Art, philosophie, littérature et enseignement
14 Mai 2020
Les poèmes qui suivent sont tirés de mon recueil "LA LECTRICE NOCTURNE"
Premier regard
Pas une seule parole
Qui ne cache un soupir
C'est mon cœur que tu voles
Et parfois c'est bien pire
Quand tu poses un regard
Sur ces pauvres écrits.
Feuillette avec égard
Le petit manuscrit
Car toujours indiscret
Tu dévoiles une femme
Ses désirs, ses secrets
Les tourments de son âme
Chaque mot est un cri
D'espoir ou de détresse
C'est pourquoi je te prie
Agis avec tendresse
Cache un peu ton mépris
Pour tant de pauvreté
Garde-moi à l'abri
De dures vérités.
En étant maladroit
Tu vas briser un rêve
C'est un cœur que tu broies
Si ta réponse est brève
Ne sois donc pas blessant
En étant trop sincère
Ou en me repoussant
Avec de la colère
Te voilà prévenu
A présent je me livre
Le moment est venu
D'ouvrir le petit livre.
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Mélodie
Ma mélodie est plus douce que la tienne, et pourtant c'est elle qui survivra. Quand seront mortes les colères, les haines, les chants d'adieu, de désespérance et les désirs noyés de larmes, ma mélodie comme une note oubliée, comme une goutte d'huile déposée au fond d'une urne de vin t'apparaîtra pour te charmer. C'est la bulle de lumière et d'air retenue par l'araignée d'eau, la minime clairvoyance quand en toi tout abandonne le jour. C'est l'ultime espoir, celui dont on dit qu'il est le plus fort parce que c'est le seul que peuvent retenir les mains les plus malhabiles. De cette note unique tu feras des symphonies immenses qui parleront du monde, de tous les mondes qui existent au monde ou qui n'existent pas et de beaucoup d'autres choses, des choses en couleurs, des choses en reliefs, des choses en croissance qui ne déclinent jamais et qui montent dans le jour, croches accrocheuses de lumière, noires claires comme la vie dans leur briève pureté, blanches et rondes languissantes qui s'attardent infiniment dans l'aube oscillante. Écoute ! Écoute cette musique qui emplit ton cœur de jours de fête, ces pagailles espérantes qui respirent, anachroniques, en toi, et ces simplicités blondes à humer savamment avec respect, demain.
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Encre rouge
Je ne remplis pas mon stylo
Avec de l'huile ou bien de l'eau
Sur le papier cela s'efface
En ne laissant aucune trace
Je le remplis cela se sent
Uniquement avec du sang
Et voulez-vous que je vous dise
L'encre vivante où je la puise
Le plus souvent c'est en mon corps
Que je la cherche tout d'abord
Les jours où mon cœur se tortille
J'y plonge une petite vrille
Il n'y a rien de plus banal
D'y creuser ainsi un canal
D'où s'écoule un riche liquide
Souvent poisseux, parfois limpide
Selon la nature de la chose
J'écris en mauve ou bien en rose
Il m'arrive d'atteindre une artère
Et si c'est un jour de colère
Sur le papier ça gicle rouge
Ca éclabousse ça vit ça bouge
Je ne sais comment éponger
Ce flot puissant et enragé
Si je ne veux que quelques gouttes
Seulement pour me mettre en route
Je fais la ponction dans ma tête
Et très patiemment je tète
Des souvenirs des rêveries
Aux sources non encore taries
Ce sang là est un vin léger
Sur lequel viennent surnager
Des mots doux et mélancoliques
Et des images allégoriques
Quand le message paraît haché
Sachez qu'à mes poignets tranchés
J'ai recueilli l'encre de mort
Amère croupie comme un remords
L'encre de la non espérance
Qui dit néant et délivrance
Mais ce n'est pas toujours en moi
Que je trempe ma plume d'oie
Parfois sur les champs de bataille
Je fais de macabres trouvailles
Et cela m'arrive de saigner
Les cadavres sur leur charnier
Mon stylo s'emplit de microbes
Mais si vous me couvrez d'opprobre
Quand je déverse sur le monde
Des semences à l'odeur immonde
Couvrez-en donc les médecins
Quand ils injectent un vaccin
Pour sauver quelque moribond
Avant qu'il ne crève pour de bon
J'ai un dernier aveu à faire
Après lui je pourrai me taire
Certains jours et c'est idéal
Il m'arrive un fait peu banal...
Que m'attende une plume pleine
Sans même que j'ai pris la peine
De la charger d'aucun liquide
J'étais certaine qu'elle était vide
Et la voici pleine à merveille
D'un sang à nul autre pareil
Et voici mon stylo qui vole
Et qui invente des paroles
Gorgées de vie et de lumière
Et de promesses et de mystère
Et de joie et de réconfort
Déferlant d'un amour si fort
Qu'il en devient presque effrayant
Tellement il brûle en irradiant
Et je l'avoue cela me dépasse
Dans les mots vigoureux qui passent
Aucun ne vient j'en suis certaine
Ni de mes joies ni de mes peines
Et j'ai l'esprit trop limité
Pour avoir pu les inventer
Qui donc ainsi a pris ma place
Et change en feu ce qui fut glace ?
Qui ?
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Le bouquet d'autel
Seigneur
Voici qu'au pied de ton autel j'ai déposé
Une haute gerbe de mes mains composée
Le glaïeul orgueilleux sur les roses se penche
Les lierres amoureux enlacent les pervenches
Immobiles et mouvants en un élan gracieux
Les calices vivants se tendent vers les cieux
Et c'est un peu de grâce et un peu de tendresse
Ce sont des teintes fraîches pour embaumer la messe
Puis comme une prière pour t'honorer, mon Dieu
Au sommet du bouquet se tend un lys radieux.
Cependant tu le sais, là n'est pas ton offrande
Celle-ci n'est ni de rose ni de lys ou lavande
Ton offrande vivante, elle est là à genoux
C'est une humble servante dont les deux mains se nouent
Avec plus de ferveur qu'elles ne furent jardinières
Afin que vers toi monte une ardente prière
Ce cœur de femme sans doute indigne de pardon
Accepte-le, mon Dieu, c'est celui-ci le don
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Une femme
C'est joli une femme parce que ça frémit
Ça frémit tout le temps
Et à tous les vents
Ça frémit d'inquiétude
Près du berceau
De l'enfant malade
Ça frémit d'espoir
À chaque lettre
De l'amant prisonnier
Ça frémit mystérieusement
Aux crépuscules insolites
Ça frémit à genoux
Au pied des calvaires
Ça frémit sentimentalement
Pour un je t'aime
Et ça se bouleverse
En frémissant
Pour un regard d'amour
Ça frémit dans les larmes
À chaque abandon
Et ça supplie en frémissant
Pour un peu de pitié
C'est joli une femme parce que ça frémit
Ça frémit comme un violon
Quand on y pose une bouche
Et ça frémit mieux encore
Quand on y pose son corps
C'est joli une femme quand ça frémit
De joie.
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Elle
Je vis de mes regrets, je vis de ses promesses, je meurs quand il fait jour, je renais aux pénombres. Les aubes me sont permises, ainsi les crépuscules. Je ne contrains mon cœur qu'à naître ou à mourir. Mon corps n'est que mon âme. Mon âme est par mon corps. Dans les sous-bois propices, je me nourris de miels tamisés, de plein-jours adoucis car les ardeurs de la lumière se font tendres dans mes cachettes ombragées de verdure. Là je m'habite de solitude, je me parle ainsi qu'à une amie et les insectes me visitent me croyant végétale. Les paix que je goûte ne sont pas éternelles car pour être immortels les faunes doivent mourir sans cesse. Les ciguës ont l'amertume des jours qui tombent. Cela les rend redoutables et délicieuses. Je me nourris des ciguës en soupirant sur une autre. Nul ne sait où je suis. J'ai cru mourir et je n'existe pas. Je n'aime faire que l'amour. Demain le silence se peuplera de chants d'oiseaux et je serai jeune.
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Onction
Sur tes pieds fatigués
Tes orteils poussiéreux
Qui avaient tant peiné
Esclaves de ton dire
Un nectar a coulé
En drainant dans son flot
Le soupir d’une femme
Marie t’a irrigué
Du parfum onéreux
D’un baiser prosterné
Où venaient s’alanguir
Ses cheveux emmêlés
Limpides comme l’eau
Et chauds comme la flamme
Cet amour odorant
T’a embaumé le cœur
D’un désir enivrant
De paix et de douceur
Être un homme
mais
Rien qu’un homme
Et comme tout humain
Prendre au creux de tes mains
Comme on boit un mirage
L’ovale d’un visage
Être un homme
mais
Rien qu’un homme
Et vivre paysan
Connaître la vieillesse
Charpentier ou pêcheur
Et parfois la paresse
Sans destin menaçant
Et sans compte de l’heure
Ne rêve pas Jésus
Rappelle-toi
Tu l’avais dit toi-même
Les oiseaux ont un nid
Les renards un terrier
Le fils de l’homme, lui,
N’a pas
Où reposer la tête
Ne rêve pas Jésus
Rappelle-toi, demain
Et baisse le regard
Vers tes pieds parfumés
Du précieux nectar
Vois que s’y plante un dard
Qui les a entamés
déjà
Un pétale sanglant
S’y dessine discret
La souffrance s’écrit
Sur ta peau odorante
Comme l’est un tombeau
Demain il n’est que temps
De marcher au supplice
Hâte-toi chancelant
Terrassé et secret
D’avancer sans un cri
Vers ta mort effarante
Ployé sous le fardeau
Du bois des pénitents
De la lie du calice
Être un homme
mais
Rien qu’un homme
L’arôme de la croix
Entêtant et suave
S’exhale de la joie
De Marie douce et grave
Qui caresse tes doigts
Qu’innocente elle lave.
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Lui
Aux aubes qui somnolent
Un jour tu te penchas
Aux aubes qui s'animent
Et je te découvris
Aux aubes qui hésitent
Bientôt tu m'éveillas
Aux aubes qui s'étonnent
Et je te regardai
Aux aubes qui s'étirent
Je crus te reconnaître
Aux aubes qui s'attardent
Bientôt tu pus me prendre
Aux aubes qui languissent
Je connus mon bonheur
Aux aubes qui s'épanchent
J'étais déjà une autre
Aux aubes qui pâlissent
Je me sentais si lasse
Aux aubes qui frissonnent
Je me mis à attendre
Les aubes qui somnolent.
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Qu'enfer
La haine de l'écorché que l'on a caressé
La haine pour le rentier de qui est harassé
La haine de panse vide pour panse rassasiée
La haine du travailleur que l'on a licencié
Qu'en faire, mon Dieu, qu'enfer
La haine de l'enfant fou qu'on force à raisonner
La haine de l'homme avare qu'on oblige à donner
La haine de tous ceux-là qui tremblent ou qui ont peur
La haine de l'assisté envers son bienfaiteur
Qu'en faire, mon Dieu, qu'enfer
La haine de qui est né cinq cent mètres plus loin
Pour celui qui est né cinq cent mètres moins loin
La haine de ces deux-là pour l'autre bout du monde
Ta haine tête crépue, ta haine tête blonde
Qu'en faire, mon Dieu, qu'enfer
La haine du corps trapu pour le corps effilé
La haine de qui aimait pour qui s'en est allé
La haine de qui est beau pour qui l'a oublié
La haine pour qui commande de qui est humilié
Qu'en faire, mon Dieu, qu'enfer
La haine définitive d'anciens persécutés
La haine pour l'homme heureux de qui a tout raté
La haine du sabotier pour qui porte pantoufle
La haine pour qui est jeune de qui n'a plus de souffle
Qu'en faire, mon Dieu, qu'enfer
La haine du pas pareil vivant différemment
La haine de qui n'est pas aimé suffisamment
La haine née dans l'alcool ou la prostitution
La haine de qui n'écoute que ses ambitions
Qu'en faire, mon Dieu, qu'enfer
La haine pour se défendre et la haine pour prendre
La haine pour qui prêta de qui ne veut pas rendre
La haine du condamné pour qui va lui survivre
La haine pour qui appelle de qui ne veut pas suivre
Qu'en faire, mon Dieu, qu'enfer
La haine de la méfiance et celle de la souffrance
La haine du pauvre hère pour qui a trop de chance
La haine irrationnelle devenue légitime
La haine pour leur bourreau de toutes les victimes
Qu'enfer, mon Dieu, qu’enfer ?
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