation. Cependant cela m'avait été utile car tout en étant d'une grande méchanceté avec moi elle m'avait donné des indications précieuses pour mener ma classe. Je cessai de fréquenter le cours Simon. Ce fut un crève-cœur pour moi surtout que je ne me plaisais pas encore comme institutrice à l'école maternelle. Je me dis que je reviendrais un jour chez René Simon mais je n’y revins jamais. Quand on part c’est rare que l'on puisse revenir. Je me dis que lorsque je serais titulaire je pourrais peut-être revenir. Mais avant d'être titulaire il faut être stagiaire et lorsque l'on est titulaire on a encore beaucoup de travail et une classe à tenir ne laisse pas de loisirs. J'expliquerai plus tard pourquoi après des années dans ce métier je remercie Dieu de m'avoir placée là. Mais en attendant pendant mes débuts ce fut pour moi beaucoup, beaucoup d'émotions négatives et beaucoup d’humiliations avec bien sûr un travail énorme à accomplir et que je fis le plus honnêtement possible avec un grand courage et aussi une intelligence attentive pour que les enfants soient heureux avec tout ce qu'ils avaient à apprendre dans ma classe.

40 ans
La petite bouilloire - Paris

J’ai travaillé pendant une quinzaine d'années dans une école de mon quartier et je n'y ai pas été très heureuse. J’étais la seule croyante chrétienne catholique dans l'école. Toutes mes collègues étaient des athées convaincues mais bien sûr, moi-même comme les autres institutrices qui travaillent à l'école publique nous respections la laïcité. Les parents ne savaient pas quelles étaient nos convictions et nos croyances, moi-même comme mes collègues nous y veillions. Mais dans la salle des maîtresses je parlais librement avec mes collègues et nous échangions beaucoup de choses nous concernant et concernant notre famille. Je ne me suis pas faite que des amies bien que j'ai toujours montré un caractère égal et, dans une bonne mesure, de la camaraderie. Cependant nos valeurs était parfois à l'opposé. Je me souviens d'une maman d'élève, d’origine algérienne, qui pour les vacances était retournée à Alger. Sur le marché elle avait acheté des petites théières en imitation argent et à son retour pour nous faire plaisir elle en avait offerte une à la maîtresse de sa fille, et c'était moi, et une autre à la directrice. Lorsqu'elle me l'offrit je fus enchantée d'abord par le fait que cette maman avait pensé à moi à Alger où elle était en vacances, loin de la France et aussi parce qu'elle avait choisi un cadeau typique de son pays et que je trouvais cet objet très joli. À cette époque, maintenant cela a changé, je ne buvais jamais de thé. Cependant cette petite bouilloire  miniature me paraissait tellement jolie avec son air de préciosité que je décidai de la laisser dans mon salon sur le marbre d'un très grand meuble en bois de rose dont j'étais fière. Elle me servit cependant car je lui trouvai un usage, je l’utilisai pour arroser mes plantes fleuries. La directrice accueillit ce cadeau touchant d'une tout autre manière. Dans la salle des maîtresses à la récréation et pendant l'interclasse de midi nous discutions. Je dis à Madame Leclerc « une maman m'a offert un très joli cadeau, une théière imitation argent ». La réaction de ma directrice fut bien différente de celle que j'attendais. Elle me dit « j'ai eu la même, mais comment les gens ont-ils le culot de vous offrir des choses aussi laides ? ». Je m’étonnai et je répartis « je ne trouve pas que cette théière soit laide, elle a un petit air précieux qui fait que je l’ai mise bien en évidence dans mon salon ». Madame Leclerc se mit à rire de façon méprisante « ah ben, dit-elle ça doit être du joli chez vous. C'est le souk, c'est le bazar ». Je pensais que mon salon était plus beau que le sien mais je n'en dis rien. Je défendis ma théière et elle se montrera envers la maman qui nous avait fait ce présent de plus en plus méprisante. Elle disait « les gens n'ont aucun goût et en plus ils se débarrassent de leurs cochonneries en nous les offrant, franchement je rêve, je vais mettre ça à la poubelle c'est tout ce que cela vaut ». Je trouvai ces propos humiliants pour une maman qui avait fait un geste aussi respectueux et plaisant à notre égard et je fus bien triste de la façon dont son geste fraternel avait été reçu par ma directrice. Quant à ma propre petite théière je l’ai gardée longtemps. En fait je la perdis au cours de notre déménagement. Je ne sais plus en quel carton que nous n'avons pas encore déballé et qui se trouve dans notre parking, je l'ai rangée. En tout cas c'est toujours avec amitié que je pense à nouveau à cette maman d'élève qui avait eu un geste aussi amical avec une délicatesse touchante.

64 ans
Ostension du linceul à Turin

Lorsque ce fut l'ostension du linceul du Christ à Turin en 2010 nous fîmes le voyage pour le voir et prier devant lui. En fait si j'ai tenu à aller à Turin c'est que dans notre paroisse de la rue Pelleport, Notre-Dame de Lourdes, j'avais suivi un exposé sur ce linceul, donné par la mère d'un des prêtres. Avant cela j'avais vaguement entendu parler du linceul mais je n'y avais pas attaché une grande importance. Je ne croyais pas que ce morceau de tissu soit celui qui avait enveloppé le corps du Christ, mort. Cette conférence était si convaincante que j'avais été soufflée par ce que l'on disait de ce linceul. En fait l'image du corps du Christ s’y était imprimée comme si l’on avait pris une photographie de son corps et qu’on l'avait transposée sur le tissu. Ce n'était plus la curiosité qui me motivait c'était maintenant le désir d'aller voir ce linceul et de prier devant lui. Il y avait beaucoup de détails qui étaient miraculeux et qui prouvaient que certainement ce linceul était celui qui avait enveloppé le corps du Christ. Donc lorsque ce fut l'ostension du linceul à Turin nous fîmes le voyage tous les trois. Le linceul était exposé à la cathédrale de Turin. Je me souviens que nous nous sommes trouvées Nelly et moi dans cette cathédrale à admirer, à considérer de loin ce linceul. Chacun passait par un chemin bien balisé devant le linceul où l'on ne pouvait pas rester très longtemps. Après un moment d'adoration du fond de l'église Nelly qui ne désirait pas prendre la file qui avançait au pas pour passer devant le linceul me dit qu'elle avait le désir d'acheter je ne sais plus quel article dans une échoppe et que le mieux, puisque moi je voulais, et cela allait durer longtemps, prendre la file qui passait devant le linceul dans le chœur, était de nous donner un rendez-vous à l'intérieur de l'église et nous retrouver là dans deux heures. Je la laissai donc partir et moi je pris la file qui devait passer devant le linceul. C'était très long car chacun avait le droit de s'arrêter, mais pas plus de quelques minutes, devant le linceul. Je priai parmi les gens de cette foule. Et puis nous arrivâmes dans le chœur où la pièce d'étoffe était exposée. En effet on discernait le corps du Christ, ses plaies et je fus saisie d'une grande attirance vers ce qui avait été son dernier vêtement, son vêtement mortuaire. J’étais happée par cette vision de son corps. Et je restais là fascinée ne pouvant en détacher les yeux. On voulut me faire circuler car on n'avait pas le droit de rester plus de quelques minutes, je ne bougeai pas. Je ne pouvais pas bouger. Je ne pouvais pas détacher mes yeux de cette vision du corps de Celui que j'ai toujours aimé depuis que je l'ai rencontré. Donc les gens passaient, on faisait circuler la foule, mais moi, après que l'on m'ait demandé plusieurs fois de quitter le lieu, je restai là et les hommes du service d’ordre avaient vu que je ne pouvais pas le quitter tellement je priais avec force et considérais les yeux agrandis dans une communication vitale le corps du Christ. C’était comme si Il était là en personne, vivant, et que nous communiquions par le cœur, intensément. J’étais fascinée. Les appariteurs se rendirent compte que quelque chose se passait qui était précieux et qu'il était bon de ne pas m'en priver ni d’en priver Celui que nous aimons et qui s'appelle Christ. J'étais tellement subjuguée, tellement absorbée par cette vision que le temps passa et qu'on ne s'occupa plus de moi qui restais dans un coin privilégié d'où j'avais une vision formidable de ce linceul qui m'avait happée complètement. Et puis, je ne sais pas pourquoi, en fait, (oui maintenant je le sais) cette fascination, cette prière attachée à l'être divin tomba brusquement. Je me retrouvai dans ce monde habituel et terrestre que j'avais quitté pendant une heure, car j’étais restée une heure les yeux rivés attachée que j’étais par mon amour de l’Être qui avait habité ce linceul et dont l'image y était restée gravée. Lorsque cette fascination cessa brusquement de façon très étrange, je repris la file qui s'en allait et je quittai le lieu et je me retrouvai dans le fond de l'église où je constatai que Nelly n'était pas à l'endroit du rendez-vous et je décidai de sortir. À l'époque nous n'avions pas de téléphone portable, nous n'avions rien pour communiquer l’une à l’autre. Elle ne savait pas retrouver le chemin de l'hôtel et je compris alors en sortant pourquoi Christ m'avait demandé de sortir en faisant cesser cette fascination que nous partagions l'un pour l'autre à travers son image qui était gravée sur le linceul. En effet plus personne ne pouvait entrer dans la cathédrale, il y avait un cordon de policiers tout autour de l'église qui interdisait d’y rentrer. Ce qui fait que si Nelly voulait me rejoindre en rentrant dans l'église comme nous en étions convenues elle ne le pouvait pas. Et, je vous l’ai dit, nous n'avions aucun téléphone pour nous relier l'une à l'autre. La situation aurait donc été critique et très, très, très problématique. Nous étions dans une ville inconnue sans moyen de nous retrouver. Mais en sortant voilà que j'aperçus derrière les barrières Nelly qui arrivait. Une coïncidence tellement belle que ce ne peut pas être une coïncidence. Et donc je lui fis signe, elle me vit et nous nous rejoignîmes, ce qui nous permit de rentrer ensemble sans aucun problème. Merci Christ, merci infiniment. Les coïncidences de cet ordre j'en ai tellement vécues lorsque il y avait un problème grave qui s'annonçait. J'en ai vécues aussi qui avaient pour origine la mère du Christ. Merci Maman. Lorsque nous rentrâmes à Paris j'avais tant prié que j'étais totalement imprégnée par la vision de ce linceul. Et lorsque, en l'église Saint Sulpice quand j’y vais, je me retrouve face à la photo du linceul je me rappelle cette attirance que j'avais eue en restant les yeux fixés sur le dernier vêtement du Christ pendant plus d'une heure. Merci Christ.

NOUVELLES D'UNE VIE
14 ans
Patouche

Nous étions en vacances à Neaufles maman et moi et voici qu'en longeant le mur du château devant lequel il y avait une abondante végétation de fougères nous entendîmes un léger miaulement. Nous regardâmes dans l’herbe qui était haute et nous découvrîmes un jeune chat, un chat qui se trouvait seul parmi les ronces et les fougères. Nous le ramassâmes, nous le caressâmes. C'était une petite boule de nerfs agressive et jolie comme tout. Elle avait trois couleurs. Nous apprendrons plus tard que ces chats s'appellent des tricolores. Ce sont des chats européens mais dans une nichée où il y a plusieurs chats de différentes couleurs les tricolores sont toujours, ou pratiquement toujours, des femelles et lorsqu'un mâle est tricolore il ne peut se reproduire. Ces chats sont des chats particuliers sans être des chats de race. Que faire de cette petite boule de poils que nous venions d'extirper de la végétation le long du mur du château ? Je la pris dans les bras et la conduisit jusque chez Madeleine à son café-épicerie. Maman demanda à Madeleine si elle avait un carton car nous ne pouvions garder le chat dans les bras toute la journée en attendant de revenir chez nous. Madeleine nous fournit un carton et nous mîmes dedans le chaton qui miaulait à fendre l’âme. Lorsqu'il fut dans le carton il se calma, sans doute parce qu'il était dans le noir et qu'il pensait que c'était la nuit. Nous le ramenâmes chez Madame Ladine où nous habitions pour les vacances. Nous revînmes à Paris avec la chatte que nous avions fourrée à nouveau dans le carton. À Paris elle s'habitua gentiment mais garda son caractère sauvage et agressif. J'ai été sa maîtresse et nous nous adorions. Lorsque je faisais mes devoirs pour le lycée, sur ma table, elle se couchait entre ma lampe et mon livre et ronronnait pendant que j'apprenais mes leçons. Parfois parce qu'elle savait, cette petite chatte, qu’elle n’en n'avait pas le droit mais qu'elle désirait me faire une farce et attirer mon attention elle posait une patte, qu'elle retirait aussitôt, sur mon cahier. C'était vraiment une présence qui m'était devenue indispensable. Je vous rappelle que je n'avais ni frères et sœurs ni amis proches, que mes parents ne m'aimaient que très peu et à leur façon. Alors cette petite chatte qui était devenue si proche de mon cœur c’était ma compagne, mon enfant, mon amour. Mais il en allait différemment pour mes parents ! Pour eux cette chatte était une intruse, surtout qu'elle faisait des bêtises qui, à leurs yeux, étaient impardonnables. Mon père refusa qu'on la fasse opérer. Il disait que ce n'était pas naturel et que les animaux étaient amoindris par cette opération. Je crois surtout qu'il ne désirait pas payer le vétérinaire. Mais il ne supportait pas non plus, lorsque la belle saison arrivait, de l'entendre appeler sur le bord de la fenêtre tous les chats du quartier à pleine voix ou se rouler par terre contre ses jambes. Mon père furieux et qui avait sans doute un problème avec la sexualité, je l'appris plus tard, l'attrapa un jour par le cou et ayant rempli une bassine d'eau glacée la plongea dedans pour la rafraîchir et l'empêcher de continuer à miauler d’une façon qu'il jugeait indécente. J'étais affolée ce jour-là, j'étais affolée à chaque fois que ma chatte subissait des sévisses de la part de mes parents. Pour moi c'était un drame. Ma mère ne lui a jamais donné à manger de la nourriture pour chat. C'était trop cher à ses yeux alors on demandait des rognures de viande au boucher et on les mélangeait avec des légumes. Mais notre chatte était carnivore et très proche de la nature. Les légumes elle n'en voulait pas. Elle triait la viande qu’elle mangeait ensuite et délaissait les légumes. Alors ma mère décidait qu'elle n'aurait rien d'autre tant qu'elle n'aurait pas mangé les légumes sans viande. Et cela pouvait durer longtemps. Elle devait manger des légumes sans un petit morceau, ou même un fumet, de viande. Elle avait faim, elle miaulait. Les légumes dans son écuelle devenaient immangeables même pour une petite chatte qui « crevait la dalle ». Elle souffrait abominablement de la faim et à la fin, et bien que ces légumes soient devenus rances, elle les mangeait. Alors seulement ma mère acceptait de lui servir aussi un peu de viande. Si je me permettais de lui venir en aide je me faisais copieusement disputer par ma mère. Et le cycle recommençait. Non cette chatte n'était pas heureuse avec mes parents et moi je me sentais impuissante. J'essayais bien, en cachette de mes parents, de lui venir en aide mais si cela se savait c'était moi qui « prenais » et qui essuyais toute la méchante incompréhension de mes parents. Je l'aimais Patouche, je l'aimais de tout mon cœur. En plus je me sentais compagne d'infortune avec elle à mon côté. Je n'étais plus seule. Il y avait Patouche. Je l'appelais Patouche parce que, à part moi, elle refusait qu'on la touche. Hélas, hélas je devais connaître une plus grande épreuve encore. Lorsque l'été revint ma mère décida qu'elle ne pouvait plus supporter la litière de la chatte. Elle ne pouvait plus supporter la présence de la chatte. Et il fut décidé de la donner à Madeleine. C'est-à-dire de l’abandonner. Madeleine avait déjà plusieurs chats. Ses chats se nourrissaient comme ils pouvaient et complétaient leur pitance, composée de pain trempé dans du lait, par la chasse des souris. On conduisit donc Patouche à Neaufles et on la déposa dans la cour. J'avais le cœur en lambeaux. Patouche affolée de se trouver dans ce lieu qu'elle ne connaissait pas se sauva par le soupirail de la cave et rentra au sous-sol. Nous n’étions là que pour la journée. Nous rentrâmes à Paris, j'avais le cœur en lambeaux. Quinze jours plus tard nous revînmes à Neaufles. Patouche n'avait pas quitté la cave et plus personne n’osait y descendre. Madeleine nous dit que quand son mari y descendait, la chatte perchée sur une étagère crachait. Il remontait rapidement sans prendre le temps de rapporter les bouteilles parce qu'il avait peur qu'elle lui saute sur la figure et lui griffe le visage. « Ne descends pas, ne descends pas » me dit Madeleine, elle est devenue folle, elle est revenue à l'état sauvage. Je descendis malgré tout et l’appelai « Patouche, Patouche ». Je sentis un mouvement et Patouche sauta à terre. Elle se mit à ronronner en se frottant contre mes jambes. Nous nous étions retrouvées. Nous nous étions reconnues. Nous nous aimions toujours. Cette séparation forcée avait été une souffrance pour toutes les deux. Nous devions revenir, retourner à Paris le soir même. On boucha le soupirail de la cave pour que Patouche ne recommence pas à y pénétrer. À Paris je dus lutter contre le chagrin en me retrouvant seule sans Patouche, sans mon enfant, sans ma compagne, sans mon unique amie. Chaque fois que nous retournions à Neaufles Patouche me faisait la fête. J'entretenais cette belle amitié avec des boîtes de pâté pour chat dont elle raffolait et dont elle ne bénéficiait pas souvent. Hélas elle dut mourir un jour de façon atroce. Elle était bonne chasseuse de souris, elle était bonne aussi en tant que mère de famille car elle faisait ses petits dans le grenier et quand Madeleine les cherchait en la suivant pour pouvoir aller les noyer Patouche la détournait de sa portée. Elle amenait Madeleine partout dans le grenier sauf à son nid. Malgré tout elle perdit beaucoup de ses petits. Ils furent noyés comme souvent les chats à la campagne. Et, comme je le disais elle mourut tragiquement car les souris s'étant mises à proliférer chez Madeleine celle-ci répandit de la « mort aux rats ». Et comme Patouche était une bonne chasseuse elle mangea une souris qui était pleine de poison. Évidemment lorsque j'appris la nouvelle qu’on me raconta de façon légère comme d'un fait sans importance mon cœur à nouveau fut brisé. Vous me demanderez pourquoi mes parents étaient si inconséquents, ils me permettaient d’avoir un chat et lorsque j’y étais très attachée ils m’en privaient. On comprend mon angoisse. Hé oui sachez que ce ne fut pas la seule enfant chatte à laquelle je dus renoncer. Il y eut un jour une autre petite chatte. Celle-ci était blanche avec des poils angora. Elle était magnifique et très douce, très gentille, très timide. Alors pourquoi dus-je souffrir la hargne de ma mère encore une fois ? Pourquoi Dieu a-t-il permis que je m'attache à cette chatte pour renoncer ensuite à elle ? Celle-ci ne causait aucun des ennuis qu’avait pu occasionner Patouche, elle ne miaulait que très peu, était d'une gentillesse et d'une douceur exemplaires. Seulement ma mère avait décidé que mon cœur devait être brisé à chaque fois que je m'attachais à un animal. On ne savait où se débarrasser d’elle ? À l'époque une dame venait faire à la maison un peu de repassage. Elle travaillait aussi dans un immeuble de bureaux où il y avait de nombreuses employées. Elle conduisit la petite chatte dans l'immeuble de bureaux et quelques jours après la petite chatte avait disparu. Je n'ai jamais su ce qu'il était advenu d'elle. Avait-elle été adoptée par l'un des employés ? S'était-elle sauvée et avait-elle été mourir dans un coin ? Je n'en sus jamais rien mais je peux le redire aujourd'hui mon cœur devait ne jamais se remettre de toutes ces épreuves.

73 ans
Dans le bus

Je me suis assise dans le bus sur les sièges derrière la vitre qui sépare les passagers du chauffeur. Cet endroit-là est très étroit c'est pourquoi habituellement ne peuvent s'y asseoir qu'un adulte avec son enfant. J'ai déposé près de moi le gros sac qui m'a servi à faire des courses. Et je regarde par la fenêtre. Je suis là, tranquille depuis deux stations, à rêver. Dans le bus il y a beaucoup de places libres. À un moment donné je sursaute car quelqu'un vient de m'adresser la parole de façon peu aimable. Une dame corpulente me regarde et elle répète son interjection : « Madame votre sac ». Je comprends qu'elle veut que j'enlève mon gros sac posé à côté de moi sur la banquette pour pouvoir s'y asseoir. Cependant je trouve l'idée un peu ahurissante car vu sa corpulence et la mienne je me demande si l'on va pouvoir s'asseoir côte à côte toutes les deux. Malgré tout j'enlève mon sac et je ne sais pas trop où le poser car entre mes jambes et la vitre qui nous sépare du chauffeur l’espace est très étroit. Je garde donc mon gros sac sur mes genoux. Et la dame s’assoie à côté de moi. Nous sommes tellement serrées que je sens son postérieur pressé contre le mien ce qui m’est très désagréable. Je pense que pour elle ce doit être désagréable aussi. Je tourne mon regard vers la vitre et je tombe sur le reflet de son visage. J’y découvre qu'elle sourit d'un air tout à fait ironique. Elle a l'air parfaitement contente d'elle-même comme si elle avait fait une bonne farce. Je comprends alors que c'est quelqu'un qui aime mettre les autres dans l'embarras et que je viens d'être sa victime. Oh je trouve cela parfaitement désagréable. Alors je médite une petite vengeance qui va lui faire regretter d'être venue s'asseoir à côté de moi. Je tourne la tête vers elle et je lui dis d'un air parfaitement contrit : « excusez-moi madame pour mon sac tout à l'heure. Mais voyez-vous je souffre d'un virus extrêmement contagieux. Et je ne voudrais pas que quelqu'un qui soit trop près de moi attrape ce virus. Car c'est une maladie extrêmement invalidante ». Elle peut me croire car j'ai à côté de moi ma canne. Mon intervention et mon petit discours ne semblent pas lui avoir fait plaisir. Je me tourne à nouveau vers la vitre et je vois que son expression a changé. Elle ne sourit plus du tout. Elle a quitté son air ironique. Elle « fait la gueule ». Je comprends qu'elle me croit et qu'elle commence à avoir peur. Peur d'attraper une grave maladie, peur d'attraper le virus dont je lui ai parlé. Je dois descendre deux stations plus loin. Je m'excuse car je dois passer devant elle. Elle se lève précipitamment et fait deux pas en arrière. Je pars en lui adressant un gentil sourire et en m’excusant. Appuyée sur ma canne avec mon gros sac de l'autre côté je descends lourdement les marches du bus. Et sur la chaussée je me mets à boiter ostensiblement. Je tourne les yeux vers le bus et je vois mon adversaire qui a pris un air soucieux et même un peu effaré. Je m'éloigne en claudiquant du bus. Celle-là cela m'étonnerait qu'elle continue à importuner les voyageurs dans le bus. Je conçois que c'est un plaisir qui va lui manquer. Et je ne serais pas étonnée qu'en rentrant chez elle, elle ne prenne sa température et appelle son médecin. Ah, ah, ah !

31 ans
Le père Oiseau - Paris

Après que je suis devenue chrétienne, après que j'ai fait ma première communion, à l'âge de 30 ans, bien sûr j'eus le désir de servir le Christ à travers son Église. J’entrepris, avec l'accord du père Oiseau qui était le curé de Notre-Dame de Lourdes à Paris XXème, une église qui était à quelques dizaines de mètres de notre domicile, de faire du catéchisme. Je ne comprends pas pourquoi, trop souvent, les enfants ont un mauvais souvenir de leurs années de cours de catéchisme. En ce qui concerne le père Oiseau et moi-même et, bien que nous fassions du catéchisme de façon extrêmement différente lui et moi, nos élèves venaient avec un tel plaisir, avec un tel enthousiasme qu’avec nos enfants inscrits au catéchisme nous avons pu faire beaucoup de choses un peu « extraordinaires ». Le père Oiseau avait entrepris de créer avec ses élèves des icônes. Ce n'étaient pas des icônes véritables mais c'étaient de ces icônes qui ne valent pas très chères mais sont belles et que l'on peut acheter dans des villes mariales et les ramener à la famille en souvenir. Les enfants qui étaient inscrits dans le cours de catéchisme dans la section du père Oiseau bricolèrent, peignirent, collèrent avec beaucoup d'enthousiasme. Surtout que ces jolies petites icônes, véritablement symboliques, reposaient sur la connaissance des Évangiles et étaient faites dans la foi, le plaisir et la fraternité. Et les gamins bien sûr pouvaient les emmener chez eux lorsqu'il les avait terminées et pouvait les offrir à leur famille. De mon côté je ne faisais pas d'icônes mais dans ma classe, à l’école maternelle, je m’étais servie de marionnettes marottes pour tous les jours créer en relation avec la leçon d'expression et de langage de petits spectacles de marionnettes. C'étaient comme des feuilletons et tous les jours nous retrouvions pour un nouvel épisode les personnages que nous aimions beaucoup et qui étaient des personnages faisant tous partie d’une famille très unie. Mais il y avait aussi des fées et des animaux fantastiques. Les enfants lorsqu'on leur offre de tels spectacles qui correspondent bien aux désirs de leur âge sont passionnés. Puisque j'étais catéchiste et que nous parlions de la création, j'entrepris tout en faisant connaître l'évangile et l'amour de Dieu pour ce monde qu'il avait créé de concevoir avec les enfants un spectacle à donner devant les parents sur la Genèse. Nous partions de l'Évangile nous partions de la Bible et nous fabriquions des animaux préhistoriques, nous fabriquions tout ce que l'on pouvait lire dans la Bible et tout ce que nous savions d'autre part de la création à travers l'art et l’histoire. Et nous cherchions des musiques pour soutenir notre spectacle. Les enfants étaient enchantés. Lorsque le spectacle fut au point, il durait une petite demi-heure, nous décidâmes qu'il était temps de le faire connaître aux parents. J'avais déjà un grand castelet dans ma classe, un vrai grand, très grand castelet. Mais mon mari en fabriqua un autre tout spécialement pour cette représentation. Le jour de la représentation que nous donnâmes dans la salle paroissiale les parents furent impressionnés ont fut très applaudis. Tous étaient ravis. Aucun d’eux ne rechigna jamais pour venir au catéchisme. Nous faisions aussi de magnifiques dessins et beaucoup d'autres choses toujours en relation avec l'Évangile et l'amour de Dieu mais sans oublier notre implication humaine, notre besoin de faire marcher notre imagination et notre besoin aussi, personnel, de nous exprimer chacun selon son caractère et son désir. Nous écrivîmes aussi des textes, nous écrivîmes des poésies et beaucoup d'autres choses très instructives  en suivant notre foi joyeuse et aussi dans un désir de fraternité de bonne entente et d'enthousiasme. Le père Oiseau était très content de ma collaboration au cours de catéchisme. Et voici que Noël approchant il me demande pour « la messe des familles » de monter un spectacle de marionnettes marottes avec les enfants de mon cours. Il y a plusieurs messes à Noël celle des familles est en début de soirée, à 19h. Le spectacle sur la Genèse avait été un vrai succès tant au point de la joie des parents que de celui des enfants que je ne pus refuser au père Oiseau de réitérer cette merveilleuse expérience, mais cette fois-ci sur le thème de la nuit de Noël. Je fis moi-même les principaux personnages c'est-à-dire Jésus, Marie, Joseph mais les enfants purent créer des moutons et aussi les personnages secondaires comme la dame qui n'avait pas pu les accueillir à l’hôtel, les bergers, l'étoile et beaucoup d'autres choses qui donnaient vie à la nuit de Noël et à la naissance du Christ. Nous cherchâmes bien sûr les plus belles musiques pour coller vraiment au texte qui n’était autre que le texte pris dans l'Évangile sans en ôter une virgule. Encore une fois nous travaillâmes les gosses et moi avec un grand enthousiasme et je crois que la foi en la naissance du Christ entra dans leur cœur avec beaucoup de facilité, un cœur accueillant car bien préparé. Et sous l'inspiration du Saint Esprit la représentation vint avec facilité. Le père Oiseau acheta un grand, grand, très grand tissu bleu au marché Saint-Pierre et il tendit ce grand, grand, grand tissu bleu de part et d’autre du chœur. Nous, les enfants et moi, après plusieurs répétitions nous nous retrouvâmes derrière ce grand, grand, grand tissu bleu avec nos marionnettes et notre instrument de musique. Je faisais la lectrice. Il faut dire que tout se passa à merveille et que les parents furent enchantés au cours de cette première messe, « la messe des familles » de la nuit de Noël. Cependant derrière le grand, grand, grand tissu bleu il y avait une joyeuse animation. Les enfants firent ce que font tous les enfants à cet âge. Ils s'amusèrent follement tout en restant très concentrés pour bien de traduire ce sentiment d'amour de Dieu pour sa venue la nuit de Noël. Et c'était « vite, vite, passe-moi le mouton – où est Marie, où est Marie, il faut qu’elle arrive aujourd’hui, vite il faut qu’elle paraisse - et ainsi de suite ». Cette joyeuse animation enfantine les parents de l'aperçurent pas il furent émerveillés par le résultat de ce beau spectacle qui certainement est quelque chose de rare dans une église. Ils applaudirent à tout rompre. J'étais un peu gênée car c'était une des premières fois où je voyais applaudir dans une église. Maintenant on en a pris l'habitude lorsqu’on présente un nouveau prêtre ou un nouveau diacre. Les gens applaudissent. Mais à l'époque ce n'était pas si fréquent. Les enfants étaient heureux d’être ainsi applaudis. Ils étaient enchantés. Et ils l’étaient de la façon la meilleure et qui correspondait à leur âge introduit dans la foi et l'amour de Dieu et du Saint Esprit. Pour faire l’expérience de  l’Amour de Dieu il faut vivre des événements très heureux dans l’apprentissage (disons la découverte) de la foi, en toute amitié et solidarité dans un groupe de copains.

NOUVELLES D'UNE VIE
30 ans
Première communion- Paris 20ème

Je viens de faire ma première communion, j’ai trente ans. C’est à la suite d'une lourde maladie, d'une épreuve terrible, une épreuve épouvantable, que j'ai eu la révélation. Si j'ai eu cette révélation d'un Dieu d'amour c'est qu'il m'a aidée. J'ai fait ma première communion deux ans après avoir commencé le catéchisme. Dans mon enfance mon père avait tout fait, en bon communiste, pour que je ne puisse jamais croire en Dieu et quelle que soit la religion qui parlait du Créateur et conduisait à Lui. Mon père, agnostique et épouvantablement résolu à le rester était venu nous voir un soir chez nous. Nous étions dans la cuisine. Mon mari, notre fille et moi, nous venions de terminer de dîner. Il est arrivé, il s'est assis, nous avons commencé à parler mais il semblait lointain et à un moment donné il me regarde d'un drôle de regard, un regard sérieux presque culpabilisant, vraiment un regard grave. Et il me dit « alors Il existe ? », question extraordinaire très profonde « Est-ce que Dieu existe ? » Il s'était sans doute toujours posé cette question à laquelle il répondait toujours « non » pour les raisons qui étaient les siennes et c'est à moi qu'il demandait s'il existait après avoir été interpellé par ma conversion. Je répondis du tac au tac « oui je L'ai rencontré », mais je n'en dis pas plus, lui non plus n'en dit pas plus. Nous passâmes une soirée tranquille, nous partageâmes le dessert et puis il s'en alla. Nous n'en dirions jamais plus que ça. Je ne sais pas ce qu'il pensait, je ne sais pas ce qu'il croyait, je n'ai jamais compris ce qu'il a vraiment cru ou vraiment pensé. Je sais qu'enfant il était croyant, il était même enfant de chœur et il aimait ça. Je sais qu’il avait, à l’époque, une grande confiance dans les prêtres. Il m’avait raconté qu'il partait en colonie de vacances et que c’était de très bonnes vacances parce que les prêtres racontaient des histoires le soir à la veillée et qu'il aimait ça, que ça lui plaisait et que ces vacances était très heureuses. Et puis voilà il était devenu communiste, il avait rencontré d'autres personnes qui ne croyaient pas et lui non plus ne croyait plus, il avait tout rejeté. Mais où en était-il ? Pourquoi se posait-il des questions, encore ? Oui il s'en posait certainement encore puisqu'il m'en avait posé une, capitale, ce soir-là « alors il existe ?» Qu’a-t-il cru,  que n'a-t-il pas cru, après que nous ayons eu ce court échange qui ne fut jamais suivi d'aucun autre. Il me voyait pratiquer, il me voyait aller à l’église, il me voyait revenir à une bonne santé et sans doute grâce, le comprenait-il, à cet amour divin. Nous n'en n’avons jamais reparlé. Il est mort d'un cancer du foie, d'une cirrhose, il buvait tant. Et puis je fus toujours inquiète pour ce qu'il était devenu après cette mort jusqu'au jour où j’ai eu l'occasion de demander pour lui et pour ma mère également, un pardon divin. Je vous raconterai ça plus tard. J’ai l'esprit tranquille, merci mon Dieu merci pour l’avoir sauvé lui qui fit tant et tant pour que jamais je ne te rencontre. C’était mon père ce pauvre homme qui, au cours de ses crises d’alcoolique m’a fait tant de mal, c’était mon père. Mais à présent c’est Toi, mon Dieu, que j’ai choisi pour père, Toi qui par nos échanges affectifs et par tout ce que Tu as fait pour sauver ma vie, a reconstruit ce que lui, Jean père terrestre, avait concassé en moi.

74 ans
Pandémie – Litière - Rosny-Sous-Bois

La pandémie du Covid-19 s'est déclarée en France comme dans d'autres pays. Chacun craint d'attraper le Coronavirus qui est tellement contagieux et qui peut amener les personnes âgées jusqu'à la mort. On nous a donné des consignes pour rester confinés chez nous. Avec André, afin d'acheter des produits de première nécessité et pour se nourrir, nous avons une première fois commandé sur Internet, avec livraison dans un « drive », des marchandises. Tout s'est très bien passé, André n’a même pas vu en descendant de la voiture un employé, car toutes les marchandises que nous avions commandées se trouvaient dans des casiers que l'on ouvrait grâce à un code qui nous avait été attribué. Nous ne tenions pas à faire des courses en magasin et à sortir de chez nous. Mais hélas la seconde fois que nous avons voulu faire des courses sur le net cela ne s'est pas passé de la même façon. La commande que nous avions faite à été annulée, sans que l'on nous prévienne, car le magasin n'avait pas été réapprovisionné. Nous avons essayé d'être livrés plutôt que d'aller chercher des marchandises sur un drive dans d'autres boutiques. Mais tout était bloqué car nous n'étions pas les seuls à vouloir user de cette pratique pour nous approvisionner. Alors il fallut bien se rendre à l'évidence, nous étions obligés pour faire des courses d'approvisionnement de sortir de chez nous et d'aller dans les magasins de Rosny. L’attente y était interminable. Surtout que chacun, pour respecter les consignes, se tenait à un mètre de la personne qui la précédait. Pour accéder au magasin Leclerc les files d’attente sur le trottoir étaient immenses. Je réussis à faire les courses dans une petite boutique d’un autre quartier et j'achetai le maximum. Or cette petite boutique sans que nous en ayons été avertis ferma le lendemain. Il nous manquait de la litière pour les besoins de notre chat. Impossible de trouver un paquet de litières. Il fallait bien que notre chat crotte et nous étions dans l'embarras. À la fin je dis à mon mari : on pourrait peut-être utiliser de la terre prise en bas de chez nous où il y a des pelouses et de la terre. André ne l'entendait pas de cette façon car avec justesse il pensait que le chat répandrait avec ses pattes de la terre dans tout l'appartement. Je réfléchis et je me dis qu'autour de nous il y avait des squares où allaient jouer les enfants. Jadis les jeux pour enfants étaient installés dans des bacs à sable. Alors je proposai à André d'aller chercher du sable pour remplir le bac de notre chat. Mon mari  n'était pas d'accord mais cela me semblait une solution possible. Donc le lendemain, alors qu'il n'était pas encore levé et que j’étais déjà prête, je pris mon ancien déambulateur, celui dont je n'avais plus aucun besoin pour marcher, et j’emmenai des sacs et une pelle pour aller chercher du sable dans les squares alentour. Toute sortie était interdite sans être porteur d’une autorisation à remplir soi-même et en donnant la raison de notre sortie. On avait seulement le droit de sortir pour aller chercher de l'alimentation ou des médicaments ou pour une courte promenade quotidienne et pas plus d'une fois par jour et avec toutes sortes de restrictions. Je réfléchis et me dis que si on me voyait prendre du sable on me demanderait ce que je faisais là et en quoi il s’agissait d’une sortie obligatoire. Je n'allais certes pas raconter que c'était pour mon chat qui manquait de litière. Il me fallait trouver une bonne raison pour être dans le droit de sortir. Alors je me dis en remplissant mon autorisation de sortie que si l'on m’interrogeait je dirais que je souffrais d'une maladie des pieds ou d’une dermatose et que mon médecin m'avait prescrit un sable médical pour me frotter les pieds tous les jours. Je dirais que ce sable médical je l'achetais régulièrement à Paris dans une boutique spécialisée pour les traitements des mycoses. Et comme plus personne ne pouvait voyager et qu'il m’était évidemment impossible d'aller à Paris, j'étais dans l'obligation de trouver un autre moyen pour soigner mes pieds. Alors je raconterais que mon médecin m'avait dit que, au cas où je manquerais de sable médical, un sable ordinaire pourrait faire l'affaire. Mais comment prouver que mon médecin m'avait un jour prescrit du sable médical ? Je trouvais même à ce sable médical un nom. Je dirais que ce sable, (qui du reste n'était pas remboursé par la sécurité sociale et n'avait pas besoin d’une ordonnance) s'appelait le sablicot. Je me souvins que mon médecin m'avait prescrit des chaussures spéciales pour les pieds qui, comme les miens s ‘affaissaient, et que j'avais une ordonnance pour des chaussures orthopédiques. Je partis donc avec cette ordonnance et cette fable que j'avais mûrie dans ma tête. Hélas ce ne fut pas facile. Car les squares étaient fermés. Il fallait, c'était la règle et la loi désormais, que chacun reste chez soi. Il n'était pas question d'aller se reposer dans un square ou un jardin. Et d'autre part le sable n'était plus le moyen que l'on avait pour empêcher les enfants de se faire mal en tombant des jeux. À présent c'était un moderne tapis de sol que l'on employait. Où trouver du sable ? Je me retrouvai bientôt à la porte du cimetière. Je me dis que peut-être là je trouverais dans une allée du sable. Mais le cimetière était fermé. Première porte avec un écriteau, « il était fermé ». Deuxième porte avec écriteau, « il était fermé ». Troisième porte avec un écriteau, « il était fermé ». Que faire ? Je vis qu'il y avait sur le côté des plantations avec des copeaux de bois pour assurer l'humidité des plantes. Je m'y intéressais mais pas trop longtemps car ces copeaux de bois pouvaient être dangereux pour les pattes de mon chat. Je ne perdis pas courage, je continuai un peu et trouvai du sable dans un jardin, en surface, un jardin qui devait servir au jeu de boules, à la pétanque. Il y avait du sable en surface. Mais il y avait une couche de sable si fine que je ne voyais pas comment le ramasser. Cependant je sortis la pelle que j'avais amenée en me disant qu’en grattant un peu j'arriverais peut-être à obtenir deux ou trois poignées de sable. J’étais de plus en plus ennuyée. Je me faisais de plus en plus de souci sur le fait que mon chat n‘ait rien pour faire ses crottes. J'en étais là de mes réflexions dans ce petit parc quand j'aperçus sur le trottoir à vingt mètres de moi une dame qui passait avec un paquet de rouleaux hygiéniques sous le bras et qui tirait un chariot de course. Je lui criai « bonjour Madame » et elle se retourna. Alors je lui demandai « où avez-vous trouvé une épicerie ? » Et voyant qu'elle n'allait pas dans le sens où j'allais et me disant que sans doute elle venait de chez Leclerc au centre-ville où elle avait passé des heures je lui demandai « croyez-vous qu’il y a un épicier sur mon chemin par là ? » Nous avions toutes deux un masque sur le visage ce qui créa entre nous une certaine complicité. Elle me fit signe qu’en effet il y avait deux épiceries sur la route qu'elle prenait pour revenir chez elle et que je n'avais qu'à la suivre. J'avais fait déjà au moins deux kilomètres. Je continuai en la suivant de loin. Elle m'avertit qu'à droite il y avait une épicerie mais qu'elle était fermée. Alors je continuai en la suivant toujours de très loin. Non pas que je craignais le coronavirus mais seulement parce qu'elle était très en avance sur moi. Elle m'indiqua très gentiment qu’il y avait dans cette localité de Rosny-sous-Bois, qui était d'un quartier éloigné du mien, une épicerie sur une petite place. Je reprenais espoir. Je me rendis donc dans cette petite épicerie avec au cœur des pensées plus rassurantes. Je demandai au marchand « avez-vous de la litière pour mon chat ? » Hélas il n'en n’avait plus. Je recommençai à m'inquiéter. Je lui demandai s'il serait livré bientôt. Vu les circonstances que nous vivions il ne pensait pas qu'il pourrait être livré, tout au moins rapidement, des paquets de litières qu'il avait commandés. Hélas cette quête de litières finirait-elle un jour ? Je me sentis à nouveau inquiète. Je lui demandai « savez-vous s'il y a un autre épicier par là où je pourrais trouver de la litière pour mon chat ?» (En plus j'ai oublié de vous dire que nous étions dimanche et que la plupart des magasins étaient fermés). Il m’indiqua un quartier très éloigné, avec de hautes tours, des HLM, où il y avait, rue Philippe Hoffmann, un épicier mais qu'il ne savait pas s'il était ouvert ou fermé. Je pris la direction des grandes tours et je marchai, je marchai, je marchai mais je m'aperçus bientôt que j'avais dû me tromper. Nous étions dans le quartier des Marnaudes, quartier où je n'avais jamais été et qui avait la réputation d’être un quartier sensible. Cependant il n'y avait personne car tout le monde devait suivre les consignes du gouvernement et rester chez soi à moins de raisons impérieuses. Je marchais dans les rues désertes et je compris bien que je m'étais trompée et que je ne trouverais jamais le magasin que l'on m'avait plus ou moins bien indiqué. Je regardais autour de moi il n'y avait pas non plus de sable nul part. Que faire, que faire, que faire ? J'étais partie de chez moi depuis au moins deux heures et demi et je me retrouvai dans un quartier que je ne connaissais pas. J'étais totalement perdue. Même pour revenir chez moi je ne savais pas comment j'allais faire. Car il n'y avait personne à qui demander son chemin. Tout était désert. Et voilà qu’un jeune homme s'avance dans ma direction. Enfin une âme vivante ! Et il s'adresse à moi sans trop m'approcher. Les consignes étaient de ne pas s'approcher de quelqu'un à moins d'un mètre. Car le coronavirus est très contagieux. Il me posa une question. « Savez-vous si l'épicerie de la mare est ouverte ? » Je répondis que je ne pouvais pas le savoir car je n’étais pas du quartier et que moi j’étais en train de chercher désespérément cette épicerie. Alors pouvait-il me dire où elle se trouvait ? Il m’indiqua que c'était plus loin dans la rue où nous étions. Et il partit en avant pour se rendre à cette épicerie. Je partis derrière lui. Il marchait très vite et disparut bientôt. L’épicerie n'était pas très proche. Cependant la consigne qu'il m'avait donnée était claire et simple. Il suffisait de suivre le trottoir et l'on arrivait à cette boutique. Mais allait-elle être ouverte ? Rien n'était moins sûr. Je recommençai à me faire un peu de souci. En fait dans mon cœur l'espoir et l’inquiétude cohabitaient de façon plus ou moins agréable. J'aperçus bientôt une petite enseigne, celle de l'épicerie. Mais elle était minuscule cette épicerie. C'était au rez-de-chaussée ou plutôt à l'entresol d'un pavillon. Lorsque que je poussai la porte de l'épicerie, car elle était ouverte, je posai cette question fatidique en tremblant. Je n'étais pas sûre du tout que l'on me réponde affirmativement. Et si l’on me répondait négativement toute ma quête était à poursuivre jusqu'à temps que je sois découragée ou que je trouve le produit précieux que je cherchais. Je posai donc la question « avez-vous de la litière pour chat ? » Il y avait deux employés dans la boutique ou peut-être le patron et son employé. Et ils avaient de la litière pour chat. Il y en avait même une dizaine de paquets. Je respirai enfin. Comment un paquet de litières pour chat peut-il devenir précieux comme un paquet de pièces d'or. Je venais d'avoir la réponse. Mon chat ne serait pas obligé de crotter partout dans l'appartement car il allait avoir de la litière pour rester propre. Je revins à la maison après avoir acheté cette litière plus d'autres produits de première nécessité. J'avais eu de la chance car cette boutique devait fermer le soir même et les employés et le patron aussi bien sûr, partir pour quinze jours en Algérie. André à mon retour me dit qu’il s'était fait du souci et n'avait pas osé m'appeler au téléphone bien que j'ai été absente très longtemps. Quand il vit que je ramenais de la litière pour notre chat il fut bouleversé de plaisir. Comment de la litière pour chat peut-elle donner un tel plaisir ? Vous avez la réponse. Il s'étonna que j'ai pu en trouver. Je lui racontai le périple et toutes mes recherches. C'était évidemment beaucoup mieux que si j'avais trouvé du sable. Devant l'étonnement d'André et parce que sur mon parcours j'étais tombée sur un petit calvaire où le Christ était accroché à la Croix et que j'y avais prié non pas pour trouver de la litière mais pour que Dieu nous aide tout au long de la pandémie, je répondis : le Christ a dit : « cherchez et vous trouverez. Frappez et l'on vous ouvrira. Demandez et Il vous donnera. » C'est exactement ce qui s'était passé pour moi.

NOUVELLES D'UNE VIE
69 ans
Pontmain

Pour la deuxième fois nous avions pris nos vacances au Mont-Saint-Michel. Nous étions en camping-car. Les accès avaient changé et on ne pouvait plus venir jusqu'au pied du mont en voiture. Il fallait prendre une navette pour y arriver à partir du nouveau parking. On était extrêmement serrés dans la navette c'était beaucoup moins facile que la première fois que nous étions venus. Nous nous étions promenés à nouveau au Mont-Saint-Michel mais nous avions trouvé qu’il y avait beaucoup plus de commerces et beaucoup moins de recueillement que la première fois. Alors que nous visitions une église non loin de là, à Avranches, une dame de la paroisse qui était préposée à cela nous demanda si nous désirions faire une visite guidée de l'église. Bien sûr avec enthousiasme nous acceptâmes. Après la visite guidée nous demandâmes à notre guide s’il y avait des sites intéressants à voir, autres que ceux que nous connaissions déjà. Alors elle nous parla de la ville mariale de Pontmain qui n'était pas très loin. Nous n'avions jamais entendu parler de cette ville mariale de Pontmain. Elle nous donna quelques indications et le lendemain en camping-car nous nous y rendîmes. Marie est apparue dans tellement de lieux sur terre et dans tellement de lieux en France qu’il est difficile de tous les connaître. Nous avions déjà été, bien sûr, de nombreuses fois à Lourdes et nous connaissions également « la Salette » et d'autres lieux. À Paris il y a, et nous y allons souvent, la chapelle au 140 de la rue du Bac où Marie apparut en 1830. Mais la ville mariale de Pontmain non jamais nous n'en n’avions entendu parler. Il y a là un très joli camping où nous laissâmes notre camping-car avant de nous rendre à la basilique. En fait Marie était apparue en janvier 1871 pendant la guerre contre la Prusse. À l'époque l’église du village avait déjà été grandement embellie par le père Guérin, son curé. Il y avait fait de nombreux aménagements comme l’ajout de deux chapelles latérales. Il y avait aussi construit une école, avait fait améliorer les routes menant à Pontmain. Pendant la guerre contre la Prusse une trentaine de jeunes gens du village avaient été enrôlés dans l’armée de la Loire. Le village n'avait plus de nouvelles d’eux. Beaucoup de parents désespérés et des habitants du village qui étaient attachés à ces jeunes, pensaient que ces conscrits avaient été tués. Un soir, dans une grange, un gamin était en train, avec ses parents, de piler des ajoncs pour nourrir les animaux. Et il sortit de la grange un moment pour prendre l'air. Alors quelle ne fut pas sa surprise d'apercevoir dans le ciel une « belle dame ». Elle était posée sur les nuages au-dessus de la maison qui faisait face. Il rentra vite dans la grange et en informa ses parents qui ne le crurent pas. Ainsi se passa la soirée où ce gamin essaya d'avertir ses parents qu’une dame s'était installée dans le ciel, une dame souriante dont la robe était bleu nuit, parsemée d'étoiles, exactement comme le nouveau plafond de l'église du village que le père Guérin avait restaurée. Finalement un peu plus tard dans la soirée d’autres enfant virent cette belle dame alors que les adultes ne voyaient rien du tout, sauf trois étoiles dans le ciel qui étaient apparues et qui brillaient anormalement. On appela le curé du village, on appela les sœurs et on put constater que les enfants voyaient tous les six une belle dame alors que les adultes ne la voyaient pas mais voyaient les étoiles insolites et inconnues qui en fait dessinaient une mandorle. Tout le village s'était réuni et les gens se mirent, à la demande du père Guérin, à chanter des chants à la gloire de Marie et des chants d'église. La dame n'était pas statique. Lorsque dans les chants on évoquait la résurrection de son Fils ou sa naissance elle avait un grand sourire. Mais lorsque l'on évoquait la passion du Christ alors elle s'attristait. Elle fit des gestes aussi. Elle levait les mains ou les baissait. Et bientôt s’écrivit dans le ciel en lettres bâtons un message. Les enfants déchiffrèrent au fur et à mesure que les lettres apparaissaient ce message qui s'imprimait dans le ciel. Marie ne parla pas, elle écrivit. Elle écrivit ceci « Prier mes enfants vous serez exaucés en peu de temps Mon fils se laisse toucher ». Ce message qu'elle délivrait ainsi était un message d'espérance. La prière des villageois allait certainement en grande partie au désir de revoir les conscrits dont on n'avait pas de nouvelles et de les retrouver en bonne santé. Deux semaines après cette unique apparition de la vierge l’armistice fut signée entre la France et la Prusse et tous les conscrits revinrent, sains et saufs, au village. Plus tard on fit bâtir une magnifique basilique dans ce village qui comptait peu d'habitants. Des pèlerinages furent organisés. Des grâces ont été déversées par l’intercession de la Vierge sur les gens qui se rendaient à Pontmain pour prier. André et moi avions entendu parler de Pontmain par la dame qui nous avait fait la visite guidée de l'église et nous avait dirigés vers cette ville mariale. Nous étions donc arrivés là et nous étions installés au camping. Le lendemain nous fîmes, nous aussi, le pèlerinage de Pontmain. Mais nous ne restâmes pas longtemps. Car le médicament que je prenais et que j'étais obligée de prendre malgré ses effets secondaires, me rendait malade et extrêmement fatiguée et obligée de rester à me reposer une grande partie de la journée. C'est pourquoi l'année suivante nous décidâmes de retourner à Pontmain. Cette fois ci nous ne prîmes pas le camping-car. De Rosny-Sous-Bois à Pontmain il n'y a que 4 h de route mais il est aussi possible de loger chez les sœurs et d’y séjourner en pension complète. J’étais moins malade que la première fois. Et nous avions amené des cadeaux pour le recteur du sanctuaire. Il nous reçut très aimablement.

L'année suivante nous décidâmes André et moi alors que nous organisions une exposition à la Salle Royale de l'église de la Madeleine de prendre pour invités d'honneur la ville et le sanctuaire de Pontmain. À noter que plusieurs de mes œuvres, ou leur reproduction, se trouvent exposées en permanence à Pontmain au « restaurant de la Poste » où nous avions fort bien déjeuné. (Nous sommes toujours en relation avec Monsieur et Madame Ève qui tiennent ce restaurant et qui sont des gens d'une grande amabilité). Donc à la Salle Royale alors que le thème de l’exposition était « parler de sa foi » nous avons réservé tout un mur pour présenter la ville de Pontmain et son sanctuaire. Nous avions pris beaucoup de photos lorsque nous étions à Pontmain. Nous les avions gentiment encadrées et il y avait un texte qui racontait ce que Marie avait fait pendant son apparition. Nous avions réservé des récompenses pour honorer et la ville et le sanctuaire de Pontmain. Pour le sanctuaire nous offrions avec le diplôme un plateau gravé sur lequel il est écrit que le sanctuaire de Pontmain avait été invité d'honneur à l'église de la Madeleine à Paris. Pour Madame le Maire nous avions réservé une très grande et belle coupe pour attester de la même chose. Mais pour le sanctuaire de Pontmain j'avais prévu quelque chose de plus en relation avec l'apparition et avec la Vierge. J'avais demandé à Marie-Dominique, une artiste de mes amies qui a une pratique très équilibrée et très ensoleillée dans le style rencontre de couleur abstraite, de faire une œuvre où elle ferait figurer la Vierge de Pontmain. J'avais une grande confiance en Marie-Dominique. Je savais qu'elle était croyante et sa vie était digne de faire un tableau à la gloire de la Vierge. Je n'ai pas assisté aux étapes de l'élaboration du tableau. Marie-Dominique ne me montra rien avant que son œuvre, peut on dire son chef-d'œuvre, ne fut achevée. Lorsque qu’elle eut fini elle m'en envoya une copie. Je fus étonnée de trouver là une œuvre qui était exactement ce que moi et ce que notre mère Marie, aurions pu désirer. Parmi des taches de couleur qui étaient habituelles à Marie-Dominique pour donner de la lumière à son œuvre, Marie figurait telle qu’à Pontmain on la représente mais les yeux baissés, clos sur une prière intérieure toute de recueillement et de douceur, de tendresse et de bonté et les petits voyants étaient eux aussi représentés mais de dos, bien que l'on vit leurs mains jointes. Et tout ceci respirait un air de Pontmain, un air de recueillement, un air de « merci Vierge Marie », un air de douceur, de tendresse un air d'apparition mariale. Les représentants de la ville et du sanctuaire ne vinrent pas à Paris car c'était malgré tout un voyage assez long. Alors nous décidâmes de porter jusqu'à la ville mariale les distinctions et cadeaux que nous avions préparés et que nous avions montrés à la Salle Royale de l'église de la Madeleine pendant le vernissage à ceux qui étaient présents. André donc se déplaça et il rencontra Madame le Maire qui fut enchantée de la coupe, vraiment une belle coupe que nous offrions à la ville. Et elle-même nous offrit une médaille de la ville. Quant au recteur du sanctuaire il fut vraiment ému et admiratif devant le tableau de Marie Dominique. Il se leva de derrière son bureau et justement il y avait là un tableau accroché, il le décrocha et mit à la place l'œuvre de Marie-Dominique. André en fit une photo sur laquelle on voit donc cette oeuvre vraiment belle et recueillie et, à son côté, le recteur qui sourit largement. Certainement nous reviendrons à  Pontmain. Et nous ne cesserons pas de parler de l'apparition de Marie car ne faut-il pas faire connaître toutes ces apparitions afin que l'on connaisse mieux Marie, sa bonté, sa tendresse et tout ce qu'elle a fait en venant au secours des pauvres humains que nous sommes. Merci Marie, à bientôt ville de Pontmain, à bientôt sanctuaire recueil de la foi.

23 ans
Préparation mariage - Paris

Lorsque André et moi préparions notre mariage nous avions évidemment décidé de nous marier non seulement à la mairie mais aussi à l'église. Or si André était un catholique qui avait été baptisé et avait aussi suivi toutes les étapes du catéchisme, de la communion à la confirmation, il n'en était pas de même pour moi. Moi j'avais cherché Dieu le Père à travers les étapes de ma vie qui avait été douloureuse mais tout ce que je savais de Dieu je l'avais appris en cherchant et surtout à travers la philosophie. J'avais réfléchi sur ce qu'était le panthéisme. Mais je n'avais pas pu aller plus loin sans aide et sans que l'on m’ait permis de suivre un chemin religieux. J'étais pourtant mystique et j'avais noué une relation avec Dieu dont je ne connaissais rien, Dieu le Père bien sûr. Souvent je m’étais disputée avec cet Être dont je percevais la présence et dont je ne savais rien, qui résidait dans le Ciel, ou plutôt dans le plafond de la chambre, car lorsque j'avais besoin de Lui et que je l'interpellais je levais les yeux vers le plafond comme si c'était là qu’il se tenait. Cet Être, que j'appelais Dieu, avait une véritable présence, une grande importance dans ma vie. C'est pourquoi les préparations au mariage lorsque je les envisageais m'enthousiasmaient. Allais-je enfin connaître cet Être qui m'était indispensable mais dont je ne savais rien quelques semaines avant la date de notre mariage. Le prêtre qui me reçut en cours particuliers me permit de discuter avec lui à partir de ce que je savais déjà, et qui était peu de chose, qui venait simplement de mes cours de philosophie de classe terminale. Nous parlâmes d'abord panthéisme et nous discutâmes longtemps mais je n'arrivais pas à comprendre ce dont il me parlait car jamais nous n'abordâmes l'Évangile et jamais il n'eût le temps, avant la date de notre mariage, de me parler du Christ. Lorsque nous abordâmes la question du panthéisme je lui dis que en effet je croyais que Dieu était partout, que j'admirais la nature et que je le voyais partout dans la nature et que je croyais en Lui. En fait à cette époque j’étais mystique et rien de plus. À ce moment-là il me dit « oui Dieu est partout mais il est décollé ». Alors là je perdis pieds. Décollé qu'est-ce que ça voulait dire. Dieu était décollé, mais quoi encore ? Cela me parut d'une grande stupidité. En fait ce prêtre maladroit me disait à travers cette parole quelque chose d'important et de vrai. Mais moi qui n'avais jamais eu le droit de prendre le chemin d'une religion j'étais complètement déstabilisée. Nous ne sortîmes pas de cette parole. Il m'avait dit que Dieu était décollé. Je ne compris pas. Je passais des jours à trouver cela stupide. Et cela me fit perdre ma foi naissante. Cela me fit perdre la confiance que j'avais en Dieu de façon innée, moi qui le traitais comme un ami indispensable et naturel. Je perdis ma foi. Même si cette foi n'était pas quelque chose de classique elle avait bien existé. Et elle m’était indispensable à moi qui n'étais pas aimée dans ma famille dont le père était alcoolique et la mère indifférente et même hostile. Comment était-il possible que je perde ce seul ami que j'avais ? Par dérogation le jour de notre mariage je me retrouvai avec André au pied de l'autel. Nous n'avions eu droit qu'à une belle bénédiction. Moi j'aurais désiré la totale c'est-à-dire une messe. J'en voulais terriblement au prêtre qui m'avait refusé cette messe. Mais je ne savais pas ce que c'était qu’une messe. Je ne savais pas ce que c'était que communier. J'étais complètement ignorante de la personne du Christ. On n'avait pas été présentés. Et j'étais malheureuse, je me sentais étrangère à cette situation de mariage dans l'Église. Alors désireuse de retrouver au moins le mysticisme qui m’était indispensable même s'il ne reposait sur aucune vérité que j'aurais pu appréhender, je levai les yeux vers le faite de l'église, vers la voûte, et je priai : « Seigneur mon Dieu, oublions que l’on m'a dit que tu étais décollé. Oublions les paroles de ce prêtre. Oublions le terme décollé et retrouvons-nous comme avant, retrouvons-nous avec cette affection qui nous lie et qui m'est indispensable ». Et en effet à ce moment-là je retrouvai mon embryon de mysticisme, celui qui m’était nécessaire pour supporter ma vie difficile d'enfant mal aimée. Plus tard bien sûr je connus le Christ et plus tard je fus enfin une croyante heureuse et marchai sur un chemin qu'enfin on avait ouvert devant moi.

62 ans
Ionica

Avec André nous sommes au Grand Palais, l’exposition rassemble de très grands et de nombreux talents. Et nous voici devant un très, très grand dessin qui représente deux serpents enroulés sur une branche d’un arbre qui renferme entre ses feuilles et ses branches de nombreux animaux. C'est un travail à la fois d’une grande précision et c'est un travail au crayon et entièrement symbolique. Que c'est beau ! que c'est beau ! Avec André nous sommes devant le tableau et nous recherchons tous les détails. Nous sommes en train de parler de ce que nous voyons dans l'arbre, il y a un crocodile, il y a un lion « Oh, dis-je à André, as-tu vu là ce hibou ? » « Ah oui dit André tu as raison il y a un hibou, je croyais que c'était simplement des feuilles d’arbre. » Derrière nous il y a un couple qui est aussi en train d'observer le tableau avec attention. Le monsieur dit : « et avez-vous vu là ce singe ? » « Ah oui dis-je » et nous continuons ainsi à quatre, notre couple et celui qui est derrière nous, à détailler le tableau. À un moment donné je me retourne et je dis au monsieur : « vous semblez bien connaître ce tableau ce n'est pas la première fois que vous l'admirez. Mais peut-être connaissez-vous le peintre, l'artiste qui l’a créé ? » « Oui je le connais dit ce monsieur, c'est moi.» Avec André nous nous exclamons « Ah comment est-ce possible, mais alors vous êtes Ionica ? » Ionica étant l’artiste dont le cartel est apposé à côté du tableau. « Oui en effet dit le monsieur, je suis Ionica ». C'était une façon originale de faire connaissance avec un grand artiste. Finalement ce très grand et magnifique dessin n'était pas très cher par rapport à sa beauté. Et nous en avons fait l'acquisition. Avec Ionica nous ne nous sommes pas revus mais nous avons échangé quelques lettres. J'y pense : « cher Ionica il faut que je t’écrive car cela fait longtemps que je n'ai pas de tes nouvelles ».

NOUVELLES D'UNE VIE
28 ans
Catéchuménat - Janine

Après la mort de ma grand-mère et bien que je ne sache pas du tout qui était le Christ, ma mère et moi nous nous étions rendues plusieurs fois dans des églises pour «  mettre un cierge ». Mais moi qui n'étais instruite de rien lorsque je voyais sur une croix un homme suspendu je haussais les épaules. Je ne voyais pas ce que cela pouvait dire, signifier, ni en quoi c'était intéressant. Il me semblait qu’il n'y avait pas de relation entre Dieu et cet homme qui était en croix. Car ce Dieu que j'appelais de toutes mes forces je ne savais pas qu'il avait eu le désir de s'incarner et si on me l'avait dit je n'y aurais pas cru. Alors après que le Christ m’a offert cette sublime marque de miséricorde qui sauva ma vie je traversai la rue, la remontai, allai jusqu'à l'église Notre-Dame de Lourdes et je devins catéchumène. J'avais une marraine de catéchuménat qui venait une ou deux fois par semaine à la maison pour m'instruire dans la religion chrétienne. Et je faisais partie d'un groupe qui rassemblait des catéchumènes et leurs accompagnateurs qui se retrouvaient tous les mois pour un enseignement avec un prêtre portugais. Cette réunion était suivie d’une messe au cours de laquelle nous n'avions pas, nous catéchumènes, encore le droit de communier et je trouvais cela frustrant. Ma marraine de catéchuménat s'appelait Janine. C'était la meilleure, la plus dévouée, la plus amicale des femmes. Elle n'était pas mariée mais sa bonté confinait à la naïveté. Elle aimait ses parents qui n'avaient pourtant pas fait grand-chose pour elle. Elle allait régulièrement pour repasser chez eux leur linge et des affaires à elle et ces braves gens lui comptaient l'électricité qu’elle dépensait pour cela. Je n’ai cité cet exemple que parce qu'il m'avait choqué. Elle était bonne Janine, elle avait la bonté inscrite dans la main et cette main elle vous l'offrait avec beaucoup de sincère amitié. Nous avions chacune un évangile et nous musardions à travers l'Évangile. Nous cheminions plutôt car c'est le terme que l'on emploie. Et voici qu'il m’était donné, enfin, alors que j'avais déjà 28 ans de connaître Jésus. Ce Jésus dont j'avais vaguement entendu parler et auquel je n'avais jamais cru, ce Jésus dont l'existence ne m'avait jamais intéressé jusqu'au jour où il était descendu chez moi pour sauver la pauvre petite femme condamnée à un désespoir perpétuel. Et voici que je découvrais que lui et moi on avait des convictions communes. Il pensait comme moi. Il pensait que c'est le plus petit, le plus faible, le plus disgracieux, le plus sot quelquefois, le plus pauvre qui a besoin de vous. Avec ses pécheurs il agissait de la même façon que moi avec les enfants de ma classe. Bien sûr dans ma classe il y avait des enfants très intelligents qui faisaient un travail remarquable et il y avait aussi de pauvres petits mignons qui ne savaient même pas tenir un crayon, qui parfois étaient devenus méchant à force d'être humiliés par le groupe. Et moi, ceux qui m'intéressaient le plus ce n'était pas, comme pour certaines institutrices, les élèves brillants qui font un travail remarquable. Ceux-là je ne les laissais pas de côté, bien sûr, car s’ils avaient de grandes aptitudes il fallait développer encore ces aptitudes, c'était mon devoir de les aider à le faire. Mais il suffisait de leur proposer des exercices qu’ils pouvaient effectuer seuls tout en en tirant un grand bénéfice. Il n'était pas besoin de leur consacrer beaucoup de temps. Ce temps je le gardais pour ces pauvres petits mignons qui étaient pauvres dans leur cœur, pauvres dans leur intelligence, pauvres en facilités et pauvres tout court bien souvent dans des familles où même la richesse et l'amour ne leur étaient pas forcément offerts. J'avais la volonté de les faire progresser. Je me sentais responsable et je me sentais utile. Je m’acharnais à les sortir de là avec beaucoup d'intérêt et d'amour et aussi de compétence. Je leur consacrais beaucoup de temps je les faisais marcher pas à pas vers la réussite en les soutenant tout le temps. Et j’avoue que c'est auprès d’eux que j'ai obtenu mes plus grandes satisfactions. Car, si vous vous y prenez bien et que vous vous entêtez à aider ces petits d'homme qui dépendent de vous eh bien vous les voyez s'éveiller et faire des progrès qui vous enchantent. Or moi mon désir c'est d'être utile. Mon intérêt c'est de faire grandir celui qui est tout petit et le rendre heureux. Rendre heureux c'est quelque chose qui a toujours soutenu mes actions d'institutrice et aussi de femme dans la cité. Rendre heureux pourquoi est-ce que j’y tiens tant ? Peut-être que parce que moi je n'ai pas eu cette chance que l'on veuille me rendre heureuse. Le bonheur et l'amour valent la peine que l'on fasse des efforts, même de très grands efforts, pour les obtenir. Jésus aussi voulait le bonheur des gens, il voulait guérir ceux qui souffraient dans leur corps ou dans leur âme. Il était prêt à tout donner pour cela. Et il a donné sa vie, il a accepté de souffrir abominablement pour sauver des gens qui ne lui étaient rien mais qu’il aimait comme s'ils étaient ses enfants. Je comprenais ça très bien moi l’institutrice. On avait la même façon de réagir. Et lorsque Janine me parlait d'une des actions du Christ que nous lisions dans l'Évangile, un de ses actes ou l'une de ses pensées, je me surprenais à dire « ah oui ça c’est bien. Il a bien fait. Il a dit ce qu'il fallait. Ah je suis entièrement d'accord avec Lui. Quel homme admirable ! Quel Dieu formidable ! Oh oui, je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui me corresponde autant ». Cela peut paraître orgueilleux de dire que l'on comprend le Christ, ses façons de réagir et de penser. Bien sûr, moi je suis un moustique à côté de Lui qui est Dieu infini et homme parfait, mais cela ne change rien. Seule je suis la plus heureuse des femmes d'avoir rencontré un être capable de penser, d’aimer, de réagir et d'avoir des ambitions pour les autres comme Lui l’a fait. Si Christ n'existait pas ma vie aurait fini d'avoir un sens. Lorsque j'étais avec ma grand-mère jusqu'à l'âge de douze ans je n'ai pas eu besoin d'un Dieu. Ma grand-mère comblait mes attentes par son courage et par son immense amour pour moi et pour les autres. Mais ensuite entre mes parents qui m'ont fait beaucoup souffrir j'avais absolument besoin de Dieu. Mais ce n'est pas de Dieu dont j'ai besoin en fait car son immensité me dépasse et ce n'est pas ce qui me touche. Ce qui me touche c'est Christ qui dit sur la croix « pardonne-leur mon Père ils ne savent pas ce qu'ils font », comment peut-on avoir un courage et un amour aussi féroces pour dire des choses aussi étonnantes et qui vous étreignent le cœur. Oui je suis heureuse d'avoir rencontré le Fils et d'être devenue chrétienne. Même si je ne le mérite pas par mon caractère ou ma façon d'être. Mais Christ ne demande pas que l'on mérite pour offrir. Je suis d'accord avec ça. Je suis accord avec toi Dieu tout puissant en ton Fils, l'homme parfait, divinement parfait.

19 ans
Propédeutique…

Après le second bac j’entrai en fac, en propédeutique. J'avais choisi philosophie, anglais et grec ancien. Vous allez me dire que cela ne menait à aucun débouché, j'en ai bien conscience à présent. Mais à l'époque je ne « réfléchis pas plus loin que le bout de mon nez » et mes parents qui étaient des gens pauvres et simples ne réfléchirent pas plus que moi. Je ne reçus pas de conseil. Mon année de propédeutique fut chaotique. En fait j'étais mauvaise en tout. Et je ne tirais mon épingle du jeu ni en philo, ni en anglais, ni en grec. Par contre j’eus pour la première fois un flirt. En fait il mesurait 1,80 m et était très bien « baraqué » et moi j’étais une petite puce, un Tanagra comme il m'appelait, de 1,50 m et qui pesait 42 kg. Cependant j'appris en l'embrassant et par ses caresses ce qu'était le plaisir de la chair. Mais pas jusqu'au bout car je refusais de coucher avec lui. En fait j'avais choisi de résister à cause de ma mère. Elle se faisait toute une affaire de ma virginité comme si c'était le bien le plus précieux auquel elle était attachée et comme si j'allais la trahir abominablement en ayant une vie normale de jeune fille de 19 ans. Vous me direz que ma mère n'était pas une mère puisqu'elle ne m'aimait pas et me menait la vie dure. Cependant c'était elle qui m'élevait et mes parents divorçaient, alors je me sentais redevable et ne touchant aucun salaire, n’apportant par d'argent à la maison, étant nourrie par elle puisque mon père refusait de rien donner sur le plan financier, je ne voulais pas commettre la mauvaise action de la trahir. Ma vie ne m'appartenait pas mais m’a-t-elle jamais appartenue ? Par le fait que je ne voulais pas céder à ce garçon qui ne demandait que cela venant de moi, je subis à la fac de la part du groupe dans lequel nous étions tous les deux beaucoup de mépris et dus un jour quitter la fac le cœur brisé pour ne plus y revenir. Je demandai à ma mère, pour me remettre de cette déception destructrice, de pouvoir partir à la campagne chez nos amis qui tenaient un café-épicerie à Neaufles. D'abord me voyant sans dessus dessous elle accepta mais le lendemain elle avait changé d'avis et se mit à me dire que les voisins ne comprendraient pas mon départ et que ce serait une cause de mépris pour notre famille. Je ne pouvais pas revenir à la fac et braver la méchanceté des gens de mon groupe. Je ne pouvais pas me retrouver en face de Daniel qui m'avait rejetée. Mais je ne pouvais pas non plus rester à Paris et commencer je ne savais pas quelle nouvelle vie sans au moins me remettre de mes émotions. Le lendemain, bouleversée par mon chagrin d'amour et par le fait que je ne pouvais pas m'en remettre comme je l'aurais désiré, je tentai de me suicider. Je défis le tuyau du gaz de la cuisine et je commençai à avaler le gaz empoisonné. Mais ma mère surgit qui revenait de course et elle sentit cette odeur de mort. Je remis rapidement en place le tuyau et lui fit croire que j'avais fait brûler du café dans une casserole pour expliquer cette odeur. Elle fit semblant de me croire mais le lendemain je pus partir à la campagne chez Madeleine. Mon chagrin était immense, mon cœur était brisé. C'était la première fois que je tombais amoureuse d'un garçon. À Neaufles je me souviens que l'après-midi j'allais dans la campagne, que je me couchais dans l’herbe et que, le regard au ciel, je pleurais. Il me fallait ce calme. Il me fallait cette solitude. Il me fallait éponger toutes ces larmes qui n'étaient pas celles seulement de mon chagrin d’amour. C’étaient aussi les larmes de celle qui avait été torturée moralement par un père alcoolique et par une mère d’une grande méchanceté. Madeleine m'avait accueillie avec gentillesse et cette gentillesse j'en avais tellement besoin ! Il y avait très longtemps que plus personne depuis la mort de Mame ne m'avait traitée avec gentillesse. On ne me demanda rien. Mais pendant le déjeuner on me disait avec gentillesse : « reprends donc de la viande, Irène reprends donc des légumes, mange ma fille ». J'avais trop besoin d'un peu d'attention. J'avais trop besoin d'un peu de calme, j'avais trop besoin d'une vraie famille. Lorsque je revins à Paris et alors que mes parents étaient en plein divorce je me sentais plus sûre de moi et mon chagrin d'amour s'était calmé. Si mes parents divorçaient c’était que j'avais tout fait pour cela. La vie était infernale à la maison. Tous les soirs mon père rentrait ivre et c'étaient des cris, des disputes à n'en plus finir. Et moi au milieu de ce désastre, au milieu de cette forfaiture, au milieu de cette violence, je perdais ma vie, mon envie de vivre, la possibilité d'être, sinon heureuse, du moins dans le calme des sentiments. Alors je disais à ma mère « divorce, mais divorce qu'est-ce que tu fais avec ce type-là, est-ce que tu attends qu'il te tue un jour ? Mais divorce donc. » Si je n'avais pas fait le forcing jamais ma mère n’aurait divorcé. Mais là j’eus une emprise sur elle et elle se décida à faire les démarches et alla trouver un avocat. Vous me direz que c'est un péché de faire divorcer ses parents. Mais j’étais dans un état de destruction intérieure inimaginable et il était vital pour moi que je puisse vivre un peu de calme. J’avais cessé de dire « papa » car en moi ce mot provoquait une douloureuse révolte. En fait, après le divorce, la vie devint un peu plus calme mais rien ne changea vraiment. En effet moi et ma mère nous habitions d'un côté du palier et mon père habitait tout juste en face de nous, de l'autre côté du palier. Ce qui fait que, très fréquemment, ma mère qui avait fait de la soupe ou du bœuf bourguignon et qui était restée attachée à cet homme qui pourtant l'avait traitée violemment, traversait le palier pour l'inviter à dîner avec nous. Le premier soir cela se passait bien. Le second souvent bien. Le troisième lorsqu'elle allait le chercher pour manger le rôti de bœuf ou la soupe de pois cassés, les disputes recommençaient et c'étaient des hurlements. Cependant la situation était beaucoup plus simple. Car elle lui disait alors : « nous sommes divorcés, retourne chez toi de l'autre côté du palier et fous-nous la paix ». Elle le poussait vers la porte, il traversait le palier et la dispute était ainsi terminée. Ces deux-là ne se sont jamais aimés, mais peut-être se sont-il aimés malgré tout. Qui peut comprendre ? Lorsqu'ils eurent vieilli et se furent retrouvés seuls tous les deux ils parlaient de se remarier. Quant à moi j'avais réussi grâce à ce soi-disant divorce qui apportait un peu de paix à ne pas être complètement et définitivement déchiquetée par la violence de mon foyer.

31 ans
Le chapelet

Je suis devenue chrétienne assez tardivement. En effet le jour de ma première communion j'avais trente ans. Et je ne connaissais pas les us et les coutumes de la dévotion et tout ce qui concernait par exemple la récitation du chapelet. Un jour que je m’étais confessée le prêtre me dit « « pour pénitence vous allez me dire trois dizaines de chapelet ». Trois dizaines de chapelets ? Je trouvai cela assez sévère mais ma bonne volonté pour plaire à Dieu et pour le servir n'avait pas beaucoup de limites. Quelques jours plus tard comme c'était une fête et alors que je n'avais pas encore récité mes trois dizaines de chapelet je me confessai comme il est coutume de le faire à l'approche de Noël ou de Pâques. Je n'avais pas grand-chose à dire puisque une semaine plus tôt je m’étais déjà confessée. « Pour pénitence, me dit le prêtre, vous direz quatre dizaines de chapelet ». Quatre dizaines de chapelets je trouvai cela sévère. Surtout que j'en avais déjà trois à dire. Mais je ne voulais pas contrarier la volonté de Dieu qui passait par celle du prêtre. Il aurait fallu me dire ce que signifiaient quatre dizaines de chapelets. En fait quatre dizaines de chapelets ce n'est pas quatre chapelets entiers. C'est seulement quatre fois dix « Je vous salue Marie » et quatre « Notre Père ». Étant dans l'ignorance de cela je m'imaginais que quatre dizaines de chapelets c'était quarante chapelets entiers. Donc cela faisait au total soixante-dix chapelets entiers à réciter. C'était vraiment une très, très grave et longue pénitence. Parce que un chapelet entier c'est cinquante « Je vous salue Marie » et cinq « Notre Père ». Je m’attelais à la tâche de la récitation des chapelets dès le lendemain. Soixante-dix chapelets cela fait à peu près soixante-dix fois vingt minutes. Je passais presque dix jours enfermée dans la chambre à réciter chapelet sur chapelet pendant que mon mari le soir regardait la télévision. Dix jours à réciter des chapelets tous les soirs ce fut long mais je le fis consciencieusement. Un peu plus tard j'ai appris que je m’étais trompée sur l'usage du chapelet. Et que l'on ne m’en demandait pas tant. Après avoir récité aux bout de dix jours tous les soirs mes chapelets je me dis que j'étais bénie pour un bon moment.

NOUVELLES D'UNE VIE
38 ans
La cour

En parlant de la surveillance de la cour pendant la récréation mes collègues trouvaient tellement normal de ne pas être attentives qu'un jour, après que j'ai été comme on dit « de récréation » la veille, elles me tombèrent « sur le paletot ». Elles affirmaient qu’une des élèves avait chuté du portique pendant la récréation et que je n'avais rien vu alors qu'il aurait fallu que je le signale afin qu’on l’emmène très rapidement à l'hôpital. On l'avait hospitalisée le soir même parce qu'elle se plaignait de maux de ventre. J’étais très étonnée et même j'avais la certitude que cette élève n'était pas tombée du portique et que ses maux de ventre avaient une autre cause. Mais mes collègues avaient décidé qu'il en était ainsi, que j'avais mal surveillé, et que j’étais responsable de l'accident puisque j'avais été chargée de surveiller cette récréation. Je me défendis car j'étais certaine qu'elle n'était pas tombée du portique. Quand un enfant chute du portique on doit s'en apercevoir et jamais cela n’était arrivé sans que je ne m'en rende compte. Au cas où l'on ne s'en rendrait pas compte, ce qui à la rigueur peut arriver même si on a les yeux partout, les autres enfants qui savent que vous, vous êtes attentif à surveiller la récréation, viendront aussitôt vous le dire. Pour eux c'est important, en constatant un accident, que la maîtresse soit au courant. Ils sont même plusieurs à venir vous le dire. Or là rien ne s'était passé de cette façon. J’étais bien certaine que cette enfant n'était pas tombée du portique. Avait-elle reçu un coup ? Était-ce autre chose ? Je ne savais pas mais ce dont j'étais certaine c’était que la raison de son mal de ventre, inventée par mes collègues, était fausse. Alors elles me dirent que c'était l'enfant elle-même qui s'était confiée et que c’est elle-même qui avait dit qu'elle était tombée du portique. Oh c’est facile lorsqu'on veut convaincre un enfant de cet âge de lui faire dire ce qu'on veut. Il suffit de lui affirmer « mais si, tu es tombée du portique, tu ne seras pas grondée, avoue-le, avoue-le on ne te grondera pas ». Ce qui fut très dommageable pour moi c'est que mes collègues m’obligèrent à signer une déclaration d'accident où il était précisé que l'enfant était tombée du portique et que je n'avais rien vu. Je me défendis mais mes collègues étaient d'une telle virulence que je finis par m'exécuter et signer la déclaration d'accident. Elles avaient exercé sur moi du chantage. Elles me disaient « prends tes responsabilités. Tu n'es pas digne d'être une institutrice car quand il y a un accident tu refuses de signer le certificat pour te protéger. Tu es responsable de ce qui est arrivé ». Je fis donc ce faux certificat où j'affirmais que l'enfant était tombée du portique et que moi j’étais occupée à autre chose et ne m'en étais pas aperçue. Hé oui ! ! ! Le lendemain matin en me rendant à l'école, comme personne ne me disait rien, je posai la question : « alors qu'en est-il de la petite unetelle est-ce que à l'hôpital on a décelé ce qu'elle avait ? » Il me fut brièvement répondu « ah oui, eh bien elle n'était pas tombée du portique, c'était seulement une occlusion intestinale ! » Donc moi j'avais été mise en cause et accusée faussement. Ce rapport envoyé à l'assurance dénotait que je n'étais pas une bonne surveillante dans la cour. Et personne ne me dit qu'on allait me soutenir pour apporter une correction à ce rapport. Donc ce rapport existe toujours qui pouvait me nuire et en tout cas qui est calomnieux.

Lorsque j'eus 43 ans, parce que mon enfant qui aimait les arts plastiques pour lesquels elle était très douée dut entrer dans une grande prépa, Louis Le Grand, et ne plus avoir le temps de se consacrer à sa passion, je pris un congé pour convenance personnelle, non payé et je m'inscrivis à la fac d'arts plastiques. Moi aussi j'aimais les arts plastiques, la peinture, la sculpture, le dessin, l'histoire de l'art, et j’aimais dessiner, créer, écrire, poétiser. Donc pendant deux ans je cessais d’enseigner et je passais ma licence d'arts plastiques. En fait j'avais pensé entrer en DEUG. Parce que je n'avais jamais fait d'études d'arts plastiques. J'étais une autodidacte, une autodidacte en ce qui concernait le dessin et la peinture et une autodidacte en ce qui concernait le fait d'écrire. Lorsque je décidai d'entrer en fac d'arts plastiques et d'obtenir des diplômes je me dis que j'avais droit certainement en fonction de tout ce que j'avais vécu auparavant à obtenir des équivalences pour n'avoir pas à passer toutes les UV. Je réalisai donc un très grand dossier sur tout ce que j'avais apporté à l'école maternelle en ce qui concernait les arts plastiques. Des arts plastiques, tels qu’ils sont pratiqués dans les grandes écoles d'art, nous en faisons tous les jours et de toutes les manières en maternelle mais avec nos moyens de jeunes enfants. Si vous voulez connaître tout ce que l'on peut introduire d’enseignements pour les jeunes enfants et dans quel esprit enthousiaste cela se fait je vous invite à consulter le chapitre de mon ouvrage, « Porte ouverte en maternelle », sur les travaux manuels. Pour bénéficier d’équivalences je réunis donc mes connaissances et expériences dans un très grand dossier très imagé avec des photos et des dessins d'enfants et avec une longue explication pour chaque atelier d'arts plastiques qui se déroule dans la classe et bien sûr un texte explicatif. Car rien ne se fait sans une profonde réflexion de l'enseignant qui sait où il va et ce qu'il convient d'inventer comme exercices pour que les enfants progressent. Je réunis aussi quelques-uns de mes poèmes, quelques-uns de mes textes dont je fis un recueil. Je peignis aussi une dizaine de toiles à l'acrylique (mon art est surréaliste et symbolique). Avec tout cela je me présentai devant une commission formée de professeurs de la fac d'arts plastiques. Je passai devant cette commission, c'est-à-dire devant plusieurs professeurs de la fac. J'expliquai tout ce que je montrai et on me dit après avoir consulté brièvement ce que je présentais : « Pouvez-vous sortir Madame, nous allons discuter entre nous et nous vous appellerons ». Je me retrouvai donc dans le couloir et j'attendis. Lorsque, un bon moment après, on me fit à nouveau entrer dans la salle je retrouvai l'équipe des enseignants que j'avais quittée quelque temps avant. J'entendis que l'on me disait, et j’en « restais baba » mais très heureuse : « Madame, vous êtes tellement dynamique et ce que vous nous avez apporté est tellement bon que, avec enthousiasme, tous les professeurs présents qui ont étudié vos dossiers sont d'accord pour vous donner une équivalence complète des deux années de DEUG. Vous entrez directement en licence ». Je n'ai pas pleuré je n'ai pas ri non plus, j'ai ramassé mes dossiers. J'ai remercié et, je l'espère suffisamment chaleureusement, les professeurs qui avaient tellement apprécié mon travail et je suis partie « sur un petit nuage ». Je parlerai ensuite de ce que j’ai fait et de l'élève que j'ai été à la faculté d'arts plastiques. Je ne pensais pas rompre les ponts avec mon métier d'enseignante en maternelle. Malheureusement je ne me doutais pas de ce qui m'attendait. Je ne me doutais pas que l'on profiterait de la situation où je m'étais mise et qui présentait un vide juridique pour me priver de ce qui était ma vie, de ce qui était ma précieuse vie avec les enfants.

Je rencontrai Fanchon, qui était présidente d'une association culturelle, à l'occasion d'une réunion de l'Académie Européenne des Sciences des Arts et des Lettres. Cette académie est surtout destinée à promouvoir les sciences. Des gens souvent haut placés sont réunis lors de conférences. Mais il y a aussi une partie littéraire et Fanchon, que je rencontrai là, était venue dire des poèmes de sa composition. Elle était très bien accueillie et nous fîmes connaissance à cette occasion. J’entrai dans l'association de Fanchon. Cette dame très courageuse passait sa vie à parcourir les routes avec sa camionnette et dans celle-ci des dizaines de tableaux afin de les emmener dans différentes expositions. Fanchon et moi nous sympathisâmes. Et c'est grâce à elle que je pus débuter mes expositions personnelles. Ce qui arriva c'est que Fanchon, après que nous nous soyons très bien entendues pendant des mois, me montra un visage assez étonnant. Je ne sus jamais si, alors qu'elle se moquait de moi, c'était par amusement ou par jalousie. Voici ce que je vécus de très amusant avec elle et qui pourtant ne l'aurait pas été pour d'autres personnes plus susceptibles que moi. J'avais entrepris de monter un spectacle pour elle et pour un autre président d’une association de poètes que je connus très bien plus tard. J’organisais un salon. Ce salon était une manifestation avec différentes parties. J'avais prévu une exposition de peinture, mais aussi une foire aux livres, mais aussi un spectacle, mais aussi une scène ouverte, et naturellement il y avait un copieux buffet. Pour ce spectacle j’étais à la fois l’écrivain du scénario, le metteur en scène et l’un des personnages. Je m’occupais également des accessoires. J’avais déniché une très ancienne et très lourde machine à écrire dans une foire et, mon personnage étant un écrivain, je tapais sur les touches qui faisaient un bruit de marteau piqueur.Tout cela je le faisais pour promouvoir l'association de Fanchon et celle de Gilou. Or un jour que, avant la répétition pour le spectacle, je voulus tenir Fanchon au courant de mes efforts et ne trouvant pas moyen de lui parler dans les jours ordinaires je lui demandai : « écoute Fanchon on n'a pas le temps de parler, mais je voudrais te dire ce que je projette et que nous décidions ensemble comment l’accomplir le mieux possible ». Nous avions rendez-vous pour la répétition après le repas que nous allions prendre dans la salle où nous nous réunissions habituellement. « Voilà ce que je te propose. Pendant le repas nous aurons tout loisir de parler de ce qui nous préoccupe. Donc je vous invite toi et ton amie. Je vais amener un poulet rôti, des salades, de la charcuterie, du pain et des gâteaux. Je vous offre à toi et à tes collaboratrices le repas pendant lequel nous pourrons parler du spectacle que nous préparons ensemble. » Fanchon me donna son accord et le jour donné j'arrive avec mon poulet rôti, des chips, du saucisson, des salades, du fromage et nous commençons à déjeuner. Je dis à Fanchon dès le début du repas « bon maintenant est-ce que vous pouvons discuter sur ce qui nous intéresse ? » Fanchon me répondit alors « mangeons d'abord nous parlerons ensuite ». Je n'ai pas vu la malice qu'elle mettait dans ses propos. Nous mangeons donc tranquillement et alors que nous en étions au dessert voici que quelqu'un sonne et entre. C'était une dame qui voulait s'inscrire à l'association. Pour s'inscrire à l'association en tant qu'artiste cela ne prend pas bien longtemps ordinairement. Mais Fanchon se mit à discuter avec cette dame à laquelle elle avait donné rendez-vous et la discussion n'en finissait pas. Je voyais l’heure tourner et le moment où les participants au spectacle viendraient et où il faudrait répéter. Bien sûr il n'était pas question de prendre du temps sur la répétition. La conversation de Fanchon avec cette dame s’éternisait. À chaque fois que tout paraissait réglé Fanchon posait de nouvelles questions et la dame recommençait à expliquer tout ce qu'elle faisait en tant qu'artiste en long en large et en travers. Évidemment l'heure de la répétition arriva. La dame a enfin fini. Nous n'avons plus le temps de parler. Je ne peux pas en trois minutes expliquer à Fanchon ce que j'avais prévu de lui expliquer en une demi-heure. Je dis à Fanchon que nous nous réunirons un autre jour afin que je puisse la mettre au courant de tout ce que je prépare. Je suis prête à revenir une nouvelle fois. Mais Fanchon me dit « faisons-le maintenant ». Mais il ne reste que trois minutes. « Fanchon, dis-je, les élèves sont déjà là comment veux-tu que je fasse ? ». Elle se fâche presque et en trois minutes je lui dis quelques mots. Et je reste avec mon problème. Si j'avais mieux connu Fanchon je n'aurais pas été étonnée de cette petite épreuve. Elle me la refit même plusieurs fois.

Lorsque le salon eut lieu et alors que le public était assis devant la scène je pris le micro et, devant les spectateurs, je dis quelques mots de l'association de Fanchon. Elle était assise au milieu de la salle. Je l'invite à monter sur scène afin qu'elle se présente et qu'elle explique les avantages qu’il y a adhérer à son association. Je l'appelle « Fanchon voulez-vous venir nous parler de votre magnifique association ». Fanchon ne se lève pas. Elle n’esquisse aucun geste pour venir sur l’estrade. Elle me regarde assise avec un air de défi sur le visage. Je ne comprends pas cette réaction. Donc je l'appelle à nouveau avec plus de sourire encore et en expliquant à l'assemblée que Fanchon va nous expliquer tout ce qui concerne son association afin que les gens qui désirent y adhérer puissent le faire. Je répète mon l'invitation plusieurs fois. Je rame, je rame, je rame. À la fin c'est ridicule. Fanchon invitée moult fois à venir sur la scène pour faire l’éloge de son association et sa pub est toujours assise, se tait et me regarde avec un air de défi. Moi je suis très ennuyée, je suis dans une situation cauchemardesque. Finalement, finalement, finalement à la demande de la salle elle accepte, en traînant les pieds, de venir à mon côté et de s'expliquer. Mais pourquoi a-t-elle réagi ainsi alors que je ne faisais que sa promo et l'invitais à faire l'éloge de son travail ?

Une autre fois Fanchon, qui disposait une fois par mois d'une émission culturelle sur une grande radio, m'invita à venir dire de la poésie et présenter mon travail. Ce n'était pas la première fois que j'étais invitée ainsi par elle sur cette chaîne de radio. Mais ce jour-là j'étais grippée, fatiguée, et la perspective de devoir sortir et traverser Paris en métro pour gagner le studio d'enregistrement ne me plaisait pas trop. Je le lui dis. Mais elle insista en m’affirmant que je pourrais longuement parler de mes activités et de mes propres expositions. Donc je me décidai à la rejoindre ce jour-là et je pris le métro pour traverser tout Paris. Je me sentais fatiguée mais j'avais longuement préparé mon intervention radiophonique. Cela m'avait pris du temps. Lorsque j'arrivai, l'émission ayant pour vedette un people, le people, Fanchon et moi prenons place autour de la table. Le people préparait une exposition. Fanchon le fait parler en premier et longuement expliquer en quoi consiste cette manifestation. J'attends le moment où je pourrai intervenir. Et lorsque il y a un blanc Fanchon se tourne vers moi avec un sourire qui, et je crois le comprendre m’invite à prendre la parole. Voilà que j’ouvre la bouche, mais à chaque fois que je crois pouvoir prendre la parole, à ce moment-là elle me sourit d'une autre façon, d'un air plus goguenard. Et se tourne à nouveau vers le people pour lui poser de nouvelles questions. J'attends donc une nouvelle occasion de parler comme elle m’y avait invitée par téléphone. Et cela dure toute l'émission. Je ne peux jamais prendre la parole. Et à chaque fois qu'elle me regarde j'espère que je vais pouvoir le faire mais à chaque foi elle se détourne de moi et pose des tas de questions dont la plupart sont inutiles ou répétitives au people. Arrive la fin de l'émission sans que j'ai pu en placer une. Alors elle me demande, car il reste deux minutes de dire une poésie pour finir l'émission. Je m'exécute. Mais malgré tout je pense qu'il y a beaucoup de méchanceté dans le fait de m'avoir fait traverser tout Paris en métro alors que je suis grippée pour aucun bénéfice pour moi, pour simplement se moquer de moi car il s’est bien agi de cela. C'est son caractère mais petit à petit à force de ne trouver que des désillusions dans ce genre d'affaire je me détache affectivement de celle que je prenais pour une grande amie et qui en fait s'est toujours amusée à mes dépens.

Oh il faut que je vous raconte la plus belle de ces aventures. J'en ris encore. Jamais je n'aurais imaginé ma chère Fanchon avoir autant d'imagination pour se foutre de moi. Je lui avais offert un bijou fantaisie pour son anniversaire. En fait elle portait peu de bijou fantaisie et je me disais que cela lui irait bien de porter celui que j'avais vu dans une boutique et qui m'avait beaucoup plus. En réalité il y avait deux bijoux, l'un avec une grosse pierre rouge magnifique et l'autre avec une pierre verte. Je trouvais ces bijoux si jolis (c'étaient des colliers avec un pendentif en pierre naturelle) que j'hésitais à acheter l'un ou l'autre. Finalement je me dis que pour Fanchon j'allais prendre celui que je trouvais le plus distingué, le plus beau, celui qui avait une pierre rouge. Et j'achetais également l'autre qui me plaisait moins, mais qui était joli, pour moi-même. Lorsque pour son anniversaire je lui offris ce bijou fantaisie elle eut l’air contente. Et moi j'étais contente de lui avoir fait plaisir. Elle ne le porta pas mais je n’étais pas toujours en sa compagnie. Peut-être le portait-elle à des moments où nous n’étions pas ensemble. L'année suivante ce fut mon anniversaire. Nous avions quelques mois de différence et un ou deux ans. Ce jour-là aux alentours de mon anniversaire nous nous trouvions toutes les deux invitées dans une galerie pour une exposition. Nous étions ensemble et il y avait beaucoup de monde autour de nous. Alors elle sortit un paquet de sa poche et me dit « bon anniversaire ! ». Oh j'étais vraiment contente qu’elle ait pensé à m'offrir quelque chose et qu'elle se soit rappelée que c'était deux jours plus tard mon anniversaire. Je pris le petit paquet mais nous étions entourés d'un monde fou qui nous regardait et je ne l'ouvris pas tout de suite, tout en l’ayant remerciée. Elle insista pour que je l’ouvre et bien que ce fut un petit manque de discrétion de le faire devant tant de gens je commençai à l’ouvrir. Je découvris d'abord sous le papier d'emballage une boîte qui me parut douteuse, qui n'était pas jolie du tout et un petit peu tachée. J'ouvris cette boîte. Et alors là, surprise, grosse surprise ! Je découvris dans la boîte le bijou que je lui avais offert plusieurs mois auparavant, celui avec la grosse pierre rouge dont j'avais pensé qu’il lui ferait très plaisir. Et il reposait sur un lit de papier toilette rose, un lit de papier toilette qui, comme la boîte, avait l’air taché et douteux. Elle guettait ma réaction. Oh comme elle aurait jubilé si je m'étais fâchée ou si j'avais eu l'air décontenancé. Je n'allais pas lui faire ce plaisir. Donc je m'exclamais avec un grand sourire reconnaissant : « C'est merveilleux Fanchon comme tu connais mes goûts c'est vraiment un très joli bijou. Merci beaucoup, merci, merci infiniment. Elle prit un air ironique mais je continuais devant tout le monde à faire le compliment de ce bijou et de la gentillesse et la bonne amitié qu'elle avait eue en le choisissant pour moi. Puis lorsque ce fut le moment de quitter l'exposition nous le fîmes ensemble et nous gagnâmes la station de métro. Je devais prendre le couloir de droite et elle descendre l'escalier de gauche. Nous nous séparâmes et je lui lançais, alors qu'elle descendait l'escalier : « Et merci beaucoup encore Fanchon pour ce magnifique cadeau d'anniversaire ! ». Et j'entendis un rire satanique alors qu'elle descendait l'escalier. Voilà ! En fait ce fut un très beau cadeau d'anniversaire. Parce qu'à présent lorsque je raconte cette histoire qu'elle m'a offerte et bien je fais rire tout mon entourage. Sauf quelques personnes qui ne trouvent pas cela du tout drôle, peut-être parce qu'elles manquent d’humour.

NOUVELLES D'UNE VIE
14 ans

J'ai toujours admiré la nature, admiré les animaux ou les plantes, les paysages. Tout cela me paraissait avoir été créé par un être éminemment supérieur qui avait une imagination et un sens de la beauté qui sur terre n'existe pas. Je n'étais pas chrétienne, on ne n'avait même pas informée qu'il existait un créateur. Mais je le savais. Je pouvais rester des heures à regarder une fourmilière. Les fourmis sont des êtres d'une complexité et d'un instinct extraordinaires. Je pouvais passer des heures aussi à regarder les fleurs. Je pouvais passer des heures à rêver dans un beau paysage. C'est cela en premier qui m'a convaincue de l'existence d'un Dieu. D'un Dieu créateur. D'un Dieu à l'imagination hors du commun terrestre. Et ce Dieu je me sentais attirée par lui, attirée par sa création extraordinaire. Et d'autre part si moi je suis également une créatrice je ne fais rien sans sa propre création, lui a créé ex nihilo. Et moi je ne fais que reprendre ces éléments formidables dont il s'est servi pour sa propre création. Mon Dieu qu’Il est grand ce Dieu, mon Dieu qu'il est beau ce Dieu, mon Dieu quelle imagination a ce Dieu. Ne serait-ce qu'en amour. Il a créé je ne sais combien de formes de sexualité et d'amour. La sexualité des animaux est à chaque fois différente en fonction de toutes les espèces qu’elles soient terrestres ou maritimes. Les parades des oiseaux, les façons de se comporter des insectes vis-à-vis de l'autre sexe, tout est merveilleusement différent mais tellement bien construit. Ne serait-ce que l'instinct, quelle magnifique invention que celle de l'instinct. Ne serait-ce que l'intelligence humaine, quelle magnifique invention que l'intelligence humaine. Nous lui ressemblons bien sûr à ce Créateur en fonction de notre degré d'intelligence et de bonté. Mais nous ne lui arrivons par au talon. Mon Dieu comme j'admire cette nature et lorsque je plonge les yeux vers le vide infini du ciel je suis émerveillée. Je sais qu'il y a des planètes, je sais qu'il y a des soleils, je sais qu'il y a des trous noirs. Je sais qu'il y a de multiples et extraordinaires façons d'exister pour les objets dans l'univers. Et plus tard lorsque je me suis intéressée à la science à mon humble niveau je me suis posée d'énormes questions. J'ai cru d'abord que lorsque l'on avait découvert l’atome tout était dit. Mais l’atome ce n'est pas le plus petit élément que l'on puisse trouver dans la nature. En fait il n'y a pas de petits éléments. Car lorsque que vous penchez sur ce que peut être un neutron ou un proton il n'y a plus de matières, il n’y a que des échanges d'énergie. Et qu'est-ce que ça peut bien être l'énergie ? Si la matière n'existe pas en tant que matière si elle n'est composée que d’échanges d'énergie qu'est-ce que ça peut bien signifier ? Ce Dieu merveilleux a inventé des formes de vie inexplicables et d'une très, très grande complexité que ce soit en ce qui concerne les amibes ou les animaux les plus simples ou les plus évolués, que ce soit la course des planètes dans le ciel, que ce soient les plantes, que ce soient les hommes et l'histoire vivante.

Un soir mon père revint de son travail avec, dans une cage, un petit oiseau gris avec la gorge rouge. Nous nous installâmes, ma grand-mère, ma mère, mon père et moi-même autour de la table au milieu de laquelle nous avions posé la cage. Le petit oiseau un peu effrayé voletait en  tous sens dans cette cage étroite. C'était la venue dans notre vie de Rossignolet. Il n'avait rien d'un rossignol. Il pépiait et chantait peu et de plus très mal. Mais il avait d'autres qualités. Rossignolet était un oiseau très intelligent, autant que l'on peut l’être quand on est un oiseau, et il s'apprivoisa facilement. Nous le laissions à certains moments, avec les fenêtres fermées, sortir de sa cage. Il voletait en tous sens dans l'appartement déposant ses petites fientes un peu partout et lorsqu'il avait assez de cette liberté, de lui-même il allait à sa cage, trouvait l'entrée par la porte que nous avions laissée ouverte pour lui et de lui-même rentrait dans la cage. Cet oiseau apprivoisé faisait l'étonnement des rares amis qui venaient nous voir. Un jour que nous recevions à déjeuner un ami de mon père nous lâchâmes Rossignolet. Il voleta en tous sens et puis il se posa sur le verre d'apéritif de cet ami, se tourna du bon côté et lâcha une fiente dans le verre. Cet ami n'était pas content du tout. Rossignolet était le premier animal que j'ai eu en tant que volatile. Et c'était notre premier animal de compagnie. Un jour, un autre Rossignolet, c'est-à-dire un petit oiseau de la même race, grise avec le cou coupé, se posa sur le bord de la fenêtre. Nous ne fîmes aucun bruit, et tout doucement très lentement nous ouvrîmes la fenêtre et déposâmes la cage ouverte et vide à côté de ce petit oiseau. Il commença à s'envoler mais revint presque aussitôt pour manger les graines qui étaient dans la cage. Nous avions tenues ouvertes pour lui toutes les portes de la cage. Il y en avait deux. Il entra dans la cage avec un peu de difficultés et commença son repas de graines. Alors avec les mêmes précautions nous prîmes sa cage et la mîmes à l'intérieur. Et Rossignolet que nous avions relâché voyant ce nouveau compagnon entra à nouveau dans la cage. Alors nous fermâmes tout et les laissâmes tous les deux dans la cage. Rossignolet n'était pas très heureux d'avoir un rival. Mais au fil des jours l'entente se fit et nous eûmes donc deux oiseaux de la même race. Hélas un drame devait se produire. On nous avait offert une cage avec des perruches. Ça jacasse beaucoup les perruches et en fait c'est détestable. Un jour nous devions nettoyer la cage des perruches. Et nous eûmes la très mauvaise idée, car nous ne connaissions pas les mœurs des oiseaux, d'introduire les perruches dans la cage de Rossignolet. Ma mère s'absenta quelques instants de la cuisine où la cage était posée. Et lorsqu'elle revint le pauvre Rossignolet avait été décervelée par les perruches qui, de leur bec puissant, lui avaient fracassé la tête. Pour moi ce fut terrible. J’étais petite encore, j'avais six ans. Rossignolet qui avait été mon premier animal de compagnie était mort dans d'atroces souffrances. Cela fut très difficile pour l'enfant que j'étais de l'accepter.

16 ans
C’est intime - Le douanier suisse

Je me souviens d'un jour où ma mère et moi nous avions fait une excursion hors de Suisse alors que nous étions en vacances dans le Tessin. Nous avions acheté des serviettes périodiques. Et nous les avions mises dans une petite valise pour les transporter. À la frontière on nous demanda ce que contenait cette petite valise. Ma mère, prude, ne voulait pas dire qu'il s'agissait de serviettes hygiéniques. Elle se contenta de dire « Monsieur c'est intime ». Elle n'avait pas le désir de montrer cet achat qui, en effet, est intime. Mais le douanier ne comprit pas ce qu'elle voulait dire alors il insista « c'est quoi Madame, un time ? » « c'est intime Monsieur, répéta maman, c'est intime je ne veux pas ouvrir, c’est intime. » Le douanier, perplexe, reposa la question « un time, un time, mais qu'est ce que c'est qu'un time ? » Maman s’enferrait dans son explication qui ne changeait pas « Monsieur c'est intime je ne peux pas ouvrir, c’est intime ». Finalement le douanier se fâcha « mais qu’est-ce que c’est un time ? qu'est-ce que vous avez là-dedans, c'est quoi un time ? » Alors maman avec désarroi et colère peut-être ouvrit la valise et le douanier découvrit le paquet de serviettes périodiques. Il fit « Ah, intime, intime, passez » et nous pûmes passer la frontière avec notre paquet de serviettes périodiques qui bien sûr était intime.

Une autre fois, toujours au cours de ces mêmes vacances, de ce même voyage, ma mère demanda où nous devions prendre le train. Elle demanda à un employé derrière son bureau sur quel quai il fallait attendre le train. L'employé répondit « guichet chinq », « comment, dit ma mère ? » « guichet chinq », reprit l'employé. « comment, qu'est-ce que vous me dites ? » « guichet chinq ». Cela dura un petit moment, jusqu’à ce que l'employé, vu l'insistance de ma mère qui ne comprenait rien de qu’il voulait lui dire, s’exclame « guichet chinq vous êtes chourde ? », alors ma mère comprit à ce moment-là que c'était le guichet numéro cinq et que l’employé était lui aussi fâché parce qu’elle ne comprenait pas et c'était vrai qu'elle avait des problèmes de surdité mais là c'était simplement la mauvaise prononciation du guichetier qui avait créé l'incident.

19 ans
Ma mère jette ma poupée…

Ce soir-là j'étais bien fatiguée. Tous les jours je devais tenir une classe avec plus de 35 enfants turbulents qu'on n'est pas là pour garder mais à qui on doit faire acquérir beaucoup de ce qui leur permettra de mener, adultes, une vie heureuse dans un travail qui leur correspondra. Tout cela était vraiment fatigant et supporter l'agitation permanente de ces adorables petits diables, leurs cris leurs sottises durant toute une journée cela ne vous laisse pas le temps de rêver. Donc ce soir-là je rentrai avec le seul désir de me coucher. J'avais hâte de retrouver mon lit et je n’avais même pas envie de dîner. Lorsque je rentrai je me dis que j'allais me changer et j'ouvris la porte de la petite armoire, de la minuscule armoire, qui nous permettait à ma mère et moi de ranger tout le linge qui nous appartenait, tout ce qui était tissu, des draps aux nappes, aux soutiens-gorges, aux robes, aux chaussettes. Nous n'avions pas grand-chose ni l’une ni l’autre. Nous n'avons jamais prononcé le mot misère. Il semblait que cela ne nous  concernait pas. Et pourtant ce mot-là nous aurait bien correspondu. Donc j’ouvris la porte de l’armoire et je pris de quoi me changer. Mais quelque chose manquait, je cherchais. J'avais gardé de mon enfance une poupée à laquelle je tenais. Il n’y avait pas beaucoup de gens qui faisaient partie de mon cœur. Avec ma mère cela se passait très mal. Avec mon père je ne connaissais qu’indifférence et crises d’alcoolique. La petite chatte, que j'avais élevée, mes parents s'en étaient débarrassés. Je n'avais pas de distraction, même pas le loisir d'aller au cinéma. Que me restait-il ? Des petites choses comme cette poupée. Évidemment à 19 ans on ne joue plus à la poupée. Mais elle est une présence même si on la garde dans l'armoire en ne la sortant que peu souvent. Une présence du temps passé, une présence des sentiments d'enfant que j'avais eus pour elle. Donc je cherche ma poupée et je ne la trouve pas. Je suis sûre que je l’ai mise là, sous les mouchoirs je suis sûre qu’elle devrait y être. Je cherche plus loin, je ne la trouve pas. Ma mère était dans la cuisine en train de laver les casseroles. Je vais la voir et je lui dis « maman tu n'as pas vu ma poupée ? ». Elle me répond avec son leitmotiv habituel : « Tu n'as qu'à ranger tes affaires ». J'insiste, j’insiste. « Comment veux-tu que je sache où est ta poupée, dit ma mère, je n'ai pas le don de double vue ». Je suis tellement inquiète à cause de cette poupée, surtout que je connais les façons de faire de ma mère, que je hausse le ton, j’ose hausser le ton pour réclamer à ma mère des explications. Je me doute bien qu'elle y est pour quelque chose. Cette poupée elle s'y est toujours attaquée. Je me souviens que lorsque j'avais huit ans, alors que ma grand-mère était encore vivante, nous avions pris des vacances à Neaufles-Saint-Martin. Nous y étions heureuses toutes les deux ma grand-mère et moi. Ma mère était venue nous rejoindre pour le week-end. Et toutes les trois, avec la poupée en plus, nous étions parties en promenade. Nous avions pris un chemin pierreux qui descendait avec une pente très prononcée et qui était même dangereux tellement il y avait de pierres et de déclivité. J'avais ma poupée dans les bras, je la serrais très fort et je faisais attention de ne pas buter contre une pierre et de ne pas tomber. Mame et maman discutaient ensemble. Ma mère me tenait par le coude. Mais tout à coup (quelle mouche la pique ?) elle découvre que je suis mal coiffée. Ce détail n'était pas important car dans la campagne nous aurions été étonnées de rencontrer du monde. Mais voici que ma mère s'énerve et qu'elle me dit « tu es mal coiffée et recoiffes-toi », j'étais dans l’impossibilité de passer ma main dans mes cheveux. Là, la pente était bien trop abrupte et je faisais très attention de ne pas lâcher ma poupée. C'était tout un travail de ne pas lâcher cette poupée et de descendre par ce chemin pierreux et abrupt. « Recoiffe-toi, insiste ma mère, tu es très mal coiffée ». Et voyant que je ne renonce pas à lâcher ma poupée, et pour cause, je ne pouvais pas le faire, elle se saisit de cette pauvre poupée et elle l’envoie valdinguer sur le chemin. Je pousse un cri. Je suis éperdue. Je descends malgré le risque de tomber et je vais ramasser ma poupée. Horreur, horreur, horreur, elle est défigurée. Le visage de cette poupée était en carton céramiqué. Le nez de la poupée était abîmé. Et vu la matière dans laquelle le visage de la poupée était fait je me rendis bien compte que c'était irréparable, je pleurais, je pleurais, je pleurais avec ma poupée dans les bras. Cela irritait ma mère qui me disputait. C'était la première douleur, le premier accident grave avec cette poupée. Et voici que ce soir-là alors que j'avais été depuis mon enfance attachée à cette poupée devenue défigurée voilà que je ne la retrouve plus, moi qui l'avais gardée des années. Et cet objet n'était pas un objet pour moi, c'était une source d'amour. Eh oui une poupée peut-être aussi une présence vivante pleine de tendresse. Quand on n'a pas autre chose on se raccroche à des objets inanimés. Les objets qui portent des souvenirs. C'est pourquoi j’ose hausser le ton et demander à ma mère ce soir-là, presque en criant, « où est ma poupée, ou est ma poupée ? » Je n'avais pas vécu l'horreur jusqu'au bout, cela devait venir à l'instant. Elle plonge la main dans la poubelle et elle en ressort la tête de ma poupée détachée du corps. Je suis sans voix, je bois cette coupe jusqu'à la lie, jusqu'au poison final. Cette poupée dont la tête était en carton recouvert de céramique avait un corps de tissu empli de son. Cela se faisait à l'époque et c'étaient des poupées très douces, molles qui ressemblaient à des bébés véritables quant à la douceur et à la mollesse. Ma mère avait vidé le corps de la poupée de son et détaché la tête. Mais pourquoi, pourquoi, pourquoi cette cruauté ? Pourquoi cette haine envers moi ? car il fallait bien de la haine pour oser m’infliger une douleur pareille qu'elle avait bien préméditée. Je n’étais pas ce soir-là au bout de mes souffrances. Elle avait également brisé et jeté un petit parapluie qui me venait de ma grand-mère, ma grand-mère chérie qui m'avait élevée, un petit parapluie qui était le seul souvenir qui me restait d’elle, un petit parapluie qui ne prenait pas de place et qui dormait tranquillement dans le porte-parapluie de l'entrée. Il y prenait si peu de place ce petit parapluie d'enfant mais il était tellement plein de souvenirs, plein de l’âme de ma Mame qui me manquait tellement que j’en étais prête à mourir si on me l'avait demandé. Ma mère avait jeté aussi d'autres choses qui me tenaient à cœur. Je n'avais plus rien. Je n'étais plus rien. Je m’étais raccrochée à ces objets avec la vie atroce que mes parents me faisaient, elle devait s'en douter. Elle devait s'en douter et s'acharnait pour me rendre la vie douloureuse. Je me souviens à l'époque que lorsque mon inspectrice devait venir me contrôler le lendemain et que j'avais besoin de toute ma force pour pouvoir réussir l'inspection, je me souviens qu'à chaque fois, la veille de cette inspection, ma mère déclenchait une crise et elle m'accablait sous des reproches incohérents, elle m'empêchait d'aller me coucher. Moi j'étais éperdue. Je savais qu'il fallait que je dorme, que sinon le lendemain j'allais rater cette inspection. C'est difficile de réussir une inspection quand on est ultra fatiguée. Je suppliais ma mère de me laisser aller dormir même sans manger. Elle était comme folle, folle de haine certainement. Elle voyait là le moyen de me faire du mal et elle me tenait jusqu'à minuit en me faisant des reproches. Et puis elle allait se coucher. Nous dormions dans la même chambre, elle allait se coucher sans problème. Moi dans le lit je sanglotais, je sanglotais pendant des heures, pendant des heures. Je ne m'endormais qu’au matin alors que le réveil allait sonner. Je gagnais mon école comme un zombie. Il me fallait toute ma force pour pouvoir faire une classe convenable et cacher le fait que je n'avais plus de ressources, j'avais si peu de force que j'étais devenue une loque. Je n'avais pas le droit de rater cette inspection. Sinon ma note aurait été catastrophique. Quand on n'a rien on sait bander ses forces pour essayer de réussir malgré tout un pari impossible.

NOUVELLES D'UNE VIE
66 ans
Pierre de la Galite

Chez Fanchon je fis connaissance avec un auteur, un chanteur, auteur, compositeur qui s'appelait Pierre de la Galite. C'était un homme extrêmement gentil. Je ne dis pas était car il est toujours un homme extrêmement gentil et nous ne nous sommes pas perdus de vue après avoir souvent partagé ensemble l'animation des expositions. Pierre a eu une enfance très différente de celle que les enfants d'Europe connaissent. Ses grands-parents s'étaient installés dans une île qui, à l’époque, était déserte au large de la Tunisie, l’île de la Galite. Toute la famille y bâtit un vrai village. Il y eut une école, il y eut une fabrique et un atelier de réparation de bateaux. Pierre passa beaucoup de temps dans son enfance à pêcher les langoustes avec ses parents pour aller les vendre ensuite sur le continent. L'entreprise de réparation de bateaux était à l'ancienne. Car il n'y avait pas l'électricité sur cette île déserte. Donc le père de Pierre faisait tout avec des instruments à main. Pierre eut une enfance extrêmement libre sur cette île déserte avec ses amis et connut ce qui était la vraie liberté pour des gamins qui n'avaient comme seul souci que d'aller se baigner et de parcourir l’île tout à fait librement. Dans cette île il rencontra Bourguiba. Il nous parle encore de ce grand dirigeant Tunisien en exil dans l'île qui rencontrait sa famille et qui avait un chien qui le suivait partout. Lorsqu'il fut adulte Pierre ne put pas rester dans cette île où évidemment il n'y avait pas de travail à part pêcher la langouste ou réparer les bateaux. Il vint sur le continent et travailla dans une usine. Lorsqu'il prit sa retraite il découvrit qu’il pouvait avoir une autre activité. En effet ce rêveur était un grand poète et il avait composé nombre de chansons de grande délicatesse et humour. Il s'entendit avec un musicien car il ne savait pas comment mettre en musique tous les airs qu'il inventait mais qu'il ne savait que « chantonner » pour ses chansons. Doté de ce répertoire très original et très poétique il se mit à chanter dans tous les endroits où se réunissent à Paris les poètes, les musiciens et les artistes amateurs. Il fut apprécié partout. Il a une façon de chanter qui accroche le cœur et ses textes sont d'une grande beauté. Il les chante encore bien sûr même si à présent c'est devenu un poète qui a mon âge. Lorsque je le rencontrai chez Fanchon je découvris qu'il avait avec l'argent une façon de se comporter différente de ce que l'on a l’habitude. Il ne voulait pas se faire payer pour ses prestations lorsqu'il donnait un récital. Par contre il vendait ses disques avec plaisir mais à un prix très bas. C'est lui-même qui faisait imprimer ses ouvrages. Et c'est ainsi que j’eus le plus bel anniversaire qui se put imaginer. Le jour de mon anniversaire je l'invitai à la maison avec d'autres amis et il nous fit un récital de poésies et musique d'une grande beauté. Depuis nous ne nous sommes pas quittés. À chaque fois que nous avons le désir d'enchanter par la musique et la poésie nos invités j’invite Pierre. Je ne sais pas combien de fois il a fait pour notre association des récitals qui ont enchanté tout le monde. Maintenant que c'est un Monsieur plutôt âgé et qu'il a perdu un grand nombre de ses cheveux je dois dire qu’il est devenu l'homme métamorphose. En effet lorsqu'on le voit arriver « il ne paie pas de mine », comme on dit. C'est un monsieur ordinaire un peu âgé, un peu voûté et qui n’attire pas l'attention. Mais lorsqu'il se met à chanter c'est comme si une rose dépliait ses pétales. Il se transforme, il devient un charmeur exceptionnel avec la force de son regard et sa douceur et les gestes qu'il fait pour interpréter ses chansons. Alors là il devient le poète par excellence, le charmeur auquel personne ne résiste. Il est venu chanter à Neaufles également, c'est quelqu'un qui aime parler de son île. Il a toujours dans la poche un petit caillou noir qu'il avait ramassé lorsqu'il allait dans son île et il dit « je m'appelle Pierre comme une pierre de la Galite, il sort la petit pierre qu’il montre à tout le monde. J'espère que cet ami très cher, fidèle, même si nous ne nous voyons pas souvent, pourra encore faire moult concerts pour notre association ou notre famille.

74 ans
Je n’ai plus d’équilibre – Rosny-Sous-Bois

Je tombe tout le temps, je n'ai plus d'équilibre. Lorsque je sors avec André je m'appuie lourdement sur son bras, je suis un poids qui parfois l'entraîne. Il me suffit de faire un faux pas, de buter contre une pierre et me voilà qui tombe. André est surpris et se laisse entraîner et nous tombons tous les deux. Cette fois-ci nous tombons au milieu de la chaussée, heureusement les voitures ne nous passent pas dessus. Un monsieur se précipite, André est tombé par-dessus moi, il se redresse. Le monsieur, un jeune homme « baraqué » et noir, bel homme, me relève. « Madame, vous n'avez rien ? » « Non merci ça va très bien ». Le monsieur très, très, très aimable me dit « je vais vous raccompagner Madame, avec moi vous ne tomberez pas ». Mais cela ne fait pas l'affaire d’André qui n'aime pas ces paroles. Alors, d'un ton peu aimable, il s'adresse au Monsieur en disant : « Je ramènerai ma femme ! Vous entendez ? C'est ma femme, nous sommes mariés et c'est ma femme ». Le jeune homme est vexé, il n'avait que de bonnes intentions, il dit « mais Monsieur je ne veux pas vous la voler ». Je m'excuse auprès de cet homme aimable et je pars avec André. À nouveau je m'appuie sur son bras. Je ris à l'intérieur de moi-même, il faut que mon mari m’aime mais il ne faudrait pas que cela le rende peu aimable avec des gens qui cherchent à nous aider.

16 ans
Comment fait-on les enfants, d’après ma mère…

Confinée que j’étais dans cette famille si peu ouverte sur l'extérieur et où je devais rentrer à l’heure où toutes mes sorties étaient contrôlées, (et je n'avais pas de sorties en rapport avec mon âge) mon éducation sexuelle fut des plus restreintes. Je n'avais pas d'amis. Mes camarades de lycée je ne les côtoyais qu’au lycée. Vous allez me dire que j’étais peu curieuse. À seize ans je ne savais toujours pas comment l'on fait les bébés. C'est tout juste si je savais que les enfants sont conçus dans le corps de la femme et qu’un homme est nécessaire à cette femme pour concevoir un enfant. Je décidai, à seize ans de rompre ma timidité et d'affronter ma mère en lui demandant de me dire les secrets de la vie et comment on concevait des enfants. J’en vois qui rigolent. À seize ans ne rien savoir encore en ce qui concerne l'éducation sexuelle alors que bien d'autres filles, et la plupart, ont déjà eu des petits amis pourrait sembler à certains d'un humour qu’hélas je ne percevais pas. Ma mère refusa de me dire la vérité. Comme si cette vérité était quelque chose de honteux. Et voici la fable qu'elle me sortit. Les enfants m'expliqua-t-elle sont mis en route lorsque la femme est enceinte. Et pour être enceinte il lui suffit d'embrasser un garçon sur la bouche. Je fus très fière de savoir enfin les secrets de la vie. Mais cela n'allait pas sans quelques inquiétudes. Car je me dis que si je buvais dans le verre de mon père je pouvais alors tomber enceinte. Fort heureusement même si je pris des précautions je ne bus jamais dans le verre de mon père. Ma mère était bien coupable. Arrivée à l'âge de dix-huit ans et alors que je venais de passer mon baccalauréat (À cette époque c’était en deux fois, sur deux ans consécutifs, que l'on passait le baccalauréat et toutes les matières étaient au programme de cet examen à chacune ces deux années) j'étais toujours une enfant sage par obligation. À dix-huit ans je n'avais encore embrassé aucun garçon. J’entrai à la faculté de lettres.

Plus tard je reprochai à ma mère de m’avoir raconté des fariboles. Mais loin d’en être contrite elle se moqua de moi agressivement et m’affirma que si j’avais été plus maligne j’aurais compris la vérité « en regardant les chiens dans la rue qui se grimpent dessus ». À Paris les chiens sont en laisse…

20 ans
Agence matrimoniale

Après que mes parents ont divorcé et bien que mon père continuât à habiter la même maison mais dans un studio différent, je me retrouvai seule avec ma mère. Cela ne se passait pas bien. Maman ne me supportait plus du tout. Cela allait déjà assez mal entre nous mais à présent elle me faisait comprendre que j’étais pour elle un poids insupportable. Alors elle me dit assez rudement que je devais me marier et quitter la maison. Me marier ? Oui, pourquoi pas, sauf que je ne connaissais aucun garçon et n'avait pas trop l'occasion d’en rencontrer. En effet depuis que j’étais institutrice et que je travaillais avec acharnement, toujours fatiguée, me complaisant dans les heures supplémentaires non payées, je n'avais pas vraiment le temps d'avoir, ce que d’aucuns appellent une vie privée. Je quittais ma classe très tard. Je passais au moins 1h30 dans les transports en commun pour rentrer à la maison. Et lorsque j'avais un peu de temps libre c'était seulement pour préparer mes travaux de classe. Évidemment j’espérais avoir un jour une vie un peu plus libre mais pour le moment il n'en n’était pas question. Il me fallait avant tout travailler pour l’inspection qui me mènerait ensuite à la titularisation. Alors la vie privée, les garçons, le mariage, tout était remis à beaucoup plus tard. Ne croyez pas que j’étais un laideron « implaçable ». En ce temps-là je pesais 42 kg pour 1,50 m, avec une jolie poitrine, de belles jambes et un visage d’ange sous des cheveux roux. À l’époque personne ne s’offusquait lorsqu’un homme sifflait au passage d’une femme dans la rue et moi j’avais ce bonheur de plaire et les minijupes me permettaient d’avoir un certain succès. Cela m’était utile. J’en avais besoin. Ma vie n’était pas triste dans la journée car partagée avec les enfants que je savais rendre heureux et qui me le rendaient bien. Mais j’étais fatiguée en permanence et ma vie avec ma mère me rappelait qu’en fait je ne possédais rien d’autre qu’une intense solitude.

Cependant ma mère devint intransigeante. Elle me dit : « mais fous le camp, tu m'embêtes, je ne veux pas t'avoir sur le dos plus longtemps ». Pourtant je lui laissais la moitié de mon salaire pour simplement m'héberger et me nourrir le soir. Alors elle se décida à prendre les choses en main et trouva l'adresse d'une agence matrimoniale. Et nous nous retrouvâmes un jour devant une dame, la directrice de l’agence matrimoniale, une marieuse. Moi je réfléchissais à cette injonction de ma mère et je me disais que je serais sans doute beaucoup plus heureuse avec un compagnon qu’avec elle. La dame nous reçut très aimablement. Nous discutâmes, elle, souriante et empressée derrière son bureau et nous en face d’elle. Ce qui était un peu contrariant c’est qu’elle refusait de révéler le métier des « jeunes gens » qu'elle voulait présenter aux « jeunes filles ». Il me semblait que c'était un peu risqué pour les « jeunes filles » d'entrer en relation et de fréquenter un homme dont elles ne savaient pratiquement rien, pas plus le métier que le statut social. Enfin puisque c’étaient là les conditions, ma mère et moi décidâmes de ma candidature et de m'inscrire dans cette agence auprès de cette dame. Elle me demanda de remplir une fiche. C'était une fiche très détaillée et très personnelle. J'hésitai un peu mais, vu la situation, je commençai à remplir cette fiche qui disait tout de moi. J’étais en train de la remplir et je sentais que derrière son bureau elle me regardait. À un moment donné j'ouvris mon sac pour tirer mon mouchoir. Je posai mon briquet sur le bureau pour pouvoir tirer mon mouchoir du fond de mon sac. Je me mouchai. Jusque-là il n'y a rien d'étonnant. Puis je remis dans mon sac mon mouchoir et mon briquet. Je regardai la dame et je fus surprise. Quelque chose avait changé dans son expression. Elle avait les yeux agrandis et me fixait presque avec crainte. Je me remis à remplir ma fiche. Mais soudain elle se leva et me dit : « ce n'est pas la peine de remplir cette fiche je ne peux pas vous prendre dans mon agence ». Je fus stupéfaite. Ma mère le fut également. Que lui « prenait-il» à cette marieuse ? Je demandai « mais pourquoi, qu'est-ce qu'il y a ? » Elle répondit « je ne peux pas c'est tout ». Elle avait l'air à présent furieuse et aussi assez tremblante. Je lui dis « écoutez Madame tant pis mais je veux garder la fiche que je suis en train de remplir ». Il était normal que je la garde car j'avais déjà inscrit sur cette fiche des renseignements très personnels. Mais elle refusa de me la laisser. Elle voulait la récupérer. Nous nous disputâmes un moment car je trouvais que c'était exagéré de sa part de vouloir garder des renseignements sur moi alors qu'elle ne pouvait pas me prendre dans son agence matrimoniale. Au bout d’un moment, voyant qu’il n'y avait rien à faire je lui laissai sa fiche que nous avions agrippée toutes les deux. Elle prétendait que c'était sa fiche à elle et qu'elle ne pouvait pas me laisser l’emporter car sur cette fiche il y avait des questions qui étaient propres à son agence. Cette pauvre femme nous parut à ma mère et à moi « complètement sonnée ». Que lui était-il arrivé ? Et nous nous retrouvâmes sur le trottoir, ma mère et moi. Nous nous regardions et nous cherchions ce qui avait bien pu causer ce soudain traumatisme à cette pauvre femme. Et puis tout à coup une idée me vint. Je dis : « le briquet, c'est à cause de mon briquet ». Ma mère éclata de rire et moi aussi et nous rîmes toutes les deux sans pouvoir nous arrêter. Oui voilà c'était à cause du briquet. Il faut vous dire que, à cette époque on m'avait offert un très joli briquet qui était la réplique exacte en métal noir d'un pistolet. Une imitation tout à fait réussie et l'on pouvait s’y méprendre et facilement imaginer qu’il s'agissait d'une arme véritable. Et je l'avais posé sur son bureau. Ah, je comprenais ce qui avait causé sa panique, quel choc et quelle angoisse cette pauvre dame avait subie soudain en le voyant sortir du sac de cette jeune fille qui lui avait paru si convenable. Il faut se méfier de tout à notre dangereuse époque, avait-elle dû penser.

NOUVELLES D'UNE VIE
69 ans
Achat de la galerie

À Rosny-Sous-Bois nous trouvâmes assez rapidement un logement qui nous convenait et où nous nous installâmes,. Il était plus petit que celui du 20ème arrondissement de Paris où nous habitions depuis plus de 30 ans. Et il était beaucoup moins cher, car c'était la banlieue, que celui que nous venions de vendre à Paris. C'est pourquoi après notre installation il nous restait un petit pécule. Nous nous étions investis dans le domaine des arts car depuis plusieurs années j'étais devenue artiste peintre et écrivain. Je demandai à l'agence immobilière qui nous avait vendu notre appartement s’il n'y avait pas à Rosny-sous-Bois un local commercial que nous pourrions transformer en une petite galerie d'art. La personne très souriante qui avait permis l'achat de notre appartement trouva une boutique, fermée depuis longtemps et apparemment en mauvais état. Elle était située au rez-de-chaussée d'un immeuble tout à fait correct dans une rue qui prolongeait celle où nous nous  étions installés. Cela n'allait pas aller sans moult vicissitudes. D'abord ce local, s’il était fermé depuis très longtemps, n'était pas inhabité. La vitrine avait été badigeonnée avec du blanc de Meudon comme il est habituel pour protéger des regards. Le propriétaire utilisait ce local pour, secrètement et illégalement, loger des gens sans domicile fixe mais, bien sûr, qui payaient un petit loyer. On appelle ces personnes des « marchands de sommeil ». C’est ce que nous apprîmes bientôt par la copropriété qui était en procès avec ce triste personnage. Aussitôt nous interrogeâmes l'agence immobilière qui s'empressa de nous rassurer. Et nous allâmes le visiter. Il était en effet en très mauvais état ce qui justifiait certainement le prix peu élevé demandé par le vendeur. Afin de signer le compromis de vente nous voici avec l'employée de l'agence à visiter ce bien. Dans un couloir il y avait un matelas, des chaussures et des vêtements. « Voyez, dis-je à la personne souriante qui nous faisait visiter, c'est toujours habité, nous ne pouvons pas acheter un local qui est habité ». « Non, non, nous répliqua-t-elle, car le Monsieur qui couchait là a trouvé de quoi se reloger et dès demain il doit venir chercher ses affaires ». Elle avait l'air si convaincante et si cordiale que nous la crûmes et que nous signâmes le compromis de vente. Nous pensions comme nous pouvions payer comptant que nous pourrions entrer en possession de notre local rapidement. Or cela traîna en longueur pendant des mois. Apparemment, d'après ce que l'on nous dit, tout était de la faute du notaire de nos vendeurs. Un jour il confondait le nom de l'acheteur et celui du vendeur. Cela retardait la vente de plusieurs semaines. Puis il y eut d'autres erreurs qui furent commises et qui retardèrent également cette vente. Mais l'employée de l'agence, toujours d'une extrême gentillesse et souriante, nous affirmait que le vendeur était un homme d'une grande honnêteté et que tout cela était fait non seulement contre notre volonté mais aussi contre la sienne. Cela dura donc des mois et enfin nous allions être convoqués quelques jours plus tard par le notaire, lorsque, nous promenant dans le quartier avec un ami, le poète Serge Carbonnel que vous connaissez peut-être, nous passâmes tous les trois devant la future galerie. Serge fit un peu de bruit en essayant de regarder par l’ouverture aménagée pour le courrier sur la porte. Et à notre grande surprise un jeune homme noir vint ouvrir la porte. Donc il n'était pas parti. Donc ce local était toujours habité et nous risquions d’avoir les pires ennuis du monde avant de pouvoir en disposer. Je dis à André qu'il ne fallait certainement pas acheter dans ces conditions. Mais André me répondit qu’y renoncer allait nous coûter des indemnités car nous nous étions engagés et que le compromis avait été signé. Nous ne voulions pas d'ennuis. Que faire ? Et l'employée de l'agence était toujours optimiste et avec un grand sourire, elle nous expliqua que ce monsieur était là pour assurer la garde du local ! Nous, nous comprenions que nous étions les dindons de la farce. Heureusement André eut une idée. Il alla trouver cette souriante personne après avoir acheté des serrures et il lui dit «après-demain, c’est à dire la veille de la signature chez le notaire, nous allons revenir vous et moi, ensemble, dans la boutique. Il faudra que ce locataire soit parti et ait emmené toutes ses affaires. Alors vous et moi nous changerons les serrures et je vous confierai les clés jusqu'au lendemain ». Car c’était lendemain que nous devions signer chez le notaire l’acte de vente. « Après que nous aurons signé l’acte devant notaire, vous me les redonnerez ». Tout cela était légal et nous permettait de ne pas acheter un local qui était squatté au risque de ne pas pouvoir en disposer. Les choses se passèrent ainsi mais il y eut beaucoup d'autres problèmes encore. À cette boutique étaient rattachées deux places de parking, dans l'immeuble, en surface. Mais bien que nous ayons réclamé de pouvoir voir ces places de parking cela n’avait pas été possible. En effet le propriétaire avait gardé les clés et prétendait pour des raisons diverses, à chaque fois, qu’il ne pouvait pas nous laisser visiter le parking. Mais bien sûr nous avions eu la promesse qu’il n'y avait aucun véhicule sur nos places de parking et que donc, disait la souriante employée de l’agence, c'était sans problème. La télécommande de la porte du parking devait nous être remise avec les autres clés, par le notaire, le jour de la signature. Ce jour arriva. Or après que tout fut signé et que l'on nous ait donné les clés, l’ancien propriétaire, véreux, nous annonça : « Vous avez deux places de parking mais vous n’avez pas besoin des deux ». Or je rappelle que ces places, que nous avions payées avec le local, nous appartenaient. Mais il reprit « qu’il fallait lui laisser au moins un mois pour que nous puissions récupérer l'une des places sur laquelle il y avait toujours une de ses voitures. Et il ne pouvait pas l'enlever car elle n'avait plus de roues ». Je fus prise d'une grande colère en entendant ce malhonnête homme oser nous parler ainsi. Je lui promis que sa voiture serait partie dès le lendemain car j'allais la faire enlever par la fourrière. Il répondit d'un air parfaitement satisfait que je n'en avais pas le droit car c'était un parking privé. Je lui rétorquai que cela m’était parfaitement égal de ne pas en avoir le droit légal que j'en avais le droit moral et que je ferai payer à l'agence, qui était complice, les frais d'enlèvement. Cela dut l'ébranler un peu car lorsque nous allâmes le lendemain voir ces places de parking qui nous appartenaient la voiture sans roues était partie. Mais elle n'avait pas été loin, elle avait simplement été poussée dans un autre emplacement du parking qui paraissait libre, cela au grand dam de la copropriété. Nous devions avoir d'autres déconvenues. Dans le local il y avait un tableau électrique assez sommaire qui distribuait l'électricité. Il avait bien fallu cela pour des gens qui ne disposaient pas de la lumière du jour, les vitres ayant été occultées, même s’ils occupaient sans autorisation. En effet il s'agissait d'un local commercial qu'il était interdit de transformer en lieu d'habitation. Et c'est pourquoi l'ancien propriétaire était en procès avec la copropriété. Je viens de le dire il y avait de l'électricité dans ce lieu et un tableau électrique. Mais lorsque nous voulûmes trouver le compteur qui correspondait à ce tableau électrique il n'y en n'avait pas. L'électricité devait être prise illégalement sur le compteur d'un autre propriétaire. Cela personne ne l'avait découvert. C'était vraiment d'une grande malhonnêteté. Et André dut passer beaucoup de temps, plusieurs après-midi, pour que l’EDF comprenne qu’il ne s’agissait pas de changer le propriétaire d’un compteur existant mais d’en faire installer un. Car cela n’avait jamais été fait alors que le local avait déjà quinze ans. Cela prit beaucoup de temps car c'était une situation exceptionnelle. Enfin ENEDIS comprit de quoi il s'agissait et vint poser un compteur électrique, à nos frais bien sûr. Il fallait également passer un câble entre le compteur électrique qui était dans une gaine d’un couloir à l'intérieur de l'immeuble, hors de notre local, jusqu’à notre tableau électrique. Mais la canalisation qu’il fallait emprunter était très étroite et il fut difficile de passer ce câble. L'entrepreneur qui faisait les travaux de restauration de notre galerie dut convoquer des ouvriers supplémentaires pour tirer en force ce câble. Cela dura plusieurs heures et nous coûta 900 €. Ce ne fut pas la seule surprise désagréable. Une autre nous attendait lorsque nous enlevâmes une planche de contreplaqué qui masquait une vitre. Cette grande vitre était fendue et devait être changée. Nous n’avions pas remarqué que cette vitrine avait été brisée à cause du contreplaqué et du badigeonnage qui occultaient la lumière. Cela nous coûta très cher d'avoir à installer une nouvelle vitrine. Les frais imprévus s'accumulaient. Et il fallut aussi abattre des cloisons qui coupaient le local en deux et enlever aussi un faux plafond. Après ces travaux l’entrepreneur découvrit que le papier peint avait été collé directement sur les murs sans qu’ils aient été plâtrés préalablement. Plâtrer les murs nécessita des kilos et des kilos de plâtre pour redonner à ce local un aspect « humain ». Le mot humain est utilisé ici pour plaisanter. Mais nous, nous n'avions pas envie de rire. L'entrepreneur des travaux indispensables pour transformer ce local en jolie galerie nous coûta très, très cher. Il eut aussi les lumières à poser. Finalement une artiste, qui avait exposé déjà dans les expositions que nous organisions et qui était aussi décoratrice d'intérieur, se proposa pour concevoir une installation avec l'entrepreneur et diriger les travaux. Je tremblai à l'idée de ce que cela allait nous coûter mais très gentiment, appréciant mon art, elle proposa de se faire payer par l'une de mes oeuvres qu'elle put choisir. Cela nous arrangeait bien. Elle en choisit une très belle, un très grand tableau que maintenant je pourrais vendre 4000 €, car je suis dorénavant cotée et ma cote est haute. Je suis reconnaissante envers cette amie, Isabelle Lamy, qui nous a rendu un service amical et sympathique. Parfois les artistes peuvent s’entraider entre eux et cela a toujours été l’esprit qui anime ART-MACC. Merci Isabelle.

66 ans
Jean de la Fosse

J'ai connu Jean de la Fosse à la suite d’une exposition à l'Espace Cardin et c'était la  première fois que j'y exposais. J'avais présenté des danses, assez caricaturales, mais très expressives, faites au crayon Blue. Ces danses ont eu un vif succès et j'en ai vendu plusieurs. Et ce jour-là à l'espace Cardin se présenta un Monsieur devant le stand, un admirateur pensais-je. Il s'agissait d’un ami de Jean de la Fosse qui cherchait des artistes pour venir  exposer en Belgique dans sa galerie. Cette personne me demanda si j'avais déjà vendu des danses car elle était intéressée par ma production de dessins. J'en avais déjà vendu deux, je le lui dis. Alors il me proposa de venir en Belgique, à Bruxelles où se trouvait la galerie de Jean de la Fosse. Nous nous mîmes d'accord et je promis de venir avec des œuvres. Avec mon mari donc, le jour J, nous prîmes la route de Bruxelles. En fait j’avais amené quelques peintures surréalistes très colorées et pleines d'humour et mes dessins de danses. Pour évaluer mes œuvres je n'avais pas trop d'idées. La personne qui s'occupait de la galerie me dit qu'elle allait elle-même les évaluer. Ce que je n'avais pas deviné c'est que la somme que l'on me demanderait pour exposer serait fonction de cette évaluation. Donc cette personne évalua mes œuvres alors que j’étais débutante et que je n'avais pas de cote à un niveau très haut. Cela faisait que j'avais une somme importante à payer pour voir mes œuvres exposées dans cette galerie. Mon mari avait tellement le désir de me faire plaisir et de faire que je démarre brillamment dans la carrière de peintre qu'il accepta toutes les conditions. Mais il fallait payer en liquide et nous n'avions pas suffisamment d'argent pour réserver ma présence dans cette galerie pour la prochaine exposition. On me dit alors d'aller retirer de l'argent au distributeur « car si je ne pouvais pas payer aujourd'hui cela cassait notre accord ». On me dit aussi que si je ne demandais pas de contrat écrit et bien on pourrait me faire payer moins cher en occultant les taxes inhérentes à cette exposition et qui m'incombaient. Nous nous laissâmes faire, nous allâmes tous les deux André et moi au distributeur et nous revînmes avant six heures du soir car la galerie fermait à cette heure-là et que l'on ne pouvait pas nous attendre plus longtemps. Je payai un prix exorbitant et on me donna rendez-vous pour le vernissage de l'exposition. Nous étions très heureux en revenant de Bruxelles car nous pensions, André et moi, que ma carrière était lancée grâce à cette exposition. Bien sûr c'était à Jean de faire la promotion de l'exposition. Lorsque nous revînmes à Bruxelles nous nous installâmes André et moi dans un hôtel de bonne catégorie. J'avais amené de quoi faire ma pub dans cet hôtel et les autres aux alentours. J'avais aussi demandé à Jean de la Fosse s'il était possible que j'organise, au cours des jours qui suivraient le vernissage, des événements et une récitation de poésies. Et j'avais fait faire par un imprimeur un recueil auquel André et moi nous avions travaillé d'arrache-pied qui comportait des poésies autour de mes œuvres et de mes dessins. Lorsque nous arrivâmes à Bruxelles nous nous rendîmes avant le l'heure du vernissage dans la galerie de Jean de la Fosse. Or quelle surprise ! rien ne désignait ma présence en tant qu'artiste dans la galerie. Il y avait beaucoup d’œuvres exposées, de peintres que je ne connaissais pas et qui étaient mis en évidence au rez-de-chaussée. C'étaient des artistes qui avaient dans la vitrine une de leurs œuvres et une critique qui attirait l'attention sur leur talent. Et moi rien du tout, je n'étais absolument pas présente. Je demandai à Jean où mes œuvres étaient exposées. En fait elles étaient exposées au sous-sol. Et j’étais la seule artiste à ne pas être affichée au rez-de-chaussée comme faisant partie de l'exposition. Rien n'indiquait non plus au rez-de-chaussée que l'exposition se continuait au sous-sol avec mes œuvres. Devant ce fiasco et devant cette arnaque je réagis rapidement. Comme j'avais amené des recueils avec des photos de mes œuvres j’en disposai sur la table où les autres personnes avaient mis leur pub et leurs flyers. J'en mis également dans la vitrine. Mais à part ça je n'avais droit à aucune critique. Je fis rapidement une affiche avec une flèche qui avisait le public que, en tant qu'artiste, mes œuvres étaient exposées au sous-sol. Une véritable arnaque. Et d'autre part j'avais payé pour de la publicité et je n'en n’eus jamais. Fanchon vint pour assister au vernissage. Elle me dit que « je m’étais fait avoir ». Cette exposition ne me servit qu'à pouvoir dire que mes œuvres avaient été exposées en Belgique, à Bruxelles. Elle me servit aussi à faire connaissance avec une dame qui était écrivain et assez connue en Belgique et qui s'intéressa à moi. Mais malgré tout ce que j’ai fait pour cette dame et qui comportait aussi des conférences pour la présenter en France, dès que j’eus cessé de lui téléphoner elle ne me rappela jamais et elle me piqua un très joli dessin pour illustrer la couverture d’un de ses livres sans m’en demander la permission. Je ne me présenterai jamais à « Miss France » mais à « Miss Gogo » j’ai une chance. Quant à Jean de la Fosse j’étais vraiment très ennuyée du fait qu'il m’avait trompée. Surtout que, avec André, nous l'avions invité pendant les jours où nous avons été à Bruxelles plusieurs fois au restaurant et que nous avons toujours payé et que lui n'a jamais participé, ni renvoyé l'ascenseur. J’eus la sottise, car nous étions restés en relation, de l'inviter à Noël à venir passer quelques jours chez nous, logé, nourri. Des jours pendant lesquels nous lui avons fait visiter Paris. Et nous avons tout payé y compris les cafés que nous avons pris dans les restaurants et les entrées dans les musées. Je me disais qu'en ouvrant des relations avec ce monsieur je finirais bien par obtenir des choses intéressantes. Nous étions devenus des amis, au moins c'est ce que je pensais après l'invitation à Paris et les huit jours où il avait été dorloté comme un coq en pâte. Mais alors que je devais participer à une exposition sur les peintres naïfs à Bruxelles je lui demandai d'en parler autour de lui et de me faire un peu de pub. Il me répondit « qu'il ne connaissait personne », alors qu'il faisait exposition sur l'exposition et « qu'il ne pourrait pas m'aider ». Je lui demandai aussi s'il pouvait me loger. Moi je l'avais reçu huit jours à la maison et il avait profité de tout. Je savais qu’il possédait plusieurs appartements, il s'en était vanté, dont certains étaient libres et que chez lui il avait plusieurs chambres d'amis. Il me dit qu'il ne pouvait rien pour moi, qu’il ne pouvait pas me loger que tout ce qu'il pouvait faire c’est de réserver, à mes frais, une chambre d'hôtel. Mon mari se moquait de moi. J'avais affaire à un arnaqueur et j'espérais pouvoir obtenir de lui quelque chose alors qu'il était d’un égoïsme et d'une malhonnêteté envers moi peu courante. Je cessai donc mes relations avec lui. Mais un jour, alors que j’étais à la Madeleine, à Paris, dans l'exposition que j'avais organisée, je rencontrai une exposante qui me dit avoir exposé en Belgique dans la galerie de Jean de la Fosse. Et elle ajouta que c'était un malhonnête homme et un véritable arnaqueur. Je n'étais donc pas la seule à avoir souffert de ses façons de faire.

18 ans
Le cours Simon

Aussi loin que je me rappelle j'ai toujours désiré devenir comédienne. J'ai toujours désiré m'exprimer à travers des personnages en les comprenant de l’intérieur. Aussi loin que je me souvienne on était enchanté de me faire dire des textes. Lorsque j'étais enfant il y avait une poésie que j’aimais beaucoup dire. C'était « le petit cheval dans le mauvais temps qu’il avait donc du courage », une poésie de Paul Faure. À chaque fois qu'il y avait un déjeuner avec des amis, à la fin du repas, au dessert, on me demandait d'interpréter cette jolie poésie que je disais de tout mon cœur et les adultes étaient enchantés devant tant de talent. Plus tard lorsque Mame mourut j’étais dans un tel désarroi que ce devint pour moi un besoin, un très grand besoin de m'exprimer par la comédie. Devant ma glace j'interprétais les personnages dont je ressentais la douleur. Car cette douleur était en moi, enfant mal-aimée de parents qui, sans me rejeter, m'auraient bien vu m'absenter de leur vie. Hermione était mon personnage préféré. Lorsque au lycée nous étudiions les tragédies de Racine j’étais celle à qui l'on demandait de lire les textes. Un professeur qui ne m'avait jamais entendu et qui m'entendit pour la première fois dans le Cid s'écria « mais Mademoiselle Maccagni c'est la comédie française ! ». Cela enchantait mes camarades, c'était un divertissement gratuit. Oh oui la Comédie-Française j'en ai beaucoup rêvé. Je ne me voyais pas faire autre chose que du théâtre. C'était vraiment la seule chose qui m’ait non pas attirée, mais qui me semblait indispensable. Lorsque je fus obligée de travailler pour des raisons pécuniaires parce que ma mère, divorcée, à qui mon père ne versait aucune pension ne pouvait pas subvenir seule à nos besoins les siens et les miens je dus abandonner cette route. Alors nos cherchâmes toutes deux ce que je pourrais bien faire. Je n'avais pas beaucoup de diplômes, seulement le bac. Je me disais que ce serait triste pour moi d'abandonner le cours Simon. Car en effet je m'étais inscrite au cours Simon, ce cours d'art dramatique qui, à l'époque, était sans doute le plus connu. De grands artistes sont sortis de ses murs. Au cours Simon j'étais une de celles qui brillait le plus. Et jouer la comédie était pour moi un médicament car comment supporter quotidiennement l'ambiance de haine qui régnait dans notre famille ? Mon père détestait ma mère. Ma mère détestait encore plus son mari. Quant à moi j’étais plus souvent le souffre-douleur de l'un et de l'autre qu’une fille dont on cherche le bonheur. Ce bonheur je l'ai connu plus tard mais jamais au sein de cette famille. Oh oui je l'avais connu lorsque ma grand-mère qui m'aimait tendrement m'avait soustraite à la haine et au désordre du ménage de mes parents. Et c'est sans doute mes dons de comédienne et cet amour que j'avais de m'extérioriser à travers les autres qui m'empêcha de sombrer dans le désespoir. Donc j'avais réussi à convaincre ma mère de m'inscrire au cours Simon. Mais évidemment c'était un cours privé et c'était très cher. Lorsqu'il me fallut travailler je pensais que je pourrais continuer mes cours d'art dramatique et ce fut impossible pour la raison que je dirai plus tard. Je n'aimais pas beaucoup René Simon. René Simon était un être qui n'aimait pas non plus, lui, les autres. Il pouvait être d’une cruauté, d’une sottise, d’une méchanceté qui m’étaient insupportables. Une fois je me souviens lors du cours obligatoire du lundi où toutes les classes étaient réunies pour écouter la bonne parole que le maître déversait sur nos têtes parfois, il demanda à une fille qui se trouvait au premier rang de rire. S’il me l’avait demandé à moi j'aurais été enchantée certes car j'avais vraiment la fibre d'une comédienne. Je serais parti d'un grand rire même en me moquant de lui et toutes les classes auraient été avec moi. Mais cette jeune fille était timide. Pourquoi voulait-elle faire du théâtre, je ne le saurai jamais, mais la demande du « maître » la bloqua complètement. Elle ne put rien faire, rien dire, elle resta figée sans obéir à l'injonction de rire. Alors il fut envers elle, ce « maître », ce René Simon, il fut envers elle d’une cruauté dont je dirais qu'elle lui ressemblait bien car je l'ai bien connu plus tard, mais une cruauté qui était très mal venue. Il lui dit qu'elle n’existait plus à ses yeux, qu'elle pouvait s'en aller, que le cours n'avait pas besoin d'elle, que lorsqu’on voulait être comédienne on n’agissait pas ainsi, que la timidité était quelque chose de coupable. La pauvre jeune fille était morfondue. Elle se mit à pleurer. Et je crois bien qu'on ne la revit pas. Vous me direz qu'elle n'était pas douée, oui certainement elle n’était pas douée. Mais n'est-ce pas le rôle d'un professeur de donner aux élèves qui le sont le moins, les chances de devenir doués. C'est cela être un bon professeur. Si l'on a que les meilleurs dans la classe, si l’on a que ceux qui ont presque autant de talent que vous on ne peut pas se vanter si ces élèves « arrivent à quelque chose » de les avoir aidés et d'être un bon professeur. Moi-même j'ai été plus tard dans l'enseignement. Et je me souvenais que j’aidais beaucoup plus les enfants qui avaient besoin de moi que ceux qui n’avaient pas besoin de moi ou moins besoin de moi. Une autre fois ce fut encore plus terrible et cette fois il s'attaqua, ce maître, ce René Simon, à une jeune fille qui était tombée enceinte. Pourquoi s'attaqua-t-il à elle de front avec un mépris et une colère extraordinaire ? Seulement parce que comme elle était une élève très douée et qu'il avait eu l'occasion de lui trouver un petit rôle dans un film elle avait ruiné tous ses efforts en tombant enceinte et en refusant d'avorter. Il la traita de tous les noms même les plus vulgaires. Il la traita de Marie-couche-toi-là, il la traita de pouffiasse et il n'en finissait pas de l'insulter devant les autres élèves. Alors elle aussi se mit à pleurer. J'étais révoltée quant à moi, vraiment révoltée. Quelle cruauté et quel manque d’intelligence et d’amour de son prochain. Je me disais que ce pauvre enfant qui allait naître, s’il naissait malgré la volonté mortifère de Monsieur René Simon, il aurait à porter toute sa vie cette « faute » de sa mère et la haine du professeur. Elle allait peut-être rater sa vocation de comédienne et le gamin s'en sentirait coupable. Ça allait tout à fait dans le sens du malheur. Comment pouvait-on quand on est professeur se montrer aussi moche, aussi vil, aussi méchant ? Pour ma part je n'eus pas à souffrir de cet homme-là. Je passais stagiaire assez rapidement. Bien sûr j’aimais beaucoup la tragédie mais j’étais petite et je n'avais pas un physique de tragédienne. C'est pourquoi comme j'étais vive et rapide et que j'avais un très bon sens de l'humour, que je savais être comique, on me confiait tous les rôles de soubrette pour les travailler. Le jour où je fus admise comme stagiaire je me souviens que j'avais, devant René Simon, interprété Dorine. Et je virevoltais, j'étais drôle, je m'en rendais compte et je faisais rire dans la salle. Et lui, le maître de comédie avait ri également et il avait dit après ma prestation « eh bien, eh bien » et j'avais remporté le droit de devenir stagiaire. Je ne fus jamais titulaire. Car je quittai le cours avant de pouvoir le devenir. En fait lorsque je rentrai à l'école maternelle en tant qu'institutrice suppléante je connus là une telle fatigue qu’il m'était impossible, physiquement impossible, de tenir ma classe pendant la journée et le soir d'aller au cours Simon. J'étais tellement morte d’épuisement, j'étais privée de toute énergie à cause de cette fatigue immense et nerveuse. J'avais 45 enfants dans la classe et quelquefois c'était pire encore lorsque une de mes collègues manquait. J'avais débuté dans une petite école, nous étions peu d'institutrices. Ce qui fait que lorsque l'une manquait l'autre était chargée d'un nombre d'enfants incroyable. Car nous nous répartissions les élèves de l'institutrice manquante. Je me souviens qu'un jour j'ai eu 66 élèves dans ma classe. La classe était la même je n'avais pas pu pousser les murs et les enfants n'avaient même pas tous de quoi s'asseoir ou une table pour dessiner. J'étais devenue l'ombre de moi-même tellement la fatigue me transformait en pauvre animal sans énergie. Je tins bon un moment et je me souviens qu’un jour Madame Laure, qui était mon professeur au cours Simon, après que j'ai donné une scène me dit : « mais Maccagni qu'est-ce qui se passe on dirait que tu dors sur scène, qu’il n’y a plus rien, je ne comprends pas. Je ne t'ai jamais vue ainsi, qu'est-ce qu’il se passe ? ». Il se passait que je n'étais pas surhumaine et que, entre un métier crevant à l'extrême avec six heures de présence avec des enfants bruyants et survoltés à qui il fallait apporter les connaissances au cours d'exercices super-fatigants et avec le désir ensuite de venir au cours Simon la tâche était impossible. Alors je réfléchis et je me dis que je reviendrais plus tard au cours Simon, que j’allais d'abord passer ma titularisation en tant qu'institutrice. Après je reviendrai au cours Simon. Je me souviens que ce soir-là je rentrai par le métro. Et j'avais eu à choisir, j'avais eu ce terrible choix à faire entre continuer à essayer de réaliser mon destin celui qui m’était indispensable pour exister, et rester dans mon travail pour des raisons pécuniaires. Et ce soir-là en rentrant par le métro j'avais le cœur brisé. Je restai institutrice et jamais plus je n’entrais dans un cours prestigieux qui, avec mon talent, m’aurait permis de faire ce que j'avais désiré. Mais Dieu ne vous abandonne pas lorsque votre cœur est sincère que votre vocation est véritable, Dieu ne vous abandonne pas. Dans ce travail qui m'avait été imposé, ce travail pour lequel rien ne m'avait préparée, je pus au fil des années et dès le début, employer tous les talents que Dieu m'avait donnés. Je ne fus pas connue sauf des parents d'élèves et des enfants. Je ne gagnais pas ma vie autant qu'une comédienne qui aurait réussi. J'ai été payée « avec un lance-pierre » comme on dit. Mais je vous expliquerai comment j'ai pu louer le Seigneur de m'avoir dirigée sur ce chemin-là qui fut vraiment difficile mais qui m'apporta beaucoup plus de vraies richesses et de vrai bonheur que ce que j’aurais pu obtenir en étant une artiste célèbre.

NOUVELLES D'UNE VIE
68 ans
Arrivée Rosny - médecins

Lorsque nous nous retrouvâmes avec André à Rosny-sous-Bois le problème se posa de trouver un médecin référent car nous n'avions pas envie à chaque fois que nous avions besoin de quelque chose pour une petite maladie d'aller jusqu'à Paris consulter notre ancien médecin. Surtout que ce médecin-là, je crois, ne m’a jamais auscultée. C'est tout juste si, de temps en temps, il prenait la tension du malade. Je me souviens d'avoir eu une dermatose à la jambe, je me grattais beaucoup et ma jambe était très, très rouge. Lorsque je lui en parlai il regarda sur son ordinateur et chercha quelle pouvait être ma maladie en fonction des symptômes que j’exprimais oralement : « jambes rouges, grattage ». Mais il ne me demanda même pas d’ôter mon pantalon pour voir ma jambe. Il me soigna de façon empirique et me donna une pommade que, sur le moment, je ne pris pas car en regardant sur Internet je vis que, d'après les symptômes que j'avais, ce n'étais pas le bon médicament. Je pris donc rendez-vous avec notre dermatologue habituel. Et lorsque je lui montrai ma dermatose, car lui le dermatologue  évidemment il regarda l'état de ma jambe et que je lui dis que le docteur m'avait prescrit telle pommade il se récria « j'espère que vous n'avez pas pris ce truc », je répondis « non j'ai regardé la notice et j'ai bien vu que c'était contre-indiqué pour moi ». Il fut soulagé et me prescrivit de quoi soigner cette dermatose. Et grâce à l'ordonnance qu’il m'avait faite je guéris en huit jours. Alors nous ne désirions pas garder ce médecin qui plusieurs fois avaient commis des erreurs incroyables pour un médecin. Notre fille parla à son médecin traitant, une dame, martiniquaise je crois, et celle-ci accepta de nous prendre en tant que médecin traitant. Cependant cela devait capoter pour une raison qui peut être va vous sembler amusante mais que moi sur le moment et ma famille, nous ne trouvâmes pas drôle du tout. En arrivant à Rosny j’étais dans un état déficient. J'avais un taux de cholestérol très élevé et ma tension était fluctuante. Elle pouvait passer rapidement à dix-huit ou dix-neuf. À d’autres moments je souffrais d’hypotension. Il fallait absolument que je régule cela et j'avais besoin d'un médecin et même d’un cardiologue. La doctoresse me reçut deux fois en consultation et me demanda à la deuxième fois de consulter un cardiologue de ses amis. Je me rendis chez le docteur Monorgueil. À l’époque j'avais 68 ans. Je n'étais pas une jeune fille et je risquais fort d'être gravement malade à cause de ma tension qui atteignait des sommets. Lorsque je rentrai dans le cabinet du docteur Monorgueil, avant même que je lui décrive mes symptômes et parce qu'il avait appris que je venais de Paris il se montra hostile. C'était un jeune excité. Et il me dit avant de m’examiner « vous savez ici à Rosny-sous-Bois on ne gruge pas la sécurité sociale, alors faites attention à vous ». J'étais éberluée que l'on m'accueille par ces mots hostiles et je lui assurai que je n'avais jamais grugé la sécurité sociale. Il me refit cette recommandation en insistant. Après quoi il se mit enfin à m'examiner. Il me commanda de prendre ma tension matin et soir pendant dix jours. Et je sortis pour payer à sa secrétaire à l’entrée de la salle d'attente. Depuis que j'ai été gravement malade et parce que j'ai encore des soins je bénéficie d'un remboursement des soins de100 % à la sécurité sociale. Je le signalai à la secrétaire qui me répondit : « ah vous avez un 100 %, ah pour moi ça va poser des problèmes car j'en suis encore à ma formation et en ce qui concerne les 100 % je n'ai pas encore abordé le problème mais je vais essayer de trouver les 100 % ». Elle chercha avec son ordinateur mais n'étant pas formée pour ça elle ne trouvait pas. Je finis par lui dire après qu’elle ait cherché un très long moment « vous savez je peux payer la consultation et me faire rembourser. Cependant il faudrait que vous finissiez rapidement la formation dont vous m'avez parlé car c'est assez désagréable pour le patient de se trouver devant ce genre de problème ». Elle en convint et il n'y eu aucune fâcherie entre nous. Cependant le docteur Monorgueil sortit de son cabinet comme un fou furieux et se précipita sur moi. Il était très grand et moi je suis d'une très petite taille, il me dominait d’une tête et se mit à me disputer en poussant des cris : « Je vous avais dit que à Rosny-sous-Bois on ne grugeait pas la sécurité sociale. Si ma secrétaire ne trouve pas vos 100 % c'est qu’ils n'existent pas. Alors payez et plus rapidement que ça car ici on ne trompe pas la sécurité sociale ». J'étais si effrayée par l'intervention violente de ce médecin et cette situation où je me trouvais que je ne sus pas trop quoi lui répondre alors qu'il continuait à me hurler dessus. Mais je sentais que j'étais de plus en plus fébrile que mon cœur battait à tout rompre et je pressentais bien que ma tension aussi était en train d'augmenter à toute vitesse. Finalement, doucement, je le raisonnai et lui apportai des arguments conciliateurs. Je lui dis que j'allais consulter ma sécurité sociale et que je lui apporterais des preuves de mon 100 %. Il se calma et rentra dans son cabinet. Mais moi j'étais très, très bouleversée je ne savais plus où j'en étais. La secrétaire me dit « voulez-vous prendre un rendez-vous pour la prochaine fois ? » car je devais revoir ce fou furieux. Et nous entreprîmes de chercher une date pour un rendez-vous. Elle m’en proposa d'abord une, mais ce jour-là je ne pouvais pas venir, j'avais d'autres obligations. Alors je lui répondis « Ah non ce jour-là j'ai un rendez-vous, trouvons autre chose ». Le collègue du docteur Monorgueil passait à ce moment-là et m'entendant dire que j'avais un rendez-vous il trouva très intelligent de faire cette réflexion : « ah oui vous avez rendez-vous avec votre amant ! » Alors là c'est la totale pour moi. Surtout qu’il y avait d'autres personnes qui attendaient. Je répondis rapidement que je n'avais eu pour amant dans toute ma vie que mon mari. Le médecin ricana. Il faut dire que j'avais déjà à l'époque 68 ans et que le fait qu'un jeune médecin ose manquer de respect à une femme de 68 ans c'était assez désagréable et perturbant. Sans doute avait-il entendu l'esclandre que son collègue avait fait et se croyait-il obligé d'essayer de m'humilier. Lorsque je sortis de là je n'étais pas très heureuse. Et je me sentais survoltée avec un cœur qui battait la chamade ce qui pour moi n'était pas sans risque. André lorsque je lui fis le récit de mes déboires téléphona au docteur pour avoir des explications. Après cela je repris rendez-vous avec mon médecin généraliste. Tous les matins nous prenions ma tension et également le soir. Arriva le jour de mon rendez-vous avec la généraliste. Lorsque j'arrivai à son cabinet j'entendis dans le couloir la voix du docteur Monorgueil et celle de mon médecin généraliste et qui riaient ensemble. Et j'entendis à travers la porte que le docteur Monorgueil disait à mon médecin « ah, tu te rends compte il a fallu que je fasse des excuses mais pour qui se prennent les gens maintenant ? C'est insupportable ». Je me retrouvai, après cela, après avoir attendu une heure et demi, alors que j'étais arrivée à l'heure pour mon rendez-vous, dans le cabinet du docteur Ekkel. Mais avec ce médecin généraliste on attendait toujours au moins une heure et souvent deux après l’heure qu'elle vous avait donné pour votre rendez-vous. Donc je me retrouvai dans son cabinet. Et là, la situation devint ubuesque. Je lui avais raconté tous mes antécédents médicaux sans rien lui cacher. Et pourtant elle commença par me dire « il n'y a plus de confiance entre nous ». Je lui répondis qu'en ce qui me concernait j'avais confiance en elle et dans les traitements qu'elle me préconisait. Elle reprit la parole : « non il n'y a plus de confiance entre nous et je ne vais pas pouvoir vous garder comme cliente ». J'étais éberluée. Que se passait-il ? Elle reprit « vous m'avez menti ». Je me demandais de quoi elle voulait parler. J'avais justement essayé de lui conter tous mes problèmes médicaux car sinon comment aurait-elle pu bien me soigner ? Elle reprit « vous m'avait caché que vous avez une grave maladie des reins et que vous avez fait un séjour de plusieurs mois à l'hôpital Tenon ». J'étais de plus en plus éberluée car je n'ai jamais fait de long séjour à l'hôpital Tenon. Et ce jour-là je lui amenais des résultats d'examens que je venais de passer à sa demande et où il était écrit que justement je n'avais pas de problèmes rénaux. Mais elle refusa de regarder les résultats de mes examens. Je me cassai la tête pour savoir ce qu'elle entendait par là et à quoi elle faisait illusion et sur quoi ces erreurs reposaient. Je finis par comprendre ce qui l'avait trompée lorsqu'elle avait consulté mon dossier médical. En fait des examens des reins j'en avais fait depuis longtemps comme tout un chacun c'est-à-dire une fois par an et même parfois une fois tous les deux ans. Je n'avais rien de spécial, seulement il y a une mesure qui se faisait à l'époque et qui n'était pas fiable. Il s'agissait d’une mesure qui s'appelait la « clairance estimée ». Elle n'était jamais bonne en ce qui me concerne. J'en avais parlé à mon médecin traitant du 20ème arrondissement et il m'avait dit qu'il n'était absolument pas inquiet car mes autres résultats étaient très bons. Il m'avait même dit que la clairance estimée était un examen qu'on allait un jour supprimer parce que justement il n'était pas fiable. Il dépendait de beaucoup d'autres choses, du sexe, de l'âge, de l'embonpoint, de la nutrition et de je ne sais pas quoi. Mais moi cette clairance estimée qui n'était pas bonne cela me causait de l'inquiétude. Alors je lui avais demandé si je pouvais consulter un spécialiste afin d'être rassurée. Il y avait consenti et m'avait envoyée chez une collègue qui consultait à l'hôpital Tenon. Cette personne me reçut trois fois à un mois d’écart. Elle me donna des analyses à faire et un léger traitement. Et puis la troisième fois que je la vis elle me dit que ce n'était pas la peine que je continue à prendre de traitement ni à venir à sa consultation car tout était normal et la clairance estimée n'était pas un examen suffisamment fiable pour attester du fait que j'avais besoin de me soigner en ce qui concerne les reins. J'étais donc tout à fait rassurée et après avoir été à trois de ses consultations et selon son conseil je ne retournai pas à l'hôpital Tenon. Mais reins étaient tout à fait en bonne santé. Et voici que avec le docteur Ekkel ces trois consultations à l'hôpital Tenon se traduisaient par un long séjour de trois mois pour soigner mes reins à l'hôpital. La chose devint plus grave encore ce jour-là pour moi. Je fus carrément mise à la porte par le docteur Ekkel qui continuait à m’affirmer qu'il n’y avait plus de confiance entre nous et qu'il fallait que je me cherche un autre médecin. Cependant à ma demande insistante elle me fit une ordonnance avec un médicament contre la tension. Elle n'avait même pas examiné la courbe de mes prises de tension. Quand je sortis de là je ne savais plus où j'étais. Me retrouvant dehors je titubais. J'appelai mon mari et je lui demandai de venir me rejoindre. Il dut abandonner son travail en cours pour venir me secourir. Le mot secourir n'est pas trop fort. Je ne savais plus où j'étais, ma tension avais grimpé de façon incroyable. Je me dis que j'allais prendre le médicament que le docteur Ekkel m'avait prescrit, que j'avais au moins cela. Mais André préféra regarder sur le net de quoi il s'agissait. Or ce médicament n'était certainement pas celui qui convenait. C'était un médicament extrêmement fort qu'on devait commencer à prendre par de petites doses et dont on ne devait augmenter les doses que très progressivement car sinon c'était dangereux. André me dit « tu ne prendras pas ça car il y a de quoi tuer un cheval ». Que faire dans ma situation, que faire ? Il fallait certainement que l'on régule ma tension et cela faisait déjà trop longtemps que je vivais ainsi en danger. Je me dis alors « eh bien ce n'est pas grave je vais aller trouver un médecin juif car j'ai confiance dans les juifs ce sont des gens sérieux ». Il y en avait un dans la rue où j'habitais. Je pris rendez-vous et je m'y rendis. Succinctement, sans me plaindre, j'exposai à ce médecin quelle était ma situation. Je fis des efforts mais je ne me permis pas de critiquer le médecin Ekkel, mais je dus bien avouer que c'était parce qu'elle avait refusé de continuer à me soigner que j’avais besoin de lui. Alors après que j’eus décrit ma situation sur le plan médical je m'attendais à ce que le médecin me donne un traitement. Il n'en fut rien. Au mépris de sa déontologie le médecin refusa de me soigner. Il me dit pour toute explication qu'il était un grand ami du docteur Ekkel et que si elle refusait de me soigner lui non plus ne me soignerait pas. Je compris dans l’instant toute l'horreur de ma situation. J'étais en danger à cause de mes problèmes de tension et je n'aurais encore pas de traitement rapidement. Je le suppliais même s'il ne voulait pas faire de moi sa cliente, de me donner une ordonnance avec un médicament qui me permettrait de tenir le coup. Il refusa tout net. Alors je lui dis « s'il vous plaît docteur, un tout petit médicament ». Il me répondit « même un tout petit médicament je ne vous le donnerai pas, et il ajouta, de toutes façons vous ne risquez rien ». Il ne m'avait pas examinée. Et ce que je lui avais dit de ma santé était alarmant. Lorsqu'il eut affirmé que je ne risquais rien je découvris qu'il se trompait gravement. Car l'après-midi n’étant toujours pas soignée ma tension chuta de façon catastrophique et je tombai dans une sorte de catalepsie. Mon mari n'arrivait pas à me réveiller. Il était très inquiet. Après cet épisode grandement alarmant le lendemain je me dis « que faire, consulter à nouveau le médecin de Paris ? » Mais comment pourra-t-il me donner rapidement un rendez-vous ? Alors je me donnai un jour supplémentaire pour trouver un médecin qui respecte sa déontologie et accepte de soigner une patiente en danger. Un pharmacien rosnéen me donna l'adresse d'un médecin qui était, à ses dires, un très bon et très sérieux médecin. Je me rendis chez le docteur Dérini. Je lui expliquai mes déboires. Le docteur Dérini est en effet un excellent médecin et d'autre part c'est un homme honnête sérieux et qui, lui, respectait le serment d'Hippocrate. Il me donna un médicament qui, en huit jours, rétablit la situation en ce qui concerne ma tension. Mais il me dit ne pouvoir me prendre comme cliente régulière, qu'il ne pouvait pas être mon médecin traitant car il avait en effet une très grosse clientèle. Je n'eus pas de mal à le croire car quelqu'un qui se comporte de façon aussi responsable et en étant à la pointe de son art cela attire beaucoup les patients. Mais il me dit cette parole rassurante « de toute façon, si ponctuellement vous avez besoin de moi, je vous recevrai ». Après cela je trouvais un médecin Madame Halard à Montreuil. Cela me prit 15 jours de recherche mais pendant un moment je consultais à Montreuil. Cette dame médecin qui avait accepté d'être mon médecin traitant était certainement un bon médecin. Cependant Montreuil est quand même éloigné de Rosny-sous-Bois et lorsque l'on a un besoin urgent d'un médecin ce n'est pas facile d'attendre que l'on puisse aller à Montreuil. Surtout que moi je n'ai pas le permis de conduire. Alors tout en gardant ce médecin de Montreuil j'entrepris de faire encore des recherches à Rosny-sous-Bois pour trouver un médecin qui m'accepte en tant que cliente régulière. Je m'adressai un jour à Monsieur Bruno dont je vous ai parlé qui est quelqu'un d'extrêmement sympathique et dévoué et à qui je racontais mes malheurs, ce qui le fit beaucoup rire. Il me conseilla d'aller voir un médecin de ses amis, une dame qui n'habitait pas loin de chez nous. Cette dame est extrêmement sympathique et elle accepte de me recevoir lorsque j'ai une urgence, par exemple une grippe, en me prenant « entre deux clients », comme on dit. Je vous parlerai d’elle un peu plus tard.

Un jour j'eus une surprise lors d’une exposition, j'eus la surprise de voir un Monsieur qui parlait avec ma belle-sœur et venait visiter l'exposition et dont je me dis, « je connais cette tête-là ». Je ne suis pas du tout physionomiste, il faut le dire. Eh bien il s'agissait du docteur Dérini à qui j’avais envoyé une invitation. Merci docteur Dérini, merci beaucoup, et merci aussi au docteur Zibon qui est un très bon docteur en qui je fais confiance depuis déjà plus de trois ans.

22 ans
Madame Ananas

Je n'avais que quelques années d’ancienneté mais déjà j'étais une institutrice performante. J'avais beaucoup réfléchi sur mon métier pendant ces quelques années et ma classe était certainement une des mieux tenues et une où les enfants apprenaient le plus et apprenaient surtout à devenir des humains aimant autant le travail que la distraction. C'était une classe où chacun se sentait bien et se passionnait pour les notions que j'apportais. Les enfants m’étaient attachés autant que je leur étais attachée en tant qu'institutrice faisant tout pour les prépare,r grâce à des exercices bien conçus, à un radieux avenir. Avec les parents je m'entendais bien et, malgré ma jeunesse, ils reconnaissaient mes mérites et avaient en moi une grande confiance car ils voyaient leurs enfants s'épanouir et progresser dans ma classe. Je fus nommée à Bondy dans une école où la nouvelle inspectrice que j'avais, faisait des expériences pédagogiques. C'était une personne qui travaillait avec la télévision. Vous ne la reconnaîtrez pas si je l'appelle Madame Ananas. Je vécus dans cette école l'une des plus éprouvantes expériences de ma vie à cause de cette personne qui avait, selon moi, des idées erronées sur l'enseignement ou plutôt des idées préconçues. Elle n'avait pas non plus le respect des enseignantes, à part celles qui se pliaient à ses quatre volontés, et n'acceptait aucune opinion différente de la sienne. Ce jour-là les classes de notre école devaient servir à ses émissions télévisées. Ma voisine de classe était une personne d'un certain âge que notre inspectrice, Madame Ananas, appréciait beaucoup car elle acceptait sans beaucoup discuter de se plier aux expériences que tentait Madame Ananas. Moi qui étais sa voisine j'entendais souvent dans sa classe bien du bruit qui m'apprenait que les enfants y étaient très dissipés et certainement peu attentifs. Mais je ne m'en formalisais pas car chez moi les enfants étaient calmes recevant leur lot d'intérêt pour tous les exercices que je préparais et qui leur convenaient. Donc ce jour-là la télévision débarque. Mon thème sur ces semaines qui arrivaient à ce moment-là était celui de la mer et des animaux qui la peuplaient. Les enfants étaient passionnés par ce thème car parmi les poissons et les autres animaux marins il y a beaucoup de façons de vivre et d'exister assez différentes de celles que l'on peut imaginer et qui permettent à la fois de s'étonner, de réfléchir et de travailler sur le plan du dessin, de la poésie ou du conte. On m'avait prévenue que je devais préparer une leçon qui serait filmée pour la télévision. Je me mis d'accord avec notre directrice et ensemble nous imaginâmes une leçon qui pourrait être différente des autres, originale et plaire aux enfants. Je lui soumis mon idée d'amener en classe une tortue marine dans un bocal et pour intéresser les enfants à sa découverte de ne pas la montrer aussitôt, de faire deviner aux enfants avec mille suppositions ce que pouvait contenir le paquet que j'amenais.

J'arrivai donc ce jour-là avec un grand sac dans lequel était la tortue marine. Les enfants se réunirent autour de moi. Cependant les techniciens de la télévision n'étaient pas prêts à tourner. On nous renvoya donc dans nos classes, ma voisine et moi-même. Tout se serait bien passé si les techniciens nous avaient permis de présenter notre leçon dans un délai raisonnable ou s'ils nous avaient averties que nous avions beaucoup de temps à passer avant de tourner la séquence. Mais nous dûmes attendre pendant des heures. Et on nous demanda pendant toutes ces heures de tenir les enfants prêts, assis dans la classe autour de nous. Bien évidemment cela ne pouvait pas convenir à des enfants d'âge si tendre. Bientôt l'inaction devint un poison pour la bonne tenue de la classe. Nous avions chanté, nous avions récité, nous avions dit des comptines, nous avions fait des jeux de mains, mais il nous était interdit d'aller en récréation et il nous était interdit de bouger. À cet âge on a besoin de mouvement, l'énervement d’être privé  d'action gagna toute la classe. Encore, en ce qui me concerne, je n'avais pas à me plaindre car j'arrivais à tenir les enfants intéressés par les jeux statiques que j'inventais et ils se tenaient relativement sages. Mais dans la classe voisine au bout de deux heures je vis par la vitre de la porte de communication que les enfants avaient échappé à la surveillance de la maîtresse et je les voyais grimper sur les rebords des fenêtres et je les entendais pousser des hurlements. Je n'avais qu'une peur, que l'un d'entre eux se jette dans le vide. J'entendais ma voisine, ma collègue, qui essayait de faire revenir le calme sans y parvenir. Quant à moi, dans mon petit groupe, bien que je sentis mes enfants énervés par le manque de détente, ne pouvant pas bouger, cela se passait bien. Enfin il fut question de tourner dans la classe. Les enfants de ma classe étaient très très curieux de voir ce que je leur apportais. Nous nous mîmes à faire des suppositions. Ils étaient pleins d'intérêt et d'imagination. Je sus entretenir cet intérêt et cette imagination. Les réponses étaient tout à fait poétiques et intéressantes. Il n'y avait que trois des enfants qui semblaient ne pas suivre la leçon avec intérêt et qui semblaient s'évader par le regard et ne pas adhérer à cette leçon. Mais je ne me faisais pas de souci car ils avaient habituellement ce comportement. D'ailleurs cela  ne voulait pas dire qu'ils ne s'intéressaient à rien. Mais c'était leur façon d'être et du moment qu’ils ne troublaient pas la classe, et ils ne le faisaient jamais, je ne m’en souciais pas et je leur faisais confiance. Ils regardaient le plafond ou ils mangeaient leurs doigts et ne semblaient pas s'intéresser plus que cela à la leçon. Au moment où j'ouvris enfin le paquet après que les enfants aient eu le temps de faire mille propositions imaginatives qui était très intéressantes il y eut un mouvement que je ne pus canaliser car lorsque que les enfants découvrirent la tortue marine leur joie fut intense. Ils se précipitèrent tous sur le tapis avec des exclamations de plaisir et de joie pour s'approcher de cette petite tortue marine. Ça pouvait sembler du désordre quoique cela ne le fut pas du tout c'était en fait la libération de l'intérêt que j'avais fait grandir par la recherche de ce que j'amenais qui motivait les enfants et qui avait fait qu'ils poussaient des cris de joie et de plaisir en découvrant la tortue. Après cette leçon, la télévision ayant cessé de tourner la séquence, les enfants purent aller en récréation. La leçon que ma collègue plus âgée et plus expérimentée devait donner dans sa classe tourna au fiasco. Mais ce n'était pas étonnant car il est extrêmement difficile de tenir sages des enfants sans activités physiques à cet âge pendant des heures. Moi j'y étais parvenue malgré mon expérience de seulement quelques années parce que nous formions avec ma classe un groupe très uni et que je savais, c'est un don que j'ai, soutenir l'intérêt de tous ceux qui ont été mes élèves quel que soit leur âge. Car plus tard j’enseignerai aussi à des adultes. Le jeudi suivant nous devions, alors que c'était un jour de congé (à l'époque c'était le jeudi qu'il n'y avait pas classe), à la demande de l'inspectrice, renoncer à ce jour de congé pour aller visionner les enregistrements. Elle devait aussi donner son avis et prendre celui des enseignants qui avaient participé à l’élaboration de la leçon filmée. Or ce jour-là j'avais un rendez-vous chez le coiffeur. C'était un capilliculteur et il fallait prendre rendez-vous très longtemps à l'avance. Je pensais moi que j'en avais assez fait et j’étais assez mécontente de la façon dont on nous avait fait attendre pour tourner la séquence ce qui avait rendu les choses difficiles. Et je ne comprenais pas pourquoi l'inspectrice n'était pas venue pour soutenir les institutrices ou pour leur donner des conseils. Le jour du tournage elle était absente et nous n’avions pas pu auparavant lui demander conseil. Elle nous avait abandonnées à nous-mêmes dans ces circonstances inhabituelles. Donc je décidai de ne pas me rendre à sa convocation et d'aller me faire coiffer. Quelle grossière erreur ! Je ne savais pas que ce serait considéré comme une faute professionnelle de profiter d'un jour de congé et que je le paierais aussi cher. Le vendredi mes collègues me dirent, à ma demande, que les projections s'étaient bien passées. Je demandai ce que l'inspectrice avait pensé de la séquence filmée dans ma classe avec la tortue. Elles me dirent que l'inspectrice avait apprécié la joie des enfants et que lorsqu'ils s'étaient précipités sur le tapis pour s'approcher de la tortue cela avait été « un très beau mouvement enfantin ». Je fus donc rassurée car c'était une de mes inquiétudes qu'elle n'ait pas compris que ce mouvement n'était en rien du désordre, tenait simplement à la passion des enfants pour ce que je leur enseignais. L'émission de télévision devait passer quelque temps plus tard et tous les parents en avaient été avertis. Quant à la séquence qui avait été tournée dans la classe voisine, celle de ma collègue qui était maîtresse d'application, une séquence qui avait si mal tourné que j'avais cru que les enfants allaient passer par la fenêtre, l'inspectrice avait décidé de ne pas la programmer. En effet comment aurait-t-elle pu montrer un tel désordre où les enfants s'étaient mis en danger de tomber par la fenêtre. Ce soir-là mes parents et moi étions devant la télévision. Or ce que nous découvrîmes alors était une mise à mort de ma personne en tant qu’institutrice. Les enfants qui avaient bien répondu et dont j'étais très fière de la réponse avaient disparu et leurs réponses on ne les entendait pas et eux n'étaient pas filmés. Les seuls élèves qui étaient filmés étaient les trois qui ne s'étaient pas intéressés, du moins en apparence, à la leçon et dont le regard fuyait. Et le commentaire était terrible à mon encontre. Il était dit que c'était anormal d'amener une tortue dans un paquet et que les enfants ne pouvaient évidemment pas s'y intéresser, que la leçon était mauvaise et que l'inattention avait gagné tout le groupe, ce qui était un mensonge éhonté. Tout avait été trafiqué pour faire de cette leçon si vivante un fiasco. J'étais bouleversée. Je vous rappelle que c'est avec la directrice que nous avions imaginé cette leçon et que, en fait, les enfants ne vivent pas dans la réalité des adultes mais que leur imagination leur permet de vivre aussi dans le rêve et qu’une tortue dans un paquet ça ne les choque pas du tout, bien au contraire, c’est un moment très enfantin qui leur convient bien. C'est dans l'esprit de l'enfance et nous avions affaire à des enfants, n'est pas ? J'avais été mise à mort et de façon extrêmement perverse et malhonnête. Je pensais que tous les parents d'élèves avaient entendu les critiques acerbes de mon inspectrice. Elles étaient plus qu'acerbes car cette dame s'était permis de me faire passer pour une très mauvaise institutrice. Comment aller affronter le surlendemain le personnel de l'école et les parents ? J'étais au bord du suicide il faut bien le dire. C'était tellement important pour moi qui était arrivée dans ce métier, sans connaissances, d'être devenue en quelques années une bonne institutrice que ses élèves plébiscitaient et aussi les parents d'élèves. Ma mère fut affolée par l'état dans lequel cette épreuve m'avait plongée. Et c'est vrai que je songeais au suicide. Elle le comprit et téléphona à l'école pour en faire part. La directrice fut affolée à son tour et en fit part à l'inspectrice qui se rendit compte qu'elle avait fait plus qu'une maladresse, une mauvaise action, qui en plus était totalement imméritée. Elle me fit appeler mais ne s'excusa pas. Je la rencontrai la semaine suivante et elle m'expliqua que nous étions toutes dévouées aux enfants. Que cela avait servi son propos de tourner la leçon dans le sens qu'elle désirait. Ce qui était extrêmement malhonnête car il ne s'agissait plus d'observer des enfants mais de se servir de leurs réactions et de leurs réponses et de la classe pour démontrer quelque chose qui était faux car qui était inventé. Mais elle tenait tellement à ses idées… Nous en reparlerons de ses idées qui n'étaient pas du tout les miennes. Lorsque je repris mes fonctions le surlendemain j'étais toujours ravagée par le désespoir. Et honteuse, ô combien honteuse à l'idée de rencontrer les parents d'élèves avec, pensai-je, l'opinion qu'ils auraient de moi. Mais les choses ne se passèrent pas à mon désavantage. Bien au contraire les parents d'élèves furent plus gentils encore que d'habitude avec moi. Je les sentais compréhensifs et touchés par mon épreuve. En fait cela s'expliquait très bien car, lorsque les enfants étaient rentrés de la leçon qui avait posé problème, ils avaient été les meilleurs de mes avocats. Il étaient rentrés après cette leçon qui avait causé ma honte et qui pourtant avait été une si bonne leçon, tellement enthousiastes qu’ils étaient joyeux et l’idée de retrouver la petite tortue dans la classe dorénavant leur causait un très grand un très ardent plaisir. Ils avaient dû en parler abondamment à leurs parents avec beaucoup d'enthousiasme. Et les parents étaient heureux qu'ils soient si contents de venir en classe et que je trouve mille et une astuces pour soutenir leur intérêt. Ils avaient, ces parents, l'habitude de constater combien les enfants étaient heureux de venir dans ma classe et leur attachement à la fois à l'enseignement que je donnais qu'à ma personne. C'est pourquoi ce jour-là alors que j'étais catastrophée et honteuse et que je craignais fort la réaction des parents et leur mépris il n'en fut pas ainsi. Au contraire je fus traitée avec beaucoup de respect et de sympathie. Mais cette humiliation qui m'avait été infligée par une inspectrice indélicate et qui ne comprenait rien aux humains (comment aurait-elle compris quelque chose aux enfants ?) et au mal qu'elle pouvait leur faire, cette humiliation est restée gravée dans ma vie. Quelques années plus tard je rencontrai une autre inspectrice qui, elle, m'apprit beaucoup. Car avec cette nouvelle inspectrice j'appris à observer, avec respect, les enfants, leurs réactions, sans tricherie et à tirer mes moyens d'enseignement de ce que m'apportaient les enfants et non pas des idées préconçues que je pouvais avoir sur eux. Mme Ananas pensait, à tort, que seul le jeu pouvait intéresser les enfants et que l'on devait tout tirer du jeu, y compris le travail, y compris apprendre à lire. Seulement cela est une idée fausse car travail et jeu nécessitent des potentialités différentes. Et il est faux de penser que le travail va rebuter les enfants et que seul le jeu va les intéresser. Bien au contraire, je vous laisse lire dans mon essai ce qui concerne le travail et ce qui concerne le jeu. Et vous comprendrez combien les enfants qui désirent grandir, qui désirent devenir aussi importants que les adultes car dans leur petite tête les adultes sont un modèle, combien les enfants si vous leur présentez un enseignement passionnant aiment travailler et sont fiers de travailler. Quant au jeu il n'est pas à mépriser mais pour garder toute sa saveur il ne doit pas être confondu avec le travail car dans le jeu il y a plus de liberté et que cette liberté doit être préservée. Donc ne confondons pas, même s'il y a des aspects parallèles, le jeu et le travail. Madame Ananas avait des idées préconçues, elle n'avait pas pris le temps d'observer les enfants. Alors elle se servait de ce qu'elle voyait en classe pour appuyer et démontrer des idées fausses.

NOUVELLES D'UNE VIE
69 ans
Monsieur Bruno

Il faut que je vous parle de Monsieur Bruno. Il a fermé sa boutique et je ne sais comment le joindre. Mais c’était un très brave homme. Et il savait faire rire les autres. Nous aimions beaucoup partager ensemble et rire ensemble. Monsieur Bruno avait une boutique de prêt-à-porter. Le style de ses vêtements était très élégant. Souvent ils étaient un peu chers et je marchandais à chaque fois. Monsieur Bruno qui était un homme très gentil m'accordait des remises. Il était aussi très expansif. Et avait beaucoup l'humour. Dans sa boutique les dames d'un certain âge venaient souvent simplement pour partager la conversation avec lui. Monsieur Bruno était juif. Et moi je suis chrétienne. Et qu'est-ce que nous nous entendions bien. Il n'est jamais venu dans ma galerie. Et cela je le regrette beaucoup. Mais quand j'allais chez lui qu'est-ce que l'on s'amusait. Quand j'arrivais il disait : « Ah voici ma princesse, ah princesse comment allez-vous, venez on va s'embrasser ». Je répliquais, « Non Monsieur Bruno je n'embrasse que mon mari, je ne vous embrasserai pas, vous ». Alors il me disait « Vous ne me trouvez pas beau ». Je répliquais « Vous ne l’êtes pas beaucoup il faut le dire ». Alors il faisait faussement des yeux fâchés et me disait « Je savais bien que vous êtes antisémite ». Je répondais aussitôt « Oh Monsieur Bruno avant de vous connaître je ne l'étais pas mais maintenant que je vous connais je sens que je le deviens ». Et l'on riait tous les deux. Un jour je rentrai d'une exposition et j'avais décidé d'aller à la messe du soir à Rosny-sous-Bois. Mais je n'étais pas habillée pour une telle occasion. Ma jupe était trop courte pour que je ne me fasse pas remarquer à l'église. Donc, n’ayant pas le temps de rentrer chez moi, je passai chez Monsieur Bruno et j'achetai une jupe un peu plus longue. Et je dis à Monsieur Bruno que j'allais à la messe du soir. Il me demanda « pouvez-vous prier pour moi ? » « Bien sûr, répondis-je, mais dites-moi ce que je dois demander au Seigneur ». Alors il m'expliqua qu'il fallait que je demande une bonne entente entre lui et sa femme et que tout aille bien pour ses enfants à l'école mais surtout que je prie pour la paix dans le monde. Je m'exécutai ce soir-là pendant la messe. Je priai pour lui et pour ce qu’il m'avait demandé, c'est-à-dire la paix dans le monde. Le lendemain matin je me rendis à nouveau dans la boutique de Monsieur Bruno car la veille j'avais remarqué un « petit haut » qui irait bien avec un de mes pantalons. Monsieur Bruno me demanda : « est-ce que vous avez prié pour moi hier au soir ? » Je lui affirmais que oui « et qu'avez-vous demandé ? » reprit M. Bruno, je répondis « J'ai demandé ce que vous vouliez que je demande. J'ai prié pour vous et votre famille et j'ai prié pour la paix dans le monde ». Il me dit alors : « Ah ben dites donc je n’en vois pas encore les effets ». Je le regardai en souriant et je lui répondis «  c'est un peu court quelques heures pour que le Seigneur exauce votre demande, surtout en ce qui concerne la paix dans le monde ». « Quand même, quand même, reprit Monsieur Bruno c’est long, c'est long, vous êtes sure que vous avez prié avec beaucoup de cœur ? » « Écoutez Monsieur Bruno, repris-je, laissez un peu de temps au Seigneur parce que pour la paix dans le monde ça fait longtemps que nous l'attendons tous et que nous prions le Seigneur ». Et on se mit à rire.

47 ans
L’abus de pouvoir du professeur Des Poiriers

Au bout de deux ans d’études en fac alors que j'avais ma licence d'arts plastiques et que j'avais entrepris une maîtrise qui s'avérait me passionner, je demandai, car il m'était nécessaire de travailler à nouveau, (aussi sur le plan du salaire dont j'étais privée depuis deux ans) ma réintégration. Lorsque vous demandez une réintégration après avoir été absente en tant qu'institutrice ou professeur vous devez passer devant un médecin qui aura à décider seul si vous êtes apte ou non à reprendre votre travail à l'intérieur de l'école publique. Je ne savais pas que le médecin devant qui je devais me présenter et qui était un professeur reconnu, était l'un des meilleurs amis de mon inspectrice qui semblait me détester à cause de nos convictions qui n'étaient pas semblables et même à l'inverse l'une de l'autre. Lorsque je rentrai dans le cabinet du docteur je le reconnus. Cet homme j'avais déjà eu affaire à lui quelques vingt années plus tôt, lorsque j'avais fait une dépression et demandé un mi-temps. À cette époque il me l'avait accordé. Mais à cette époque je ne craignais rien car il ignorait mes convictions religieuses que lui non plus ne partageait pas. Lui aussi, je l'appris plus tard, était un « laïcard ». Et ce que j'appris aussi plus tard c'est que cet homme n'était pas apprécié par ses collègues. Il était autoritaire, n'acceptait rien qui ne lui vienne de lui-même. Et il était connu pour son caractère très difficile. Il n'avait plus à cette époque rien à gagner, ni à perdre car il était à quelques mois de sa retraite. Je fis les frais de tout cela. Lorsque je passai devant lui, je m'attendais à ce qu'il me pose des questions sur ma santé. En fait c'était là l'enjeu : étais-je capable sur le plan santé de reprendre une classe. Je venais de passer une licence difficile, surtout à mon âge et, après avoir abandonné les études depuis 30 ans, une licence que j'avais brillamment réussie et j'étais en pleine forme. Je me disais qu'avec les nouvelles connaissances que j'avais acquises à la fac, je pourrais briguer un poste de « maîtresse d'application ». Je pourrais apprendre à des institutrices comment enseigner les arts plastiques dans leur classe. J'avais beaucoup à apporter ! Et je désirais, moi, faire avancer les connaissances des institutrices afin de faire progresser aussi, par ricochet, les enfants dans cette discipline. Mais il n'en fut pas tel que cela aurait dû être. Aucune question ne me fut posée par le professeur Des Poiriers sur mon état de santé. On eût cru que ce médecin n'était pas médecin et que l'on parlait de tout autre chose. J'avais deux certificats médicaux qui me venaient de médecins qui avaient continué de loin en loin à me suivre après que j'ai été guérie de ma dépression nerveuse. Je les voyais peu souvent mais discutais avec eux de la façon dont je menais ma classe et tous deux trouvaient que j’étais vraiment une institutrice d'exception. Les parents d'élèves aussi le pensaient. Et les enfants aussi. Je dis donc au docteur qui ne voulait pas me signer un certificat de reprise ceci : « les parents d'élèves ont une grande confiance en moi et les enfants m’aiment beaucoup je sais les faire progresser. Je ne suis pas une mauvaise institutrice, bien au contraire ». Il me regarda de façon ironique et me lança : « je n'ai jamais entendu un tel panégyrique ! » Je songeais alors à mes deux certificats médicaux je les lui présentai. Il n'eut pas une hésitation. Il n'en prit aucunement connaissance. Il les balaya sur son bureau d'un revers de bras et mes certificats tombèrent à terre sans qu'il en eût lu le premier mot. Après cela il me posa malgré toute une question. Mais celle-ci n'avait rien à voir avec mes compétences en tant qu'institutrice, ni avec mon état de santé. Il me demanda et cela semblait important à ses yeux : « que fait votre mari ? » Je répondis, et je fus imprudente, que mon mari était ingénieur chez IBM. J'avais été vraiment imprudente. Je n'avais pas dit cela pour me vanter. C'était la vérité. Mais je n'aurais pas dû dire la vérité. C'était ce qu'attendait le professeur, savoir que j'avais les moyens de vivre, même sans mon salaire. Cela le déculpabilisait pour la décision infâme qu'il avait déjà prise avant même que je rentre dans son bureau. Il me dit qu'il ne pouvait pas me réintégrer. Je demandai pourquoi, je me défendis. Je lui dis que j'étais en excellente santé que je venais de le prouver en passant un examen en faculté qui eût pu me paraître difficile à mon âge. Je lui dis que tout le monde me trouvait excellente enseignante. Que cela était connu. Je lui dis que je désirais reprendre mes activités. Il eut un petit rire très méprisant à nouveau. Il se leva en mettant fin à la conversation, se dirigea vers la porte qu’il ouvrit et me fit signe de quitter les lieux. Je restais assise derrière le bureau et je continuais à me défendre pied à pied. « Si je suis malade à vos yeux, dis-je, que l’on m ‘accorde un congé de maladie et si je ne le suis pas qu’on me laisse travailler. » Il répliqua « Et quoi encore ! » Il n'entendait plus rien de ce que je disais, il ricanait. Je fus donc obligée de sortir, je passai devant lui pour sortir et je le regardai d'un air supérieur. Cela le fit rire à nouveau. Je me retrouvai dehors. Je venais de perdre une des choses les plus précieuses que je n'avais jamais obtenues dans ma vie qui fut difficile, mon métier, mon métier que j'avais amené à sa perfection, je crois bien, autant qu'il est possible, mon métier qui me passionnait car il me permettait d'être dans un groupe d'enfants et de me sentir vraiment heureuse et à ma place. Pour ceux que ça intéresserait de savoir ce qui se passait dans cette classe je les renvoie à l'essai que j'ai écrit ensuite après avoir été obligée de quitter mes fonctions. Me voici donc ce jour-là dehors et je gagnai l'arrêt du bus. La Seine n'était pas très loin de là. J'avais parfaitement conscience de mon malheur mais je ne savais pas le plus grave de ce qui venait de m'arriver. J'étais un peu « sonnée » et dans les nuages. Ce malheur m’était arrivé soudainement. Non je ne m’y étais pas attendue. Je me fis la réflexion dramatique, « que vais-je devenir maintenant, que vais-je faire ? » et je me dis que la sagesse serait de prendre la direction des quais et de me jeter dans la Seine. Mais bien sûr ce sont des choses dont on rêve. Et bien au contraire de cela je rentrai chez moi en bus. Après ce jour je me battis pour récupérer le métier dont on m'avait privée. Je fis appel et je passai, mais plusieurs mois plus tard, devant un autre médecin. Cette fois-ci cela ne se passa pas de la même façon. Le médecin me trouvait parfaitement apte à reprendre le travail. Il fit un rapport dont je n'ai pas reçu le contenu rapidement et un jour, beaucoup plus tard, le rectorat me convoqua sans me dire aucunement pourquoi. Or j'étais tombée malade à cette époque car à la joie de reprendre mon travail avait succédé une dépression grave du fait que j'avais été mise à la porte de l'enseignement. Ma situation était pire que tout, je l’appris un peu plus tard après mon rendez-vous avec le docteur Des Poiriers, c'était pire que tout ce que l'on peut imaginer. Je n'avais pas commis de faute donc on ne pouvait me renvoyer sous un prétexte ou un autre. Mais comme le docteur Des Poiriers s’opposait à ma réintégration, je ne pouvais pas non plus revenir dans l'enseignement. Il était tout-puissant pour m'empêcher de revenir. Et comme rien ne pouvait entraîner ma réintégration, en quelques années j'allais perdre tous mes droits. Et pendant tout ce temps-là, c'est-à-dire à jamais, je ne serais plus payée, je n'aurais plus aucun revenu jusqu’à ma retraite. C'était dramatique, je tombai malade. Je m'allongeai sur mon divan le matin après que André soit parti au travail et je ruminais de sombres pensées. Petit à petit mon moral s'assombrit de plus en plus. J'attendais le résultat de mon appel mais sans trop y croire. J'avais obtenu une légère indemnité car les dames du rectorat, éberluées par le sort qui m’était réservé à cause du docteur Des Poiriers, avaient fait un geste pour moi. Elles s'étaient rendu compte de ma situation dramatique. Elles avaient eu connaissance de la sévère dépression dans laquelle cela m'avait plongée, du fait que j'étais gravement malade à cause de la façon j’avais été traitée. Et elles avaient réussi parce que j'avais été malade gravement vingt ans plus tôt et que je récidivai là en fonction du sort que l'on m'avait attribué, elles avaient réussi à obtenir pour moi une indemnité. Mais ce n'était pas évidemment équivalent à un salaire même minime. Cependant que faisais-je, moi, pendant ces mois si difficiles où je me sentais abandonnée ? Eh bien j'avais d'abord essayé de me tourner vers mes collègues car sans doute auraient-elles pu m’aider, puis m’étais tournée vers le syndicat auquel j’étais affiliée depuis des dizaines d’années, mais j'étais devenue la femme à abattre, celle qui défendait l'école privée. Et pour tous ces gens-là, le syndicat et les laïcards, je n'étais même plus considérée comme un être vivant. Lorsque je téléphonais pour que la personne qui s'était dite chargée de mon dossier au syndicat me parle ou me reçoive, celle-ci était toujours absente. Jamais elle ne m’a rappelée, jamais elle n'a répondu à aucune de mes lettres, jamais elle ne s'est occupée de moi. Je pense qu’elle a même essayé de m'enfoncer encore plus. Et mes collègues ne m'ont pas aidée non plus. J'ai payé un lourd tribut à ces gens antichrétiens et justement parce que j'étais chrétienne. Et en tant que chrétienne que faisais-je donc alors que je déprimais et que je m'enfonçais de plus en plus dans la déprime ? quelque chose qui va peut-être vous étonner, quelque chose qui ne correspond pas à l'espérance chrétienne. Le matin quand mon mari partait travailler je m'allongeais sur le divan et je commençais à prier. Je ne priais pas pour retrouver le bonheur. Je priais pour mourir. J'avais connu tellement de difficultés, tellement de drames dans ma vie et voici qu'à 45 ans ça recommençait. Un père alcoolique, une mère de substitution que j'avais perdue à douze ans et ma mère biologique qui ne m’aimait pas et tout le reste qui s'en était ensuivi. Je priais. Je priais pour mourir. Mais bien sûr je ne voulais pas me suicider. Non pas, parce que je n'en avais pas la force, mais parce que ç'aurait été une catastrophe, une tragédie supplémentaire pour ma famille. Donc je demandais à Dieu de me faire mourir de façon naturelle, de m'envoyer une bonne maladie grave, (un cancer, c'est classique) afin que je parte vers Lui afin que je retrouve mon Dieu adoré, sans avoir à me suicider. Il ne m'a pas écoutée. Au bout de près d’un an il fut reconnu que j'avais subi un abus de pouvoir de la part du professeur Des Poiriers. Un jour je fus convoquée au rectorat pour le lendemain, sans qu’on m’en dise la raison. Des Poiriers était parti à la retraite. Je finis par savoir que c'était parce que l'on offrait de me réintégrer et ce dès le lendemain, (surtout pas un jour de plus), dans l'enseignement. Mais on ne pouvait me dire si cela serait dans une école maternelle ou une école primaire, on ne pouvait pas me dire où non plus. Cela pouvait être très éloigné de mon domicile ou dans une banlieue difficile, on ne pouvait rien me dire. Et je devais prendre la décision du jour au lendemain d’accepter ou non. Moi, à l’époque, je touchais une petite indemnité et surtout j'étais devenue gravement déprimée, malade je prenais des médicaments pour cela. Je demandais si j'aurais droit à l'erreur, si je pouvais au cas où je n'arrivais pas à surmonter les difficultés, retrouver ma petite indemnité. On me répondit que non, que si j’échouais il faudrait que je recommence tout. Je n'acceptai donc pas cette réintégration, foutue d'avance, et je retournai sur mon divan à prier Dieu. Petit à petit au fil des semaines, des mois, je quittai mon divan et m’occupai sans grand plaisir de la maison, des courses, je ne faisais même plus de catéchisme, mais je commençai la rédaction de mon Essai sur mon expérience d’enseignante. Je végétais en écoutant la radio où rien ne m'intéressait, je végétais en faisant les courses. Je devais végéter jusqu'au jour où une porte s'ouvrit de façon miraculeuse. Mais, en dehors du temps où j’avais rédigé mon Essai, j'avais végété quinze ans et j'avais soixante ans. Seulement voilà, quand Dieu s'en mêle rien n’est perdu, jamais, rien n’est trop tard, jamais. À soixante ans j’entrai par un étonnant concours de circonstances dans le monde des arts.

64 ans
Conférence sur la lumière

Alors que j'étais la directrice littéraire de Fanchon et que nous nous entendions bien, car à part ses farces déplorables dont je fus la victime nous nous entendions bien, elle me fit entrer à l'Académie des Sciences des Arts et des Lettres. Cette académie organise une fois par an un anniversaire de l'académie avec des conférences et aussi avec des présentations artistiques ou littéraires en particulier poétiques. Madame d'Agaggio qui habite dans le Midi travaillait pour cela avec Monsieur Heurtebize dont je n'ai pas gardé un très bon souvenir. Il était président de la Société des Poètes Français dont je fais partie. Je vous expliquerai cela. Donc je suis entrée à l'Académie des Sciences des Arts et des Lettres. Mais malheureusement malgré son nom prestigieux cette académie ne me permettait pas de faire connaître mes idées largement chrétiennes. En effet les conférences portaient toutes sur les sciences et il ne restait pas de place pour la philosophie ou la théologie. Je finis par me lasser car plusieurs fois j'intervins auprès de Madame d'Agaggio pour qu’une place fut laissée à ceux qui croyaient en Dieu et pas seulement à travers la poésie qui souvent ne présentait de Dieu qu'un visage très, très, très arrangé et lointain, mal maquillé. Je me souviens d’une fois alors que le thème d’une conférence était la lumière et que les sujets qui étaient choisis pour servir ce thème ne portaient que sur la lumière scientifique c'est-à-dire l'éclairage ou la lumière du soleil, je demandai à Madame d'Agaggio s’il était possible que l'on parle de la lumière de Dieu. Dieu est lumière et là cet avis fut complètement ignoré. Alors je contactai un vicaire de notre église et je lui demandai, soit de faire une conférence, soit de me donner les éléments pour que moi-même je puisse intervenir. J'avais confiance en cet homme dont je croyais qu'il était prêt comme moi à servir le Seigneur même lorsqu'il fallait se montrer audacieux. Or voici que ce prêtre me refuse son concours et alors que j'insiste voici qu’il se montre extrêmement désagréable avec moi et parce que je lui résiste me met à la porte de son bureau. Je me souviens que, sur le trottoir avant qu'il ne referme la porte je lui tenais encore tête. Je n'avais pas d'élément pour pouvoir rappeler Madame d'Agaggio et lui opposer quelque chose qu’elle ne pourrait refuser. Bien sûr je suis capable de rédiger quelque chose d'à peu près cohérent sur ce sujet mais vu l'enjeu de la situation je désirais plus que quelque chose de cohérent, je désirais porter une parole d'Église. Ce prêtre qui m'avait refusé son concours pour pouvoir faire figurer dans une assemblée, où elle était ignorée, la parole de Dieu, je n'eus pas une bonne opinion de lui. En effet servir Dieu c'est savoir prendre des risques. Or là il y avait très peu de risque, il n'y en n’avait pas. Que craignait ce prêtre ? Craignait-il que sa hiérarchie le démente de faire cette action chez des incroyants ? Il pouvait très bien contacter sa hiérarchie. Il n’y pensa même pas. Il avait peur je ne sais pas de quoi puisqu'il n’y avait rien de méchant là-dedans mais il avait peur de s'engager. On ne peut pas servir Dieu si on a peur de tout et de rien. Pour servir Dieu il faut savoir prendre ses responsabilités, il faut savoir prendre des risques. Pour servir Dieu il faut mettre sa vie à son service, il faut prendre sa croix et le suivre. C'est Lui qui l’a dit. Et si vous êtes sous l'emprise de son amour et de sa parole vous ne pouvez pas refuser. Parce que si cela vous paraît difficile de le servir en le défendant (c'est-à-dire en parlant de Lui), c'est indigne.

NOUVELLES D'UNE VIE
17 ans
Alberto

Je n'étais occupée que par mes études, préparer le bac pour moi ça a été quelque chose qui m'a accaparée complètement. Je ne connaissais personne dans la sphère privée. Je n'avais jamais eu aucun contact avec un hypothétique petit ami. J’étais seule, complètement seule. Mes parents continuaient à se disputer, mon père continuait à revenir ivre le soir, la vie était très dure. Pas de frère, pas de sœur pour pouvoir partager la misère. Ma mère lisait « Ici Paris » et « France-Dimanche », moi j’aimais regarder les blagues, les dessins humoristiques. Sinon les articles sur les artistes ne m'intéressaient pas. Un jour ma mère qui me voyait seule et avait pris conscience que ma vie n'était pas celle d’une jeune fille de mon âge attira mon attention sur une petite annonce parue dans « France-Dimanche ». C'était un italien, un étudiant italien, qui habitait près de Rome et qui cherchait une correspondante française. J'eus la permission d'écrire et j'écrivis. En fait cet étudiant italien était professeur mais aussi clerc de notaire. Il avait déjà 35 ans. Que cherchait-t-il ? Une correspondante pour apprendre le français ou bien autre chose ? Bien que j'avais peu d'expérience et même pas du tout, je me rendis bien compte que c'était autre chose qu'il demandait qu'une correspondante pour apprendre le français. Je décidai de continuer car je commençais à m'attacher à ce garçon qui était plus âgé mais très intelligent et qui comblait un vide dans ma vie de jeune fille isolée. Et nous nous mîmes à correspondre. Au début ce fut une fois par semaine mais j'avais beaucoup d’attrait à ses yeux. J'étais une jeune parisienne. J'étais très jolie. Et j’étais une merveilleuse poétesse. Lui était séduit par la culture française. Il fut séduit aussi par ma jeunesse. Il fut séduit par mes merveilleuses poésies. Je crois qu'il était très sincère. Moi je m'aperçus que j'étais capable de devenir amoureuse de quelqu'un que je n'avais jamais vu. Nous nous envoyâmes des photos. Les siennes étaient toujours vues de loin ou bien il se cachait une partie du visage. Je compris que c'était un homme qui se trouvait laid ! Et peut-être était-ce aussi pour cette raison qu'il avait cherché loin de Rome une jeune fille pour correspondre. Séduit par ma naïveté, par ma beauté, par ma fraîcheur, par mes talents d'écrivain, je réussis à me faire aimer de lui. Et notre correspondance devint quotidienne. Un jour il m'annonça qu'il devait venir à Paris l’été suivant. Pour moi c'était vivre un conte de fée. Il m'avait raconté sur sa vie bien des choses qu'il n'aurait racontées à personne. Mais évidemment mes parents qui n'aimaient pas à me voir fréquenter, même de très loin, le mâle, prirent ombrage de cette correspondance qui devenait très pressante. Ils ne supportaient pas que j’ai le moindre petit ami dans la sphère proche. Et je me rendis compte qu’ils ne supportaient pas non plus que j'ai un ersatz de petit ami qui était loin de moi. Il s'appelait Alberto. Je lui envoyai, car nous échangions beaucoup sur le plan littéraire, « Le petit prince » en lui disant que je ne le lui donnais pas, que je lui prêtais seulement et qu'il devrait me le rapporter lorsqu'il viendrait à Paris. Tout était joyeux entre nous. Je me rendais bien compte qu’il voulait peut-être plus que ce que je désirais lui donner. Mais malgré mon inexpérience j’étais déjà, au fond de moi, une femme prête à se défendre et à séduire. Il m'appelait sa glycine. Il me racontait des histoires sur sa classe, sur ses élèves. J'avais l’âge de ses élèves. Et puis dans ce ciel bleu tout à coup un orage. Il me renvoya « Le petit prince » par la Poste. Il avait gardé la page de la dédicace. Et il me disait que aimer et être un homme c'était quelquefois renoncer et souffrir. Il ne voulait plus venir à Paris pour me voir. Je ne comprenais pas. Nos dernières lettres étaient très chaleureuses. Il était plus ou moins question de mariage. Vous allez me dire que j'étais imprudente de m'attacher à quelqu'un dont je ne savais rien. En fait oui je savais beaucoup de choses que je n'aurais pas sues si nous avions été plus proches. J'étais dans un grand désarroi après cette rupture. Je ne comprenais pas ce qui s'était passé. J'étais attachée à cet homme. Et je crois qu'il l’était aussi de moi. Je finis par ne plus bien travailler au lycée. Et c'est ce qui décida ma mère à me dire la vérité. Un jour que je m'inquiétais de ne plus recevoir de nouvelles d’Alberto, et seulement parce que à cause de cela je ne m'intéressais plus à mes études ma mère m’avoua une chose épouvantable, à moi qui avais entièrement confiance en elle. Toutes les lettres que j’envoyais à Alberto je les lui avais fait lire parce que j'ai besoin, moi, d'une confidente et que malgré tous les avatars que ma mère m'avait fait subir je la gardais encore comme confidente. Parfois elle était très douce et très gentille mais il est vrai qu'à d'autres fois c'était un démon avec moi. Seulement voilà on ne m'avait pas permis d'avoir quelqu'un d'autre dans ma vie que cette mère tyrannique et ce père alcoolique. Alors elle me dit cette chose que maintenant encore je ne peux supporter de me rappeler. Elle me dit que comme ma correspondance prenait de l'importance dans ma vie, elle et mon père avaient écrit en cachette, sans me consulter, une lettre à Alberto en lui demandant de me laisser tranquille. Ils lui avaient dit que ça troublait mes études et ils avaient laissé entendre qu'ils porteraient plainte pour détournement de mineur « s'il continuait à m'importuner ». Ainsi se brisait le premier de mes rêves, le premier de mes amours. En entendant cette chose épouvantable de la bouche de ma mère j’imaginais la lettre qu'ils avaient envoyée et je compris que cette lettre-là ne pouvait faire autre chose que briser notre relation entre Alberto et moi. Mes parents n'étaient pas analphabètes mais ils avaient fait peu d’études et ce qu'ils avaient écrit dans la lettre devait l’être dans un langage épouvantable, méprisable. En entendant cela « je piquai une crise de nerfs » comme l'on dit car la douleur était trop grande, oui j'avais été trahie, oui on avait volé le seul amour que j'avais eu jusqu'à l'âge de dix-huit ans. Alors je me mis à hurler, à hurler, à hurler, en comprenant, car avant j’en doutais encore, que tout était fini entre moi et Alberto. Je me roulais sur le lit en poussant des hurlements. Ma mère était affolée elle n'arrivait pas à me calmer. Le lendemain j'étais encore anéantie. Pourtant je retournai au lycée mais désormais étais plongée dans le noir. Ce que mon père n'avait pas réussi à faire avec son alcoolisme, c'est-à-dire me détruire, ce que ma mère n'avait pas réussi à faire jusqu'à présent avec sa haine envers moi, étaient accomplis. Et moi qui malgré tant de malheurs avais réussi à garder un peu de joie dans le cœur une joie que Alberto avait fait grandir, j’étais renvoyée à mon horrible solitude.

J’eus des nouvelles d’Alberto dix ans plus tard. Il m’écrivit. Il voulait me voir. Mais j’étais mariée. Nous ne nous rencontrâmes jamais. Il ne s’était pas marié, je l’appris trente ans plus tard de la bouche de ses neveux (le numéro de téléphone n’avait pas changé) mais j’appris en même temps sa mort. J’eus du chagrin. J’avais 68 ans. Ni l’un ni l’autre n’avions oublié cet amour de papier.

14 ans
Adolescente

Souviens-toi chéri de cette petite fille perdue dans les horreurs du monde, souviens-toi d’elle. La veille son père était rentré ivre, à moitié ivre, il avait traîné ses guêtres de communiste, d’anticlérical, dans un café avec des copains. Ils avaient refait le monde, un monde paraît-il d’égalité. Mais moi la petite fille perdue je n'avais pas droit à l'égalité. Je n'avais droit qu’aux tourments que mon propre père se moquait bien de m'apporter. Je n'existais pas. Et pourtant j’étais détruite jour après jour. Comment peut-on détruire une enfant qui n'a pas droit à l'existence ? Et moi seule, et moi habitée par la solitude et par les tourments et moi habitée par l'agressivité de ceux qui auraient dû m'aimer, j'étais dans cette soi-disant maison qui n'en n’était pas une, un appartement minuscule sans aucune place pour moi et sans aucun confort, j'étais dans cette maison minuscule, encore plus minuscule que les plus minuscules, sans droit. Ma mère ne m’aimait pas et mon père ne savait même pas que j'existais. Mais j’existais si peu. Alors je me tournais vers le plafond. De ce plafond j'attendais que Dieu surgisse. Et à lui seul je parlais puisque les autres m'empêchaient de parler, ne voulaient pas m'entendre, ne voulaient pas entendre celle qui n'avait pas de droit et même pas celui d’exister. Alors je me tournais vers le plafond et ce Dieu dont j'avais un si grand besoin je l'interpellais. Oh ce n'était pas une prière tendre et pleine d'amour pour un Dieu qui avait peut-être l'habitude de prières humbles et tendres. Non c'étaient des invectives. À ce Dieu je disais « Mais viens, viens, viens, qu’attends tu pour venir délivrer une pauvre enfant de 13 ans, puis de 14 ans, puis de 15 ans. Et les années passaient dans les tourments. Qu’attends-tu pour venir me délivrer toi que l'on dit bon, toi que l'on dit charitable, qu’attends tu vraiment ? Ne vois-tu pas ma souffrance, ne vois-tu pas comme je suis détruite jour après jour ? Est-il juste qu'une enfant qui n'a pas commis de tort soit ainsi livrée à des barbares appelés parents ? On dit que tu es bon. On dit que tu es à ceux qui te prient. Mais est-ce parce que je ne te connais pas, parce que personne ne m'a parlé de toi, parce que je n'ai pas été au catéchisme, est-ce pour cela que « tu me laisses tomber » ? Est-ce pour cela que tu ne m’aides en rien ? Mais où est ta justice ? Où est ta bonté ? Où est ta pitié ? Tu es sans pitié puisque tu ne viens même pas aider une enfant innocente qui n’attend que toi, parce que toi seul peut la tirer de ces horreurs ? » Oh oui je priais ainsi. Je t'en voulais tellement. Je n'avais qu'un désir, que tu viennes et d'avoir quelqu'un à aimer. Quelqu’un qui m’aurait regardée. Quelqu’un qui aurait vu que j'existais. Quelqu’un qui aurait vu que j’étais sur cette terre de souffrance, en souffrance et aurait mis sur mon cœur une larme de bonté et d'intérêt. Mais non le plafond ne s'ouvrait pas. Le Ciel restait muet. Mais pourquoi mon Dieu pourquoi m'avoir « laissé tomber » alors que j'étais à un âge si tendre ? Alors que je n'avais personne que ce point dans le plafond à qui je m’adressais en attendant qu'il déploie ses ailes et vienne m’en entourer pour me consoler ? Souviens-toi mon Dieu chéri, souviens-toi comme j'avais besoin, impérieusement besoin et plus que cela, de toi. Oui c'est vrai tu es venu, mais si tardivement. Oui c'est vrai on s’est aimé et on s’aime à présent. Oui c'est vrai tu m'a aidée, tu m'as empêchée de sombrer dans des horreurs plus brûlantes encore. Mais je me souviens aujourd'hui de ces jours où je te parlais en t’invectivant. Et pourtant même si tu ne répondais pas cela me faisait tant de bien de te parler. Toi que je ne connaissais pas, toi à qui personne ne m'avait présentée, toi que personne ne m'avait présenté. Plus qu'une idée de Dieu, un Dieu présent même s'il était muet. Souviens-toi mon amour, souviens-toi de cette petite fille de 12 ans, 13 ans, 14 ans, 15 ans, 16 ans qui t’attendait avec le cœur ouvert pour t’y plonger, enfermer, emprisonner. Mais non, non je n’ai pas eu la joie que tu viennes à ce moment-là pour me tirer de cet enfer. Mais même si ce n'était pas une joie, c'était une présence, une présence fuyante et muette, mais une présence malgré tout que je trouvais au centre du plafond. Non je n'avais même pas de Ciel, non je n'avais même pas de liberté pour m'envoler. C'était plus que des nuages au-dessus de ma tête. C'était un plafond opaque, c'était une éternité de souffrance qui me surplombait. Et pourtant tu étais là au centre de ce plafond et je te disais « Viens ».

64 ans
Éditeur disparu

Être édité par un éditeur qui ne soit pas à compte d'auteur ce n'est pas toujours facile lorsque l'on débute ou lorsque l'on est un écrivain de poésies. Cependant un jour, à l’époque j’étais institutrice, j'eus l'occasion être admirée en ce que j'écrivais, par un éditeur. Cet éditeur était un des rares qui s'intéressaient à la poésie. Lorsqu'il eut lu mon recueil il me dit et il me fit savoir que « c'était formidable », que « ce que j'écrivais était d'une qualité exceptionnelle ». Et il entreprit de faire lire mon recueil à son comité de lecture. Il paraît que j'enchantais tout le monde par mes écrits. Je croyais qu'enfin les bonnes choses étaient arrivées pour moi et que j'allais débuter en tant qu'écrivain dans le monde de l'édition. Mais hélas... Voici que cet éditeur avec qui je m'entendais si bien et qui partageait ma foi, avec qui nous osions parler longuement, qui me faisait mille compliments, voici que cet éditeur fit une crise cardiaque puis une seconde et mourut. Pour moi tout était fini aussi, bien que je sois toujours vivante, et sur la demande de la secrétaire je dus venir rechercher mon manuscrit. Sa maison d'édition  n'avait pas de repreneur et fermait. Voilà ce que c'est que, parfois, de connaître une désillusion. Cependant c'était bien plus grave pour cet homme tellement sympathique car non seulement il perdait la vie mais aussi il perdait ce pourquoi il avait travaillé toute sa vie, sa maison d'édition. J'espère qu'il est au Ciel et qu’il récite aux anges mes poésies.

NOUVELLES D'UNE VIE
7 ans
À l’école des filles

J'avais sept ans et j'étais élève à l'école de filles de la rue de la Bidassoa dans le 20e arrondissement de Paris. À l’époque il y avait des écoles de filles et des écoles de garçons car on était encore bien loin de penser à la mixité. Je me plaisais bien à l'école de la rue de la Bidassoa. Il faut dire que j’étais une élève très attentive et très sérieuse. C'est pourquoi les institutrices m’aimaient bien. Je n'étais pas une élève qui puisse leur causer beaucoup de désagréments. Sage, appliquée, très polie, d'un naturel doux et respectueux, j'étais l'élève idéale. Mon année d'avance faisait que parmi mes camarades et aussi parce que c'était ma nature je paraissais petite et parfois un peu timide. Cette année-là je partageais ma table de classe avec une camarade que j'aimais bien. En fait, d'un naturel facile, je m'entendais bien avec toutes les élèves de la classe et surtout celles de mon niveau social car j'étais fille d'ouvrier. À l'époque les tables pour les élèves étaient conçues pour deux enfants côte à côte. Ma camarade et voisine était une gentille petite fille mais hélas, très facétieuse. Et voilà qu’elle conçut un nouveau jeu qui consistait à me lancer, lorsque nous étions assises côte à côte, des coups de pied dans les chevilles. Cela me faisait très mal. Mais ayant le sens de l'honneur, déjà à cette époque, je n'envisageai pas de la dénoncer à la maîtresse. Je subissais ainsi tous les jours de nombreux coups de pied dans les chevilles. Je m’en plaignis à ma mère et à mon père. Maman me dit que je n'avais qu'à la dénoncer. Mais pour moi dénoncer quelqu'un était inconcevable vu mon précoce sens de l'honneur. Alors mon père m'indiqua une autre solution qui consistait à rendre les coups de pied et moi aussi à la frapper aux chevilles. J'hésitai longtemps car dans ma nature la violence n'est pas inscrite non plus. Mais je continuais à recevoir quotidiennement des coups de pied dans les chevilles. Alors un jour en ayant reçu un qui me fit plus mal encore que les autres je lui lançai moi aussi un grand coup de pied dans les chevilles. Hélas, qu’avais-je fait ? La maîtresse s’en aperçut et fut horrifiée que cette petite Irène qu'elle aimait bien soit aussi violente et méchante. Il faut dire que lorsque ma camarade me lançait des coups de pied dans les chevilles elle faisait bien attention de ne pas être vue. Mais moi je n'avais pas tant de rouerie et tant de finesse dans la méchanceté et je n'avais absolument fait aucune attention à ne pas être vue par la maîtresse. Alors j'entendis que mon enseignante avec une voix très courroucée annonça : « Irène zéro de conduite ! ». Cela me frappa et me fit encore plus de mal que les coups de pied dans les chevilles de ma camarade. Je me mis à pleurer car j'avais à cœur d'être une bonne élève et d'avoir dans la classe des camarades qui m'appréciaient beaucoup. J'étais même auprès de la maîtresse ce que l'on appelle une « chouchoute » car je me conduisais bien, j'apprenais mes leçons et j'étais bonne élève. Je pleurai ce jour-là après cette sentence qui me fit connaître ce que c'était que l’injustice. Et je ne pouvais pas me défendre. De toute façon j'avais perdu mon honneur de bonne élève. Sans rien pouvoir faire. Car si je ne disais rien, par sens de l’honneur et que je ne dénonçais pas ma petite camarade en disant que c'était elle qui avait commencé, j'avais zéro de conduite et je perdais donc cet honneur d'être une élève appliquée et bonne camarade. Et si je dénonçais ma voisine je perdais l'honneur d'être quelqu'un de probe et de haute moralité. D'un côté comme de l'autre j'étais fichue. Je me réfugiai dans les larmes pour ne plus souffrir de cette situation que je ne pouvais supporter. Je pleurai, je pleurai, je pleurai toute la journée. Mon institutrice se douta bien qu’il y avait un loup là-dessous. Et elle me posa des questions de façon douce et gentille car elle se disait bien que si je me confessai ce ne serait pas à mon désavantage. Ma douleur intense l'avait percutée. Mais je tins bon. Je ne dis rien bien qu'elle soit prête à me pardonner comme elle le montrait et comme elle était prête, je m’en rendis compte, à ôter mon zéro de conduite et sans doute à le reporter sur ma voisine qui était seule coupable de mon malheur. Je ne dis rien, je pleurai, complètement perdue. J’aurais tellement voulu qu’elle lise en moi cette vérité que je refusais de lui révéler. C’est certain, j’étais orgueilleuse mais courageuse et tenace, du genre à se laisser tuer plutôt que de céder un pouce de terrain ou de renoncer à l’une des pierres de ma précieuse couronne. À la fin mon institutrice, troublée, baissa la punition. Elle m'accorda de ne plus avoir que deux points retirés sur ma note de conduite. C'était moins grave, bien sûr mais c'était malgré tout une injustice qui portait atteinte à ma fierté d'être la meilleure ou une des meilleures dans toutes les disciplines. Je me voulais parfaite et causer du tort à quelqu’un c’était pour moi impossible à concevoir. J’avais choisi mon camp et j’étais décidée à ne jamais le trahir, preuve qu’à sept ans on peut avoir des convictions. Mais je ne reçus plus jamais de coups de pied. Ma copine était ennuyée mais pas au point de me venir en aide en se dénonçant. Et elle me fuyait bien que je ne lui fis aucun reproche. Dans la cour nous ne jouions plus ensemble. En plus de tous mes malheurs j’avais perdu une copine. Ma mère me dit de cesser mes jérémiades et de dire à la maîtresse ce qu'il en était. Bien sûr c'était dans l'ordre de la justice que de dénoncer ma copine. Mais je ne pus jamais m’y résoudre. Je connus la honte. Je compris ce que la vie pouvait vous réserver alors même que l'on était quelqu'un de droit, d’honnête et qui tenait à sa bonne réputation. Mais une réputation, celle des autres et celle de soi-même cela se mérite et même au prix du sacrifice et de la souffrance.

À suivre...

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