Art, philosophie, littérature et enseignement
15 Avril 2021
Réponse à Philippe Pozzo di Borgo sur le suicide assisté
J'ai toujours été courroucée par les adeptes du « à tout problème la mort est une solution » face aux réalités humaines, et à leur façon de renverser les vérités au profit de leur « culture de la mort ».
Leur slogan : mourir dans la dignité est une abomination insultante pour la plupart des vieillards qui ne choisissent pas de se suicider. Arrivé à un certain âge on devient incontinent. Cela m'arrivera sans doute un jour comme à la plupart des gens et si je suis hospitalisée je ferai, malgré moi, pipi dans mes draps. Serai-je devenue une femme indigne ? Aura-t-on le droit de me mépriser, de me traiter comme une sous-humaine ? En quoi les inconvénients prévisibles du grand âge sont-ils capables de nous rendre indignes ? Ce qui rend indigne c’est ce qui sort du cœur de l'homme, la médisance, la méchanceté, le crime, le vol, l'adultère, tout ce qui peut nuire à son prochain. Mais avoir besoin de quelqu'un qui vous aide, soit à porter une couche protectrice, soit à changer vos draps, n'a rien d'indigne. C'est le cycle normal de la vie. Il y a des gens très bien, des gens honnêtes, courageux, serviables, des héros, des saints qui, l’âge étant arrivé, ne contrôlent plus leurs sphincters. Va-t-on dire que ces gens exceptionnels qui sont la fierté de leur pays sont indignes parce que leur corps a vieilli ? C’est une offense gratuite et stupide. À ce compte là tous les nourrissons sont indignes. Ils font sous eux toute la journée et même la nuit. Les gens handicapés ? Beaucoup n'ont pas la maîtrise de leurs fonctions. Sont-ils tous des indignes ? Les femmes et les hommes qui souffrent, parfois jeunes encore, d'énurésie, va-t-on leur proposer le suicide assisté ? Est-on indigne parce que l'on a besoin de l'aide des autres pour la vie ordinaire ? Des malades et de gravement malades qui ne peuvent assurer seuls la vie ordinaire il y en a des millions. Nous-mêmes à plusieurs reprises au cours de notre vie nous avons pu vivre une telle situation, à cause d'une maladie, d'un accident. Étions-nous indignes ? Il y a aussi ces hommes et ces femmes qui pour ne pas causer de tort à leur famille qui les aime, qui sont attachés à leurs valeurs humanistes ou religieuses et qui, avec un grand courage, supportent les supplices de la douleur infligée par leur maladie. Beaucoup ne se plaignent pas. Ils attendent en silence que leur vie s'arrête d'elle-même. Ils ont un tel respect pour cette vie dont ils ne sont plus maîtres, un tel courage pour supporter l'insupportable alors que et comme c'est obligatoire ils ne maîtrisent pas non plus leurs fonctions vitales ! Ils ont seulement un grand courage, un courage qui force l'admiration. Oserez-vous dire que ce sont des gens indignes ? Arrêtez de les insulter en prétendant que seuls les suicidaires sont dignes et que ces gens-là qui acceptent de mourir dans la souffrance ne le sont pas. Il faut être beaucoup plus courageux pour aller au bout d'une vie qui n'est plus que douleur que pour quémander une piqûre mortelle et échapper à une partie de son destin parce qu’il est devenu invivable.
Le droit de mourir ? La liberté ? Qu'est-ce que c'est que ce droit à la liberté ? Et pourquoi la liberté serait-elle un droit ? Hélas c'est rarement le cas sur terre. Pour que la liberté soit un droit envisageable il faudrait vivre en solitaire dans une île déserte. Pourquoi cela ? Parce que dans la société il y a toujours quelqu'un qui dépend de vous et même des gens qui ne sont ni de votre famille ni de vos amis et qui vont injustement souffrir de l'acte de mort que vous aurez décidé pour vous-même en vous revendiquant libre. Si l'un de mes proches choisissait le suicide assisté, j'en serais horriblement choquée. Le voir vivant et savoir qu'un quart d'heure plus tard il sera mort serait difficile pour moi. J'en ferais des cauchemars pendant des mois. Le voir s'éteindre naturellement ne me causerait pas ce choc, j'aurais du chagrin c'est tout. Et si ce n'était moi d'autres souffriraient. Le médecin qui serait amené à tuer son patient, un assassinat dans ce cas. Si ce n'est lui, les infirmières qui auraient à préparer cette mort et dont certaines supporteraient difficilement la situation. Même parmi le personnel soignant qui voit mourir beaucoup de malades il y a des gens qui ne s'y font pas et pour qui la mort provoquée les traumatise. Et si parmi les infirmières se trouve une jeune aide-soignante, qu'elle ait à faire la toilette du condamné, à l'habiller, à le préparer, en quoi peut-on l'obliger à vivre cela ? Une mort naturelle ne cause pas aux autres ces traumatismes. Elle est d'emblée plus acceptable parce qu'elle est dans la logique de la vie. La liberté sans tenir compte des autres est-ce un droit ? Il y a aussi et surtout un droit pour les autres à ne pas vivre des situations qui sont une agression.
Alors faut-il laisser souffrir, faut-il laisser mourir dans le désespoir et la solitude ? Quelle horreur ! sûrement pas. Nous avons le devoir, nous la famille, les amis et les soignants de faire des derniers jours, des dernières heures, des derniers instants des mourants des jours et des instants qui se dérouleront dans la paix, l'apaisement et si possible la joie. Entourer ce malade d'amour faire de ses derniers jours des jours heureux autant qu'il se peut. C’est précieux les derniers jours, les derniers avant la tombe, et pour les croyants les derniers avant une autre vie. Il ne faut pas rater cela. Ces derniers jours peuvent être le moyen de rattraper beaucoup des souffrances qui ont assombri votre vie. Et moi tous les jours qui précéderont sa mort j'irai voir ce mari, cet enfant, cet ami pour l'aider à franchir ce cap et qu'il parte avec de bons souvenirs. Je lui raconterai des histoires, des histoires drôles, je lui montrerai combien je l'aime. Bien sûr il faudra limiter ou supprimer la souffrance physique. C'est ce que l'on sait faire et de mieux en mieux. Les moyens médicamenteux sont là. Le jour où je ne pourrai pas venir moi-même l'accompagner, le réconforter, lui chanter des chansons, j'enverrai quelqu'un à ma place ou je ferai confiance au personnel soignant à qui j'aurai parlé du mourant pour provoquer la sympathie à son égard et qu'on le dorlote à ma place ce jour-là. Les soins palliatifs cela existe. Tout le monde a droit à vivre des moments heureux et c'est plus important encore les derniers jours de la vie où l'on doit se préparer pour le grand saut, le saut définitif. Se préparer avec l'aide de l'autre, des autres. L'indispensable préparation du cœur, pour mourir finalement, mais sans regret. Mourir en humain pas comme un animal ou un objet devenu inutile. Mourir après avoir tant reçu qu'il n'y aura plus ni regrets ni solitude. Mourir en humain